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Marie-Rose Moro : "La réussite scolaire fait partie du projet migratoire" 

Café septembre

Les enfants de l’immigration, une chance pour l’école ?


Derrière l'apparente provocation, Marie-Rose Moro tient une posture portée par une expérience personnelle : son instituteur fut celui qui, à la fois, contribua de manière décisive à son insertion scolaire et changea son prénom pour le franciser...). C'est sa carrière professionnelle de professeur en psychiatrie de l'enfant qui l'amène à ouvrir "des consultations pour enfants migrants, c’était à l’hôpital public Avicenne de Bobigny". Mais la question transculturelle n’est pas qu'une question de banlieue. Et c’est en entendant un ministre dire un jour à la radio que le problème de l’échec scolaire était celui des enfants de migrants qu’elle a décidé de prendre la parole, pour faire connaitre ce qui lui semble les trois conditions de la réussite des parcours scolaires des enfants de migrants :
-    D'abord, avoir une bonne représentation sur sa langue d’origine, au-delà de la maîtrise ou non de la langue maternelle, qui aide les jeunes enfants à investir la langue de l’école, langue seconde
-   ensuite, faire l'expérience de la rencontre d’un « passeur », enseignant ou travailleur social, qui reconnaisse le savoir des parents, et aide à construire la posture d'élève,
-    Capacité à expliciter ce qui leur permettait de passer d’un monde à l’autre, de sortir du clivage entre l’école et la maison.
Or, explique la psychiatre, nombre d’enfants ont une représentation négative de leur langue maternelle, ne trouvent pas toujours un adulte qui joue ce rôle de tutorat ou ne comprennent pas pourquoi le monde de l’Ecole n’est pas celui de leur famille, et en restent aux conflits de légitimité. « Relier les mondes du dehors et les mondes du dedans, c’est avec cette idée que j’essaie de travailler les « vulnérabilités » liées à la « différence », aux situations, pour les transformer en « créativité », en « savoirs » ou en « liens ». Pour passer de l’égalité de principes à l’égalité de faits, elle propose donc de penser les conditions de « l’alterité », plutôt de rester « coincés par l’ambiguité du concept de différence ».

Pour elle, penser les différents types de familles, les différents usages de la langue, les différentes places occupées dans les différentes cultures par les rituels, les conceptions sur l’éducation, les relations, le genre, les savoirs..., c’est imaginer que sa propre norme n’est pas la seule possible. « Comprendre que « regarder dans les yeux » n’a pas la même valeur dans les différentes culture, c’est capital pour comprendre que les conceptions sur le savoir peuvent être différentes. Poser une question, ça peut être considéré comme une preuve d’ignorance, dans certaines familles… ». Dans le même genre, un père d'Afrique de l'Ouest peut ne pas comprendre que la maitresse attribue la réussite de son enfant à son mérite propre, alors que dans sa culture, c'est le travail de la maîtresse qui amène son fils sur la route du savoir, et elle risque de faire peser sur les épaules de l'enfant un fardeau trop lourd en lui attribuant la responsabilité de sa réussite... ou de son échec !

"Une enfant mutique à l’école, poursuit-elle, ce peut être la marque d’une enfant qui ne sait pas «comment atterrir» dans le monde social." Ce n’est qu’en trouvant des techniques pour la faire passer d’un monde à l’autre, par exemple par des contes bilingues, que l'Ecole va pouvoir lui permettre de savoir qu’on peut être ensemble tout en restant « différents »…

Revenant à la question du bilinguisme, elle souligne que si les ressources des enfants « bilingues » sont bien connues pour les langues « dominantes » comme l’anglais ou le chinois, c’est beaucoup plus difficile à faire passer pour les langues des immigrés dominés… Mais pourtant, la « mobilité linguistique » est une arme que doit aussi utiliser l’Ecole, à partir des travaux de l’équipe de sociolinguistes du LIDILEM de Grenoble, comme la « rose des langues », pour « fluidifier leur rapport à l’histoire et à la géographie ».
« Réussir à l’Ecole, ça fait partie du projet migratoire d’une famille. Tout ce qui aide à reconnaitre les compétences des familles,  à faire comprendre aux familles ce qu’est une note, une pratique scolaire, est positif pour sortir des préjugés". Elle insiste : les enseignants doivent y être formés pour intégrer à leurs situations d’enseignement ce que savent les enseignants de FLE. Et conclut : "Les petits riens des multiples adaptations doivent davantage permettre à l’école de se métisser un peu Tout le monde y a intérêt. »
 


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Par MBrun , le vendredi 26 octobre 2012.

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