Le billet de Marcel Brun 

Café

Haute couture

Claude Allègre, lorsqu’il était ministre, se référait volontiers au découpage de la viande, avec les moyens d’époque : il faut imaginer ce que peut coûter comme efforts le « dégraissage du mammouth » à l’époque de la pierre taillée. Luc Chatel est plus « couture ». S’il l’osait, il parlerait de « poids de forme » et de « taille mannequin ». Peu importe la manière, me direz-vous, dans tous les cas, c’est la même obsession, très datée : un idéal de sveltesse imposé à dame éducation sur le thème du slim is beautiful.

Ensuite il faut mesurer, puisque l’objectif affiché de la cure de minceur consiste à améliorer simultanément la silhouette et la santé de la dame. Certaines mesures sont toutes simples : poids total, mensurations. Le cas échéant, il n’est pas interdit de recourir à la chirurgie esthétique, afin d’éliminer les traces de rides jugées disgracieuses : RASED, INRP, etc. Résultats garantis : si vous réduisez le nombre de postes de fonctionnaires mis au concours, vous obtenez mécaniquement que l’ensemble perde du poids. Cependant s’en tenir là reviendrait, pour le ministre de l’éducation, à renoncer à toute idée de pilotage. La dame est de plus en plus svelte, certes, mais remplit-elle convenablement ses missions ?

A en croire les réactions des enseignants lorsqu’ont été organisées les évaluations correspondant aux différents paliers du socle commun ou les analyses, plus récentes, du Haut conseil de l’éducation, le ministre, volontairement ou non, ne se donne pas les moyens de le savoir. Que disent en substance les membres du Haut conseil, auxquels il convient d’accorder un avantage de mémoire sur le ministre, du fait de leur longévité ? Trois choses au moins : les évaluations, pour être fiables, devraient être confiées à un organisme indépendant du ministère ; il faut cesser de penser les évaluations comme des couteaux suisses capables à la fois de donner des repères aux enseignants sur les compétences de leurs élèves et de servir d’instruments de pilotage ; il est regrettable que le ministère de l’éducation se soit désengagé de toute une série d’organismes internationaux dont la raison d’être est de permettre des évaluations comparées. En résumé, non seulement les résultats de l’éducation sont très mal mesurés, mais le ministère  semble redouter les comparaisons internationales.

Sur ces entrefaites, le ministre est épinglé par un quotidien du soir à propos d’un autre projet d’évaluation, destiné lui aux enfants de grande section de maternelle, qui réussit un double tour de force : évaluer, outre les acquisitions linguistiques et mathématiques, les comportements des élèves ; permettre le repérage des élèves « à risques » et « à hauts risques », dont on devine qu’ils cumulent les handicaps scolaires et comportementaux. Le tout au nom de la « justice sociale ». Ne s’agirait-il pas plutôt de naturaliser les échecs à venir, trop prévisibles, de ces élèves, et de souligner la difficulté de l’école à assurer convenablement leur éducation ? La justice sociale servirait alors de prête-nom à un conservatisme de bon aloi.

Si le propos du ministère est que les évaluations nationales soient, dans le même temps, une invitation adressée aux enseignants à améliorer leurs performances et une justification de la politique qu’il conduit, cela signifie qu’il dispose d’une importante marge de progression dans ce domaine. En matière de mesure, l’éducation nationale est encore assez loin de la haute couture.


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Par MBrun , le lundi 24 octobre 2011.

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