Lorsqu’il observe les
enseignants stagiaires, le chercheur clermontois constate un difficile
va-et-vient entre « ce qu’il faudrait faire » pour suivre les conseils
de formateurs et « ce qu’on doit faire » pour avoir le calme, respirer,
ne pas s’épuiser… il décortique pour le Café ces minuscules
déplacements, et insiste sur la nécessité de l’expertise des formateurs
à comprendre ces évolutions…
« Quand parle-t-on du métier ?
Rarement dans les temps institutionnels, souvent autour du café ou à la
récré… » C’est à partir de cette réflexion de formateur que
Marc Daguzon, de l’équipe clermontoise PAEDI a cherché à comprendre
comment les enseignants débutants construisent leur rapport au métier,
dans les temps de formation. Il emprunte à Leplat la notion de
représentation fonctionnelle, moment instantané qui permet à l’agent de
comprendre où il en est dans sa régulation du travail qu’il a à faire.
Elaboré en cours d’action, visant à être efficace, pragmatique et
opératoire, il sert à réguler son action. Selon Leplat, un agent «
redéfinit sa tâche » à partir de la tâche prescrite, en fonction de son
histoire et de ce qu’il comprend de ce qu’on lui demande de faire. En
fonction des résultats de son activité, de son expérience naissante, il
va réinterroger les manières de faire, dans une construction dynamique,
entre ce qu’il pensait faire et ce qu’il a pu faire.
Que se passe-t-il entre la tâche
prescrite et la tâche effective chez les professeurs d’école stagiaires
? Quels impacts ont les différents moments de formation ?
Quelles conceptions pédagogiques mettent-ils en œuvre ? Afin de le
comprendre, il suit une cohorte de PE2 pendant une année, au cours de
laquelle ils alternent temps de formation à l’IUFM et temps de stage,
les enregistre lorsqu’ils font la classe, et les interroge dans des
entretiens semi-directifs. Il distingue progressivement la «
prescription primaire » (les programmes, les instructions des
inspecteurs…) et une « prescription secondaire » formulée par les
formateurs, qui amènent l’apprenti professeur à des « préoccupations
» tournées vers la classe, les apprentissages des élèves, la
construction de l’identité professionnelle (les choix professionnels et
leur sentiment d’intégration dans le corps), les autres acteurs du
système scolaire (les parents, les formateurs…)
M. Daguzon constate alors que les représentations que se font les
enseignants débutants sont fonctionnelles,
liées au comportement des élèves ou au bruit, faciles à interpréter ou
à observer, mais aussi malléables
: elles changent au cours de l’année. Avant le premier stage en
responsabilité, ils sont focalisés sur les apprentissages scolaires, à
partir de ce qu’ils ont entendu des formateurs : rendre les élèves
interactifs, autonomes, faire apprendre par la « construction des
connaissances », faire se confronter les représentations des élèves…
Mais cette représentation générique ne mobilise qu’à la marge la
complexité des situations réelles de classe.
Le
choc entre ce qu'on a appris et ce qu'on vit dans la réalité...
Au retour du premier stage en
responsabilité, les jeunes font état des soucis de mises en œuvre,
et cherchent à se tourner vers autre chose pour « tenir la classe », «
gérer le temps et la journée ». Ils cherchent élaborer une nouvelle
représentation plus pragmatique et deviennent sensibles aux éléments de
prescription les plus normatifs ou qui les aideront à anticiper les
situations précises à l’image de celles qu’ils ont rencontrées lors de
leur stage. Ils se tournent davantage vers les maîtres formateurs pour
répondre à leurs inquiétudes. La représentation générique initiale se
modifie : « oui, mais ça, c’est l’idéal, ça sera pour plus tard ».. Ils
rentrent en dialogue avec les autres enseignants qu’ils rencontrent
dans les stages, qui deviennent une nouvelle ressource pour savoir « ce
qu’il faut faire et ne pas faire ». Ils réinterrogent l’activité
des élèves, cherchent à régler la prise de parole, priorisent l’avancée
de la séance et comprennent que l’autonomie passe par un cadre et des
règles. Ils comprennent qu’il va falloir assumer une présence forte
dans la classe, et redéfinissent leur rapport à l’autorité.
Mais tous ne font pas ce chemin de la
même manière : certains s’en tiennent à la construction de
cette nouvelle représentation pragmatique du travail en classe alors
que d’autres, une fois sécurisés sur leur capacité à tenir la classe,
réinterrogent la prescription générique qu’ils avaient mis de côté. Ils
deviennent actifs, questionnent leurs formateurs, demandent à préciser
les nuances des conseils qu’on leur donne, pour qu’ils deviennent
opératoires dans la classe qu’ils projettent. Ils nuancent la
perception qu’ils ont des formes pédagogiques efficaces (collectif,
individuel, travail de groupe…). Enfin, quelques uns restent plus figés
dans les représentations initiales génériques, au risque de se sentir
malmenés, en échec, voire de transférer sur les autres acteurs la
responsabilité de la difficulté, lorsque ce qu’ils pensaient qu’allait
être l’école ne correspond pas à la réalité rencontrée.
Le dispositif de formation n’est donc
pas neutre : suivant la manière dont il est incarné par les
acteurs de la formation, il contribue à développer ou à gêner le
parcours des débutants. Ces derniers doivent avoir un sentiment de
réussite de leur stage, que ce qu’ils font a de la valeur, confirmée
par les formateurs qui l’évaluent. « Quand le formateur leur renvoie
l’idée d’une erreur, c’est acceptable. Mais si c’est l’impression
d’échec qui domine, le développement professionnel est difficile. La
finesse de l’accompagnement est déterminante. »
Il faut donc que les débutants
puissent s’emparer de « questions d’enseignement », pour pouvoir
essayer, tricoter, refaire un peu différemment au stage suivant, se
donner la possibilité de penser que leurs petites inventions allaient
avoir de l’efficacité. Cela leur demande souvent de mieux concevoir la
notion de classe, assumer l’autorité pour maintenir la capacité
attentionnelle des élèves, sans craindre de se voir remis en cause,
échanger des problèmes qu’ils rencontrent avec les autres enseignants,
autorisé à « faire partie du groupe », que tout n’est
professionnel ».
Il faut qu’ils acceptent (et leur
formateurs aussi...) l’idée d’un développement professionnel « en
construction", pas parfait tout de suite dans l’exercice
professionnel. Cela passe par l’appropriation d’outils qui aident à
faire classe et faire apprendre, pour généraliser et transposer les
conceptions pragmatiques, mais aussi rendre plus pragmatiques les
conceptions génériques…