Formation spécialisée : dans le second degré aussi ! 


La formation des enseignants spécialisés en question ? Témoignages


Restructurée en 2004, actuellement confiée aux IUFM, la formation déjà depuis cette année est en train d'évoluer... Elle sera à plus ou moins long terme (peut-être plus rapidement que pensé...) assurée par l'université directement dans le cadre d'un master. Qu'en reste-t'il encore en région ? Comment les enseignants qui en bénéficient encore la voient, qu'en tirent-ils ? Le Café a posé ces questions à des collègues certifiés il y a peu ou en cours de certification, qui ont suivi la formation ou qui ont passé l'examen en candidat libre, pour illustrer par des témoignages la question plus générale tellement vive et chaude de la formation des enseignants...
Entretien avec Stéphane, professeur de lettres-histoire-géo en lycée professionnel, qui a suivi la formation spécialisée en IUFM en 2010 et qui est depuis détenteur du 2CA SH option F.


Le 2CA-SH n'est pas un diplôme mais une certification complémentaire. Il y a très peu d'enseignants du 2nd degré qui se lancent dans cette formation. En quoi consiste-t-elle ? Et en quoi consiste l'examen ?
C'est une formation en alternance qui se déroule en 3 sessions de 2 semaines, ce qui est peu au vu de l'immensité du domaine de l'ASH. L'option F permet d'enseigner en SEGPA, EREA, en classes relais et en milieu carcéral. Cette option relève de la grande difficulté scolaire.
Nous suivons à la fois des cours théoriques et des ateliers. Il y  est question de législation (la loi de 2005, l'inclusion scolaire, les dispositifs, les partenaires...), d'histoire (l'évolution de la perception du handicap), de pédagogie... Des moments de regroupement rassemblent toutes les options et sont d'ailleurs tout aussi intéressants que ceux plus centrés sur l'option choisie ; on se rend compte que ce découpage demeure artificiel et que les options sont souvent poreuses. Par exemple, un élève passé par une SEGPA (option F) peut souffrir d'une dyslexie ou encore d'une dyspraxie (option D).
Durant toute cette période, nous accumulons un bagage de connaissances énorme qu'il faut digérer au cours des intersessions. En outre, un mémoire professionnel doit être rédigé. Pour valider le 2CA SH, il faut subir 2 épreuves : la soutenance du mémoire, une séance pédagogique menée avec des élèves, suivie d'un entretien avec le jury. C'est assez éprouvant puisque tout s'enchaîne et s'étend sur presque 3h.

Qu'est-ce que la certification t'ouvre comme perspective professionnelle ?
Dans l'état actuel de la législation, c'est assez mince pour l'enseignant de lycée professionnel que je suis, je ne peux pas postuler pour un poste en SEGPA puisque ceux-ci sont tenus par des enseignants spécialisés du 1er degré. Si je travaillais en collège et si j'enseignais l'anglais par exemple, je pourrais être amené à enseigner à des élèves de SEGPA. Actuellement, j'ai aussi un mi-temps en maison d'arrêt.
La certification est peu connue, les besoins vont grandissants avec le développement des ULIS et ces publics d'élèves, malheureusement, effraient la plupart des collègues.

Au-delà de la certification, qu'est-ce que cette année de formation t'a permis de travailler comme problématique professionnelle ? Qu'est-ce que ce moment de recul par rapport au travail quotidien t'a apporté en terme de développement professionnel ?
Je dirai d'abord que plus j'apprenais, plus je découvrais l'immensité de mon ignorance. À l'heure où la formation des enseignants est mise à mal, cette année consacrée au 2CA SH m'a permis de marquer un temps de pause dans ma réflexion pédagogique. Cela faisait quelques années déjà que je me remettais en cause, lisais des ouvrages, tentais des expériences innovantes, mais le fait de pouvoir échanger avec d'autres collègues autour de nos pratiques enseignantes, de concentrer sa propre réflexion sur une problématique ciblée par le biais du mémoire professionnel a été bénéfique à plus d'un titre. J'ai pu articuler théorie et pratique autour de préoccupations variées comme les modèles d'apprentissage, l'adaptation, l'évaluation... Nous sommes toujours la tête dans le guidon en règle général ; nous prenons très rarement le temps d'échanger entre pairs autour de nos pratiques. Cette expérience m'a fait un bien fou sur le moment et m'a incité à poursuivre sur ma lancée puisque j'ai décidé de reprendre mes études en sciences de l'éducation dans l'optique de faire à l'avenir de la recherche, tout comme de préparer prochainement l'option D.

Quels bénéfices en retires-tu maintenant, dans ta façon d'enseigner et de faire apprendre tes élèves ?
En formation, l'un des premiers concepts dont on nous a parlé, c'est celui du mainstreaming, c'est un mot anglais intraduisible qui reprend à la fois les notions d'accessibilité, de compensation en y associant les personnes handicapées elles-mêmes. Ce mot est utilisé dans un registre social concernant les politiques publiques, et en pédagogie, on pourrait le remplacer par l'éducation inclusive. Si nous mettons en place des choses pour les élèves handicapés ou en difficulté, cela profite également aux autre élèves.
Mon regard envers l'élève est davantage bienveillant. Cela m'a aussi permis de me mettre au clair avec les questions d'autorité, d'autant plus que j'enseigne dans un établissement réputé difficile, chose à laquelle je n'avais jamais, paradoxalement, jamais été formé.
Je regrette que dans le 2nd degré, le métier s'apprenne sur le tas, alors que des recherches en éducation sont menées dont nous profitons rarement des fruits. Rien en matière de psychologie cognitive, pas plus qu'en psychologie sociale ou en sociologie par exemple. On nous enjoint de faire travailler les élèves en groupes comme s'il s'agissait d'une recette miracle, alors que cela ne s'improvise pas et que cette démarche apporte des satisfactions variées selon les dispositifs mis en place. Le 2CA SH m'a apporté de premières « billes » dans ce domaine complexe et j'ai dû poursuivre mes lectures sur cette question au cours de cette année.
Désormais, j'essaie de m'effacer dans la classe en mettant les élèves le plus souvent possible en activité. J'alterne travail individuel, en binômes ou en groupes. La disposition de ma salle s'organise autour d'îlots pour favoriser les échanges entre élèves. Je travaille également de plus en plus la métacognition, ayant compris à quel point ce levier pouvait devenir puissant. J'ai opté aussi pour la fin des notes au profit d'une évaluation par compétences. Et je pense à l'avenir tenter la mise en place du tutorat au sein des classes afin de privilégier une pédagogie davantage coopérative.

Le métier d'enseignant spécialisé est-il le même métier que celui d'enseignant « généraliste » ? En quoi l'enseignant spécialisé peut-il être une personne-ressources pour ses collègues ? Comment cela se passe dans ton établissement ?
À mon sens non, car j'estime qu'un enseignant généraliste devrait se poser les mêmes questions. Ce que j'apprécie dans le fait de travailler avec des enfants en difficulté, c'est qu'on se voit confronté à des obstacles qu'il va falloir nécessairement surmonter si on ne veut pas y laisser des plumes. Il faut se creuser la tête pour inventer des solutions. Quand on se trouve en présence d'élèves pour qui le rapport au savoir n'est pas problématique et qui « apprennent tous seuls », on a moins tendance à remettre en cause ses pratiques. Tandis qu'avec un public relevant de l'enseignement spécialisé, il devient urgent d'avoir un regard réflexif sur ses démarches pédagogiques.
En ce qui me concerne, dans mon établissement, il existe une ULIS pro déficients cognitifs, qui a été mise en place il y a 2 ans. Le bilan n'est pas satisfaisant à mes yeux. Les élèves concernés se retrouvent actuellement en situation d'échec, et nous y sommes pour quelque chose. L'enseignant coordonnateur, un enseignant spécialisé du 1er degré, peine à faire comprendre à l'équipe éducative la spécificité de ce type d'élèves et ce que leur prise en charge devrait impliquer comme engagement professionnel. Je pense qu'il faudra inciter d'autres collègues à se former, et en interne, instaurer des  moments d'échanges sur le travail pour outiller les collègues. Nous sommes deux enseignants spécialisés désormais au sein de l'établissement ; c'est une richesse et ce serait du gâchis de ne pas en profiter. Il s'agirait d'aborder des préoccupations professionnelles, sans être prétentieux ni éveiller la susceptibilité des collègues, qui risquent d'atteindre l'estime de soi des enseignants et demeurent fréquemment taboues,. L'enseignant spécialisé n'est pas un « Superprof » qui saurait tout sur tout et ferait des miracles. Simplement, il dispose d'une autre approche qui mérite qu'on s'y arrête : le concept de mainstreaming précédemment évoqué pourrait rayonner dans l'équipe par exemple . Pour conclure sur une note optimiste à ce sujet, j'aimerais citer une phrase d'Henri Poincaré : « On résout les problèmes qu'on se pose et non les problèmes qui se posent. »



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Par MBrun , le dimanche 29 mai 2011.

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