Vous avez dit "Pilotage" ? 

Reuter ICEMLa LOLF, ça vous dit quelque chose ?

La LOLF, levier décisif pour la modernisation de l’Etat et le renforcement de l’efficacité des services publics, ou cheval de Troie de la libéralisation, de la mise en concurrence et de la réduction des postes par les vertus magiques de la « fongibilité asymétrique » ? En tout cas, pour la plupart des enseignants, cela reste un sigle, un épouvantail ou un machin bureaucratique.
La très sérieuse AFAE (Assocation Française des Administrateurs de l’Education) consacrait au printemps le numéro 113 de sa revue « Education et Formation » au sujet. Plusieurs contributions de hauts cadres du ministère traitent de différents points de vue.

Dès la préface, J.-R. Cytermann, inspecteur général, pose le problème : « craintes de voir la seule dimension budgétaire prise en compte lors des arbitrages », mais aussi impératif, pour les responsables, de « faire des choix et de les expliciter ».

Tout un programme. En effet, tous ceux qui connaissent la technostructure à ses différents étages (ministère, rectorat, inspection académique) savent qu’entre une circulaire et le réel, l’espace est immense. Le ministre peut parler, le recteur exiger, l’inspecteur réclamer, la vie prend parfois des chemins plus tortueux. «L’Education Nationale sait gérer, pas piloter » disait Antoine Prost, éminent observateur de l’histoire du Monstre. La « construction d’indicateurs », un des points-clés de la démarche LOLF - c’est cette analyse du réel qui devrait pouvoir aider à identifier les priorités d’action - est loin d’aller de soi : chaque niveau du système est tenté de masquer une partie de la vérité pour ne pas passer pour un mauvais élève, et « chaque niveau se décharge sur le niveau inférieur de l’exécution de la prescription », comme dit avec malice Agnès Van Zanten : à chaque demande du ministre (combien d’élèves handicapés scolarisés ? quel taux d’efficience des remplaçants ? quel pourcentage des enfatns de deux ans accueillis ?...), une nouvelle enquête est diligentée, du haut jusqu’en bas, en urgence, souvent réclamée pour hier… Et en bas, dans l’Ecole ou l’établissement, l’enquête bureaucratique devient progressivement le dernier des soucis, certain qu’est le responsable local que l’urgence de l’enquête de demain remplacera celle d’aujourd’hui… Bref, M. Cytermann a bien raison de rappeler les mots de deux parlementaires de la LOLF (votée à l’unanimité des assemblées sauf les communistes) : « mettre un terme aux cultures de l’apparence, de l’affichage, de la présence et du secret au profit de l’efficacité discrète, de la sincérité des résultats et de la transparence ».

A partir de son expérience d’Inspecteur Général, M. Cytermann n’hésite pas à poser un regard exigeant sur la mise en œuvre de la LOLF dans l’Education Nationale : ainsi, il regrette que le découpage choisi pour les différents programmes (1er degré, 2nd degré, «vie de l’élève » -élèves handicapés, vie scolaire…-, « soutien » -fonctionnement de la techno-structure, pilotage- et enseignement privé) ne va pas permettre d’identifier facilement (et c’est un but affiché de la LOLF) les moyens consacrés à chaque grande priorité, par exemple à la formation, indispensable pour mener une politique cohérente de qualification des enseignants. De même, le « surcoût » de l’Education Prioritaire, ou les informations sur la mixité sociale de tel territoire, sont très difficilement lisible, ce qui rend le pilotage aveugle.

Pour lui, si la LOLF induit bien un « pilotage par les résultats » cohérent avec les orientations européennes du processus de Lisbonne, encore faut-il inventer les bons indicateurs de performance. « La mise en œuvre du socle commun de connaissance impose de repenser les dispositifs d’évaluation des acquis des élèves », mais on voit bien aujourd’hui les difficultés du ministère à les construire. La polémique qui ne va pas manquer de s’ouvrir avec le récent rapport du HCEE, selon lequel un tiers des élèves auraient de graves lacunes en sortant du primaire, n’en n’est que le révélateur.
De même, pour la gestion des ressources humaines, l’auteur est très dubitatif devant l’objectif « disposer d’un potentiel enseignant qualitativement adapté » qu’il juge « très pauvre » : évaluer la qualité de la formation continue ne se limite pas à faire remonter le pourcentage de formations consacré aux priorités nationales…

Par essence « pluri-disciplinaire ou pluri-compétences », la LOLF impose impérativement une réorganisation du fonctionnement de chaque niveau administratif, « la dissociation du pédagogique et de l’administratif n’a plus de sens, si elle en a jamais eu » écrit-il franchement. Il faut donc inventer des « nouvelles modalités  de ressources humaines », dont le premier corollaire doit être de modifier le « recrutement et la formation des responsables de programmes et de leurs collaborateurs ». Comme le dit l’Inspection Générale, « si on veut de véritables politiques académiques, on ne peut s’accommoder de recteurs qui changent tous les ans ou tous les deux ans ». La performance ne s’apprécie que dans la durée…


Le Haut Conseil de l'Education épingle l'école primaire
" Chaque année, quatre écoliers sur dix, soit environ 300 000 élèves, sortent du CM2 avec de graves lacunes : près de 200 000 d’entre eux ont des acquis fragiles et insuffisants en lecture, écriture et calcul ; plus de 100 000 n’ont pas la maîtrise des compétences de base dans ces domaines. Comme la fin du CM2 n’est plus la fin de l’école obligatoire, leurs lacunes empêcheront ces élèves de poursuivre une scolarité normale au collège". Remis le 27 août, le rapport annuel du Haut Conseil de l'Education relève les maux de l'école primaire.

Il dénonce l'inefficacité du redoublement. "Le redoublement précoce est inefficace. Son but est de remettre les élèves à niveau, mais il n’y parvient pas, comme deux enquêtes effectuées à plus de vingt ans d’intervalle l’ont montré. Très vraisemblablement inefficace ainsi que contraire à l’égalité des chances entre les enfants nés dans différents milieux sociaux et aux différents mois de l’année, le redoublement précoce peut difficilement être considéré comme un remède acceptable aux difficultés rencontrées par certains enfants en début de scolarité".

Le fonctionnement des cycles est aussi critiqué ("trompe l'œil") ainsi que l'usage qui est fait des évaluations. " Ces évaluations ne sont pas utilisées comme elles le devraient. D’une part, certains maîtres pensent qu’elles sont principalement destinées à une exploitation statistique par leur hiérarchie, sous-estimant ainsi le parti qu’ils peuvent tirer eux-mêmes de ces informations sur les forces et les faiblesses de leurs élèves pour adapter leur pédagogie. D’autre part, à moins d’un an de la fin d’un cycle, il se peut que ces évaluations ne laissent pas assez de temps pour remédier aux difficultés scolaires qu’elles détectent. Au lieu de servir d’instantanés sur les acquis des élèves, elles les enferment alors dans leurs lacunes".

Que propose le HCE ?  Renforcer le pilotage et récupérer des moyens. Le HCE veut renforcer le rôle des directeurs et inspecteurs. Il croit aussi qu'il est possible de récupérer des moyens parmi les maîtres non affectés.

C'est cette absence de propositions qui suscite le plus de critiques. Le Snuipp juge le rapport "décevant". "Il est uniquement composé d'extraits de textes antérieurs déjà connus et publiés. Il n'apporte véritablement aucune idée nouvelle" estime le syndicat. Pour lui, " Si l'école connaît des insuffisances réelles et peine à faire réussir tous les élèves ce n'est pas ce texte qui peut constituer un outil utile pour tracer des pistes pour transformer l'école".

Le Se-Unsa souligne que les éléments chiffrés et leurs sources manquent souvent à l’appui des affirmations, tandis que certaines reposent sur des statistiques datant de près de dix ans. Les taux d’encadrement dans le primaire sont ainsi présentés comme en constante amélioration… alors qu’ils ne cessent de se détériorer depuis 2001 !... L’intérêt des jeunes doit redevenir le cœur de la politique éducative et non, comme actuellement, le seul objectif d’économies budgétaires. Le rapport du HCE peut en fournir l’occasion. Le gouvernement Fillon souhaite-t-il vraiment mettre en œuvre la loi d’orientation Filllon ?"
L'étude
Sur le Café, les experts réagissent au rapport du HCE
Publié juste avant la rentrée, rédigé parfois sans prudence, le rapport du Haut Conseil de l'Education invite à la polémique. Le Café publie les réactions de spécialistes sur ce regard porté sur l'enseignement primaire.

Ainsi, Bruno Suchaut (Iredu, Université de Bourgogne) : "Ce qui mérite sans soute d’être le plus souligné dans le rapport du HCE, c’est le constat réalisé sur le pilotage de notre système éducatif. Des vraies questions sont posées sur la faible efficacité de la gestion pédagogique de l’école primaire". Comme lui, mais chacun avec leur point de vue, Alain Grandserre, Pierre Frakowiak, André Giordan réagissent...
Le dossier spécial du Café

Par ppicard3 , le samedi 15 décembre 2007.

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