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Pour le prof 

Par Jeanne-Claire Fumet



Le travail et les jeunes : un lien à réinventer ?


Peu motivés, sans initiatives, dépourvus d'enthousiasme, les jeunes travailleurs ? Ou trop dégoûtés par la précarité et l'instabilité économiques pour s'investir au service de l'entreprise ? Pour les plus âgés, leur vie « trop facile » aurait fait perdre aux nouvelles générations le sens et le goût du travail. Faute impardonnable, dans un monde où le travail est vécu paradoxalement comme une valeur morale et un mal nécessaire, comme l'occasion de se réaliser et comme une entrave inévitable à la vie personnelle. Analysant plus au fond les dissonances entre les nouvelles formes d'organisation du travail et l'évolution des attentes individuelles, Dominique Méda et Patricia Vendramin proposent, dans Réinventer le travail,  de réfléchir à une autre organisation, qui romprait avec le dogme de la croissance et de la productivité forcenée pour réintégrer la valeur d'une expression de soi.



Comment le travail a-t-il pu devenir la valeur citoyenne par excellence dans un contexte socio-économique qui en a fabriqué la pénurie ? L'ouvrage ouvre sur un long chapitre très détaillé d'histoire de l'idéologie du travail, qui retrace l'émergence de trois strates constitutives : le travail comme facteur de production, comme principe de réalisation de soi, et comme facteur de biens sociaux. À ces « couches » hétérogènes, ses ont ajoutés d'autres modes de relation au travail, expliquent les auteures : une dimension instrumentale (moyen d'un revenu), une orientation solidariste (fin en soi et moyen d'identification au groupe) et une orientation bureaucratique (au service de l'organisation en échange d'une carrière). Ce chapitre d'archéologie de la représentation sociale du travail permet d'examiner avec distance et mesure les études sur « l'importance du travail » chez les travailleurs de tous âges.


Paradoxe français : le travail passionne mais prend trop de place


Dans ce domaine, l'époque contemporaine semble se caractériser par une évolution des critères de valeur du travail : l'éthique du devoir décroît, alors que la vision instrumentale demeure et que les attentes de réalisation de soi augmentent, avec des nuances davantage liées au contexte économique et institutionnel (niveau d'éducation, entre autres) qu'à des spécificités nationales. La situation de la France présente un paradoxe intéressant, conforme en plus marqué à une tendance diffuse dans les autres pays d'Europe : les individus y accordent plus d'intérêt au travail mais souhaiteraient qu'il tienne moins de place dans leur vie. Indice d'une mauvaise foi ou d'une paresse hexagonales ? Plutôt, explique l'étude, le signe d'une dissociation particulièrement vive entre les attentes de qualité du travail (relations, conditions, gratification, satisfaction) et la réalité des conditions de  terrain.


Conditions dégradées, envahissement de la subjectivité


A l'évolution des marchés, a en effet répondu une organisation de l'emploi dont l'impact négatif porte directement sur les conditions de travail des personnes : flexibilité, précarisation, déqualification, adaptation permanente, main-d’œuvre périphérique employée sporadiquement. Dans le même temps que les conditions se dégradent, l'idéal d'un travail qui favorise la réalisation de soi ouvre grand le piège d'une personnalisation de la contrainte. Le management joue sur des critères qualitatifs qui impliquent la personnalité : créativité, initiative, réactivité. On évalue les performances selon des valeurs labiles (satisfaction des clients ou des usagers, par exemple). Ces nouvelles formes d'organisation du travail, qui entraînent l'augmentation des risques psychosociaux,  engendrent de nouvelles pénibilités psychiques, dévastatrices.


Les stéréotypes sur la Génération Y


D'un point de vue générationnel, l'enquête menée par les sociologues montre que l'engagement dans le travail ne varie pas essentiellement selon l'âge des individus. Mais l'instabilité et l'insécurité de l'emploi sont une constante dans la détermination du parcours des plus jeunes. Les membres de la « génération Y » font l'objet d'une littérature managériale aussi profuse que peu rigoureuse, estiment les auteures, qui alimente de forts stéréotypes comportementaux, comme celui du « fossé générationnel » qui rendrait impossible la coopération entre différents âges au travail. Plus réels, l'habitude de la précarité professionnelle, le plus haut niveau d'éducation – avec la désillusion liée au déclin du statut des diplômes sur le marché de l'emploi - et la féminisation des publics de jeunes travailleurs, conduisent à établir d'autres constats. 


Les vraies différences : TIC et rapport au savoir


Ce qui varie beaucoup, entre nouvelles et anciennes générations, c'est essentiellement d'une part la maîtrise (réelle ou supposée) des technologies de l'information et de la communication, et d'autre part le rapport à l'expérience et aux savoirs acquis. Mais ces caractéristiques seraient à nuancer : la maîtrise des TIC relève davantage d'une habileté instrumentale que stratégique, et elle présente une très forte hétérogénéité, parmi les « natifs  numériques » : la différence du degré d'instruction creuse ici un fossé important. L'inflation des diplômes dans les jeunes générations entraîne un effet de collision avec l'expérience des plus anciens ; cependant, la formation par les aînés demeure reconnue comme la meilleure source de professionnalisation. Mais là encore, la transmission a changé de forme : mieux scolarisés et mieux préparés, les débutants obligent leurs aînés à un retour critique sur leurs compétences, qui n'est pas toujours aisément supporté.



Derrière le discours préétabli d'une désaffection des jeunes pour le travail, se dissimule donc une situation complexe faite d'évolution du monde du travail, de la formation scolaire et professionnelle, des technologies instrumentales les plus usuelles. Pour les auteures, le monde du travail et de l'entreprise n'a pas réussi à gérer sa mutation d'une manière qui aurait permis de donner place aux attentes portées sur le travail par la population. Deux perspectives s'ouvrent à l'avenir :  exacerber la logique de la flexibilité et de la compétition au profit des plus armés, au risque d'un fort chômage de longue durée ; ou bien réinventer le travail selon d'autres priorités, comme celles des enjeux écologiques contemporains et de demande d'utilité sociale exprimée par les individus, en vue d'une meilleure intégration du travail dans une vie plus équilibrée. Un authentique choix de société.



Réinventer le travail, de Dominique Méda et Patricia Vendramin – PUF Le lien social – 258 p. 19,50€


http://www.puf.com/Autres_Collections:R%C3%A9inventer_le_travail



Sur le site du Café


Par JC Fumet , le mercredi 15 avril 2015.

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