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À la Une : Préjugés, stéréotypes, discriminations sexistes : comprendre pour agir 

Par Jeanne-Claire Fumet



Comment faire face concrètement, aujourd'hui, aux préjugés sexistes, au collège et au lycée ? Dans un climat tendu, où les propos des enseignants font l'objet d'un examen suspicieux, pas facile de trouver le ton juste, sans heurter les convictions ni se limiter aux images anecdotiques. Pour les professeurs qui doivent à la fois assurer leur enseignement, faire face à des situations concrètes qui demandent une réponse rapide et efficace, et rendre compte des présupposés de leurs propos, trouver l'attitude adaptée relève de la gageure. Hugues Demoulin, docteur en psychologie sociale, chargé de mission pour l'égalité entre filles et garçons dans l'académie de Rouen, propose, dans un ouvrage remarquablement éclairant, quelques outils pour mieux comprendre comment mener une éducation à l'égalité filles-garçons dans le cadre scolaire, par une démarche de fond qui dépasse l'action occasionnelle. Un point de départ précieux pour construire de solides projets scolaires contre les discriminations. 


Pour Hugues Demoulin, les principes d'égalité, mixité et parité font l'objet d'un consensus républicain, mais leur mise en œuvre suscite de vifs débats, liés en partie à la confusion qui règne en ce domaine. La psychologie et la sociologie ne sont pas elles-mêmes en accord, remarque-t-il, tant leurs approches spécifiques diffèrent : la première tend à naturaliser ce que l'autre analyse en termes de construction. Les enseignants, de leur côté, qui n'ont pas nécessairement de formation approfondie à ce sujet, ont surtout besoin de concepts éclairants : ils sont confrontés directement à la pratique. C'est à quoi s'emploie l'ouvrage que publie Hugues Demoulin aux éditions Canopé, Égalité, mixité : état des lieux et moyens d'action, clarifier et distinguer pour comprendre afin d'agir. Loin de la polémique sur la notion de genre, qui a secoué l'opinion l'an passé, il présente une explication sereine, précise et magistralement éclairante des repères notionnels qui permettent de s'orienter dans ce  domaine sensible.


Distinction entre égalité des droits, des chances et des capabilités, tout d'abord, pour éviter une confusion qui tend à rendre les victimes coupables des discriminations ; entre domaine juridique et action politique, ensuite, entre parité et mixité dans le domaine scolaire, entre genre et sexe, enfin. Comprendre de quoi l'on parle, pour saisir les faits et les interpréter correctement, afin de mieux cerner les finalités de la démarche, propose l'auteur : la question de genre met en cause l'ordre social et le système d'éducation qui contribue à le proroger. Il est utile de se questionner sur la légitimité d'une démarche qui opère dans un domaine de luttes encore conflictuelles (domaine des droits LGTB, par exemple) et qui heurte des préjugés récurrents. L'enjeu est de mesurer l'importance que l'on accorde à l'accomplissement des personnes, face à une exigence d'intégration sociale qui sacrifie volontiers les possibilités au nom de la préservation des habitudes sociales.


Question d'agir ensuite : comment mettre en œuvre une pédagogie pour l'égalité ? Quelles sont les ressources à mobiliser et les activités à mettre en œuvre ? Hugues Demoulin examine quelques axes de réflexion et d'évolution. La déconstruction des stéréotypes, d'abord : catégories cognitives, ils relèvent de croyances acquises que l'on prend pour des savoirs informatifs (par exemple : « les garçons ont besoin de se dépenser physiquement »). Ils sont à distinguer des préjugés, attitudes  évaluatives (généralement négatives) et des discriminations, qui sont des conduites pratiques n'impliquant pas une position de pensée particulière : on peut appliquer une politique de discrimination sans partager de préjugés. La question est de chercher comment éviter d'activer ces stéréotypes dans l'éducation, sachant qu'ils sont ancrés profondément dans l'imaginaire collectif.  Un autre axe de réflexion porte sur  les « minoritaires de genre », c'est-à-dire les élèves fortement minoritaires (en tant que filles ou garçons) dans leur environnement d'études ou de formation. Enfin, la réflexion sur les « compétences psycho-sociales » permet de s'interroger sur la manière dont les assignations de genre influent sur les capacités des élèves à développer des capacités nécessaires à leur bien-être.


Tous ces éléments incitent, comme le conseille l'auteur, à se pencher sur les manières de faire évoluer l'approche du genre à l'école, dans une perspective inter-disciplinaire et transversale, qui peut aussi faire intervenir la gestion des ressources humaines, le lien avec les parents ou les effets croisés du genre et de la culture. Comme le souligne Hugues Demoulin, c'est dans la vie quotidienne que les inégalités se naturalisent, c'est par l'éducation qu'elles peuvent se déconstruire.



Entretien avec Hugues Demoulin.

Après les polémiques de l'an passé sur la question du « genre » et les événements de janvier, les crispations rendent-elles le discours sur l'égalité plus difficile ?


Très honnêtement, je ne suis pas en mesure de répondre autrement que par des impressions, souvent indirectes de surcroît puisque je ne fais pas classe et ne suis pas cette année en contact direct avec des élèves ou des familles. Pour autant, étant chargé de mission à temps plein, j’ai eu cette année de très nombreux moments d’échanges avec des collègues au travers de formations, groupes de travail. Avec d’autres personnes de milieux associatifs et universitaires, j’ai également apporté ma contribution (en tant qu’auteur donc) à des réunions publiques que nous avons organisées sur le genre.


D’un côté depuis les polémiques de l’année précédente et face aux stratégies d’intimidation des groupes  qui les ont conduites, on observe une grande réticence à écrire le terme « genre », plusieurs articles ont confirmé ce fait. Mais dans le même temps, le concept semble s’être diffusé de façon positive : si on hésite à l’écrire donc, on l’utilise facilement, avec une demande explicite de compréhension. Je n’ai observé aucune réaction hostile de la part des collègues à ce sujet, bien au contraire, une fois identifiée la confusion majeure entre égalité et indifférenciation.


Il y a donc une réelle pertinence à parler de « genre » plutôt que de « fille-garçon »  ?


Pour paraphraser l’expression de Joan Scott1, le genre se confirme bien comme catégorie utile d’analyse pour les professionnel-le-s, mais est devenu un objet sensible de communication. Elles et ils y trouvent (enfin) un moyen de relier des observations jusqu’alors disparates, et de fonder des actions conjointes entre personnels exerçant différentes fonctions ou enseignant dans différents champs.


La réactivation institutionnelle de la dénomination « égalité filles-garçons », qui était très majoritaire dans les années 90, réintroduit malheureusement une bi-catégorisation qui restreint la réflexion et segmente le champ d’intervention.

Il me semble que l’on soit ainsi dans une double dynamique : d’une part une réelle volonté de faire progresser activement l’égalité et lutter contre les sexismes (j’y inclus l’hétérosexisme ou homophobie) dans une approche intégrée, abordant dans un même mouvement enseignement, vie scolaire, orientation et santé, comme en atteste la vigueur de certains projets en école, collège ou lycée. D’autre part une certaine inertie, et même une inertie certaine, confortée par des attitudes d’évitement, qui peut se traduire par un étouffement, plus que par une contestation, de projets.


La parole des enseignants est-elle plus surveillée sur les questions de discrimination ?


Il y a manifestement une difficulté réelle non seulement quant à l’attitude à adopter vis-à-vis des revendications identitaires, mais aussi face aux accusations individuelles d’attitudes discriminatoires, autrement dit défavorables à l’égard d’une personne en raison de son appartenance réelle ou supposée à une catégorie. S’il y a crispation, c’est peut-être dans le fait que les collègues se voient davantage interpeller sur leurs attitudes professionnelles, parfois accuser de propos ou de conduites discriminatoires, sans être en mesure de discerner ce qui justifie l’accusation, de devoir se justifier et de se sentir enfermé dans une réponse insatisfaisante limitée à la dénégation.


Le discours sur l’égalité est ainsi effectivement plus difficile, à la fois parce qu’il est contesté en tant que tel (on ne peut plus se contenter de la référence incantatoire à la valeur), et parce que le même terme est entendu dans des acceptions différentes par les protagonistes (égalité des chances, égalité des droits, non-discrimination, équité, etc.).


Comment faire face, concrètement, à ces difficultés ?


Les réponses simplificatrices ne suffisent pas, il faut nécessairement progresser dans une approche systémique de l’égalité. Dans cette optique, le lien entre sexisme et racisme apparaît très pertinent. La référence au racisme aide à comprendre le sexisme (assignation à une catégorie, différenciation, essentialisation, etc..) et à en mesurer l’impact. De la même manière, le sexisme aide à comprendre le racisme, en entrant par les processus tout en évitant les jugements ou les inhibitions sociales. Loin de les traiter de façon distincte, il m’apparaît au contraire essentiel dans le contexte actuel d’en proposer des approches conjointes, non seulement parce que ce sont les mêmes mécanismes qui sont en jeu et qu’ils s’éclairent l’un l’autre, mais parce que racisme et sexisme ont en commun de nous impliquer personnellement dans nos conduites professionnelles.


(1) Historienne américaine, spécialisée dans l'histoire des femmes, auteur d'études sur la catégorie de genre comme outil d'analyse historique.



Égalité, mixité - État des lieux et moyens d’action au collège et au lycée,

par Hugues Demoulin. Éditions Canopé – SCEREN, 250 p. 16,90€ novembre 2014.

ISBN/ISSN978-2-240-03456-4/2416-6448


http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?prod=1132005



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Par JC Fumet , le dimanche 15 février 2015.

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