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À la Une : Les nouveaux-nés favorables à Kant 

Par Jeanne-Claire Fumet



Espace et temps, formes originaires de la conscience ? C'est ce que confirmerait une étude sur la perception sensorielle des nouveaux-nés : leur réceptivité aux variations de phénomènes congruents et leur désintérêt pour les mêmes variations dans un contexte non cohérent sont établis. Quel rapport avec les formes transcendantales kantiennes ? L'intelligence humaine connaîtrait d'emblée les conditions spatio-temporelles de la perception sensible. En d'autres termes, nous serions spontanément disposés à nous représenter les données de l'expérience dans l'espace et le temps, selon une structure innée de notre sensibilité.


Dans le dilemme entre valeur subjective ou objective du temps, pris comme qualité des choses ou comme dimension de la conscience, l'avantage serait plutôt du second côté, celui de Kant et de Bergson que des physiciens positivistes. Le temps et l'espace ne seraient pas des données objectives acquises par l'expérience, ou même construites par raisonnement, mais bien des dispositions originaires intuitives de la perception humaine. Leur conceptualisation abstraite pour les besoins de la science serait donc secondaire, au regard de l'expérience intime de la durée et de la représentation spontanée d'un concret infini.


Nous avons questionné le Dr Maria Dolores de Hevia,  chercheuse au laboratoire de psychologie de la perception de l'Université Paris Descartes,sur le sens de cette découverte.


Pouvez-vous décrire votre expérience en quelques phrases ?


Nous observons des nouveau-nés parce qu’ils sont « vierges » de toute imprégnation visuelle de l’environnement et d’une manière générale, ils permettent d’éclairer la manière dont ils comprennent leur environnement dès quelques heures après la naissance. Nous faisons l’hypothèse que le cerveau du nouveau-né se prépare à devenir un cerveau adulte humain et donc doit présenter des caractéristiques communes avec l’adulte.


Nous utilisons des situations bimodales (dans cette expérience audition et vision) pour solliciter leur capacité à abstraire des informations de leur environnement et à les apparier. Les nourrissons, dès leur naissance, sont capables de détecter les invariants dans toutes stimulations sensorielles qui impliquent des variations. C’est une compétence innée.

En résumé, dans une première phase, on présente aux nouveau-nés une stimulation auditive (durée, quantités de sons, etc..) simultanément à une ligne qui bouge légèrement sur un écran (le mouvement attire mieux l’attention visuelle du nourrisson). Pour un groupe, une ligne longue (courte) est présentée avec un « son » long (court) et pour un autre groupe, une ligne longue est présentée avec un son court et réciproquement. Dans une seconde phase, le stimulus visuel et auditif change au cours des essais, soit de manière congruente soit de manière incongruente. Seuls les nouveau-nés du premier groupe sont capables de réagir à la cohérence des magnitudes.


Peut-on conclure de vos observations que la conscience subjective reposerait sur une faculté de synthèse sensible spontanément ordonnatrice (et pas seulement adaptative) ?


Je ne sais si on peut parler de conscience subjective, mais oui le nouveau-né a la capacité de  répondre aux situations qui ont une cohérence pour lui (et pour nous d’ailleurs) et refusent de répondre aux événements qui présentes une incohérence ou qui reposent sur des conflits perceptifs. Donc leur faculté est à la fois spontanément ordonnatrice et adaptative.


Quels éclairages complémentaires attendez-vous des expériences sur d'autres qualités perceptives (luminosité sonorité ...) ?


Bien que les adultes puissent relier n’importe quelle quantité à une autre, l’étude du nouveau-né permettra d’élucider si les liens entre le nombre, l’espace et le temps sont privilégiés dans le cerveau humain, comme Kant l’a proposé, ou si c’est une capacité plus générale, présente à la naissance, pour toutes les quantités.


Ces découvertes peuvent-elles orienter les recherches de pédagogie ou sont-elles trop éloignées de toute exploitation pratique ?


La pédagogie a pour objectif aussi d’apprendre aux enfants à faire des liens dans leur environnement, mais à des niveaux plus complexes. Cette prédisposition néonatale, d’établir des liens entre différents événements, doit pouvoir s’exercer à tous les âges de la vie dans d’autres domaines. Elle devrait être exploitée sur le plan pédagogique en fournissant aux enfants les informations intuitives que leur cerveau est déjà capable de relier afin que ces enfants sachent ensuite généraliser cette capacité à des niveaux plus complexes.



L'étude des Dr Maria Dolores de Hevia, Dr Véronique Izard, Aurélie Coubart, Professeur Elizabeth Spelke et Professeur Arlette Streri du Laboratoire de psychologie de la perception (Université Paris Descartes/CNRS/ Inserm) est publiée dans dans la revue PNAS.


Présentation sur le site de l'INSERM :

http://presse-inserm.fr/les-nouveau-nes-font-deja-le-lien-entre-le[...]


L'étude publiée dans la revue PNAS (en anglais) :

http://www.pnas.org/content/early/2014/03/12/1323628111.full.pdf+html



Sur le site du Café


Par JC Fumet , le mardi 25 mars 2014.

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