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Par Jeanne-Claire Fumet


Approches transversales : Dali, la science et la folie.

L'exposition Dali au Centre Pompidou connait la ruée qu'on pouvait attendre : l'artiste extravagant, maître dessinateur  et roué communicateur, fait toujours accourir le public. L'une des causes de cet engouement populaire pourrait résider dans la relation particulière du peintre avec la science de son époque : s'emparant des découvertes les plus complexes, le peintre les transpose en figures délirantes, pas plus insensées au regard du profane que ne l'est leur présentation scientifique, mais rendues comme accessibles à la pensée par les métaphores qui les portent. Vincent Noce, journaliste, critique d'art et écrivain, publie aux Éditions du Centre Pompidou La raison du fou : Dali et la science, un éclairage bienvenu sur les relations obscures de Dali avec les scientifiques de son temps.

Les montres molles, inspirées par les théories d'Einstein sur la relativité du temps, sont devenues l'emblème du peintre auprès du grand public : on en trouve des répliques chromées dans toutes les boutiques de décoration d’intérieur, comme en un temps des tournesols de Van Gogh. Mais le détournement commercial, dans le cas de Dali, ne fait que répliquer la manœuvre initiale de l’artiste :  Vincent Noce montre l'habileté du peintre à s'emparer, voire à transformer a posteriori en intuitions prémonitoires, la conversion de concepts savants en métaphores librement symboliques. Non que Dali manquât de sagacité en matière d'engouements intellectuels : il ne se trompait pas de cibles lorsqu'il poursuivait Freud ou le jeune Lacan, Albert Einstein, J. D.Watson ou le mathématicien René Thom. Mais s'il leur emprunte des sources d'inspiration, il sait ensuite glisser avec une souplesse remarquable d'un registre à l'autre du discours, de la physique aux sciences humaines ou à la psychanalyse, pour mettre ses élaborations mentales à l'abri de toute discussion rationnelle.

C'est par un autre tour de folie que le peintre, qui proclame n'être pas fou, s'empare des perplexités du grand public pour les hausser au rang d'énigmes picturales achevées. La matière corpusculaire des corps physiques fait perdre au monde sa solide substantialité : Dali amollit, liquéfie, ajoure et disperse les éléments d'un monde scindé en figures irréconciliables, celle du sens commun et celle de la science contemporaine. Mais c'est du côté du sens commun que le peintre déploie les arcanes de son imagination. Il offre au public les figurations sensibles que cette nouvelle schizophrénie cosmique exige du profane sans les lui permettre – figurations impénétrables, issues  la méthode paranoïaque critique, qui garantit à cette interprétation anamorphique et holographique du réel une juste distance intellectuelle. Affirmant ainsi que la perception aigüe d'une subjectivité lucide vaut davantage que les constructions théoriques mais conventionnelles de la science, il rend au profane une forme de légitimité dans son regard sur le monde.

Sans céder au procès facile contre le peintre mystificateur et volontiers cabotin, Vincent Noce met en relief la finesse avec laquelle l'artiste suit intuitivement les progrès de la science, sans peut-être y entendre grand-chose, mais en captant dans leur force d'évocation imaginaire de quoi  nourrir sa fantasmagorie, en phase avec les attentes d'un public désarçonné par les mutations des visions « objectives » de l'univers. Plus réellement médium que calculateur, en somme.

La raison du fou. Dali et la science. Editions Centre Pompidou. 128 pages, 12,50€.



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Par fjarraud , le samedi 15 décembre 2012.

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