A la Une : Nouvel enseignement de spécialité Droit en L : Une ouverture sur le réel ?  

Par Jeanne-Claire Fumet et François Jarraud



La réforme des lycées atteindra à la rentrée 2012 les classes de Terminale. Pour la section Littéraire, elle prévoit un nouvel enseignement de spécialité :  droit et grands enjeux du monde contemporain, dont l'enseignement constituera une petite révolution dans cette filière traditionnellement dévolue à la philosophie (8h hebdomadaires).  Apport bienvenu de connaissances précises dans le domaine juridique souvent méconnu des élèves ou instruction civique renforcée ? Cette nouvelle spécialité, qui a  pour vocation de sensibiliser les élèves aux études juridiques, plus porteuses en termes d'intégration professionnelle que celles de sciences humaines, ne doit-elle pas « normaliser » une filière parfois jugée trop détachée des enjeux sociaux du monde réel ? Principaux concernés par cette nouvelle discipline, les professeurs de SES, d'éco-gestion ou d'histoire – les professeurs de philosophie n'en sont pas exclus, à condition d'être titulaires d'un diplôme de droit ou d'I.E.P – devront gérer avec tact un programme particulièrement ambitieux.



Quelle spécificité pour ce nouvel enseignement ?


Les questions au programme seront abordées telles que le droit les conçoit et les problématise, en vue de solutions juridiques spécifiques, c'est-à-dire dans la perspective d'un traitement selon la loi, ses méthodes, principes et ses traditions. Le but : une compréhension « réaliste » des questions qui traversent notre époque, à partir de cas concrets et dans le cadre d'une généralisation éclairante (selon une démarche présentée comme inductive, à l'inverse des cours de droit universitaires qui partent des lois pour analyser les cas). Par la découverte de métiers du droit, du site Légifrance, dédié à la publication des textes légaux, et du rôle général du droit dans l'organisation de la société, on devra donner à l'élève une vision fonctionnelle et pragmatique de ce domaine dont en général, il ignore tout. 


Un contre-champ au cours de philosophie ?


L'enseignement de spécialité abordera les définitions fondamentales : la loi comme expression de la volonté générale, les principes de la légalité, la nécessité de la loi pour garantir les libertés, la responsabilité pénale, l'infraction et l'interdiction, etc., qui pouvaient jusqu'alors être évoqués en ECJS et en philosophie - cette dernière apportant sur ces questions une réflexion critique et distanciée. Ce nouvel enseignement pourrait donc apporter aux élèves les éléments de connaissance positive indispensables à l'élaboration d'une analyse réfléchie des questions abordées en philosophie  et en nourrir utilement les développements. Mais la distance critique à l'égard des valeurs implicitement portées par le droit dans son exercice réel, demandera une vigilance particulière pour les enseignants : comment limiter l'adhésion indistincte aux normes admises, sans déstabiliser les contenus de connaissance exigées par le nouveau cours de droit ? Quand on sait combien les contenus positifs d'apprentissage ont la faveur des élèves, en raison du sentiment de sécurité qu'ils apportent, et combien le domaine législatif est empreint de traditions et de conventions entérinées par l'usage, que l'étude de la philosophie s'efforce d'éclairer dans leur relativité, on mesure la difficulté de l'harmonisation des approches.


Concepts juridiques versus notions philosophiques ?


Lorsqu'il s'agira d'expliquer la souplesse du droit, dans son interprétation, son évolution, ou son application pondérée par l'appréciation des conditions particulières, les « revirements de la jurisprudence » ou les arcanes du droit contractuel, sans donner le sentiment d'un arbitraire opportuniste, mais en maintenant l'attention sur le caractère discutable et révisable des décisions rendues, on conçoit à la fois l'importance d'une conceptualisation philosophique de ces questions et le risque d'alourdissement des contenus déjà vastes prévus par le programme. Les thématiques de la responsabilité, de la personnalité, du droit du travail, de la propriété ou du vivant, recoupent également certaines problématiques induites par le programme de notions de philosophie. Mais d'autres points du programme, comme le droit de la famille, risquent de soulever des problèmes délicats : comment aborder la question de la famille homoparentale, comme sujet de non-droit, par exemple ? Comment référer cette absence de réalité juridique à l'absence de définition juridique de la famille – sinon en référence à la définition canonique à titre de modèle implicite ? 


Un programme vertigineux.


A parcourir le programme proposé pour ce nouvel enseignement, on devine cependant que les sujets  étudiés ne bénéficieront pas d'un temps d'approfondissement suffisant pour en dégager les dimensions les plus problématiques : bioéthique, organisation politique de la France, droit et institutions de l'Europe, ONG, dangers d'internet et liberté de communication... Les indications de mise en œuvre, si elles ouvrent volontairement le plus large champ de possibles pour ne pas restreindre les initiatives des enseignants, permettent difficilement d'imaginer comment l'enseignant pourra venir à bout de présenter même succinctement ce très vaste ensemble de manière cohérente au cours de l'année scolaire, à raison de 3h d'enseignement hebdomadaire. Si on peut reconnaître à cette nouvelle discipline la vertu d'un contenu positif et programmatique, donc susceptible en principe d'une évaluation objective et moins aléatoire qu'une épreuve de réflexion créatrice, et son indiscutable intérêt pour les élèves, on peut cependant s'alarmer de l'incroyable diversité de ses contenus et de la difficulté d'en organiser le déroulement parmi les enseignements spécifiques de la section littéraire.


Le texte du B.O :

http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_o[...]

Le site du nouveau lycée réformé :

http://www.education.gouv.fr/cid50538/site-nouveau-lycee-2011.html

Le site de la Terminales 2012 :

http://www.education.gouv.fr/nouveau-lycee/la_term[...]



Sur le site du Café

Par JCFumet , le dimanche 20 novembre 2011.

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