1ères Rencontres philosophiques de Langres : « Que pensons-nous sous le titre de philosophie ? » 

Par Jeanne-Claire Fumet



La ville de Langres a sans doute rarement connu une telle affluence et une si belle effervescence intellectuelle : pendant trois jours, du 23 au 25 septembre, un panel des plus célèbres représentants de la philosophie universitaire s'y sont retrouvés, invités par Luc Chatel à rencontrer les enseignants du secondaire lors de conférences-débats autour de la question de la vérité, à l'occasion des premières Rencontres philosophiques de Langres. Sous la direction de l'académicien Jean-Luc Marion, l'opération a réuni près de 200 professeurs, invités dans le cadre de la formation continue et de nombreux curieux venus de leur propre initiative. Les enseignants ont pu aussi participer à des ateliers de travail et d'échanges sur les leçons transdisciplinaires qui peuvent être mises en œuvre dans le cadre de l’extension de l'enseignement de la philosophie en amont de la Terminale, tandis qu'un ensemble d'animations culturelles proposées par le Forum Diderot et la ville de Langres émaillait ces rencontres.


Luc Chatel : « Je crois que la mayonnaise a pris ». Venu se rendre compte par lui-même du succès de la démarche, le ministre Luc Chatel, croisé à la librairie philosophique ouverte pour l'occasion par des libraires de Langres et des éditeurs de philosophie, dans la cour du collège Diderot, semblait très satisfait. « Je trouve cette première édition très encourageante », nous a-t-il confié. « Les interventions sont d'un haut niveau de qualité, les enseignants paraissent très intéressés par les activités pédagogiques. Je crois que la mayonnaise a pris entre les enseignants et les universitaires. On a décloisonné les écoles, et le mélange a marché ! C'est le fruit de trente années de cheminement et d'efforts qui l'a permis. Et puis, le lieu s'y prête vraiment ! Donc, oui, je suis satisfait, et plein d'espoir pour la suite. »


Les rencontres philosophiques organisées à Langres, ville natale de Diderot, du 23 au 25 septembre, entendaient répondre à une double attente: préparer collégialement l'extension de l'enseignement de la philosophie, dans le cadre de l'actuelle réforme des lycées, et renforcer les échanges entre recherche universitaire et pédagogie scolaire. Selon Jean-Luc Marion, président du conseil scientifique des Rencontres, « le dialogue entre le lycée et l'université apparaît vital » dans une époque qui connait une « mise en cause, en crise et en danger de la raison » : les sciences « dominées par le projet technologique et donc politique qui en fixe les moyens et les desseins » témoignent du paradoxe de notre rapport aux savoirs, à la fois « démonstratifs et provisoires, certains et sans fondements », dont « l'exactitude ne parvient pas à la vérité ». Dans ce contexte de crise, il importe que « ce que nous prétendons enseigner [aux élèves] soit en phase avec les meilleurs résultats de la recherche la plus actuelle » : redéfinir avec rigueur le champ de la philosophie comme discipline rationnelle, ses difficultés et ses exigences intrinsèques, est une condition pour permettre à la philosophie d'exercer pleinement ses responsabilités face au trouble qui gagne le domaine des savoirs.


La philosophie, comme « amour de la sagesse », rappelle Vincent Carraud, professeur à l'Université de Caen, « ne l'est qu'à être tout aussi primordialement recherche de la vérité ». Qui d'autre qu'elle peut se prononcer sur la question des vérités du point de vue des conditions de possibilité de la vérité ? Interrogation fondamentale, qui doit se nourrir pour demeurer vive, des apports permanents de la recherche universitaire et des échanges entre les enseignants, amenés désormais à croiser les autres disciplines scolaires dans un exercice propédeutique dont les formes sont à inventer. Créer un laboratoire de la pensée vivante, à la croisée des recherches pédagogiques et scientifiques, tel est donc l'enjeu de ce rendez-vous, que le Ministère de l'éducation nationale veut désormais annuel et pérenne.

 

Des interventions de haut niveau. Pour ces Rencontres, le Ministère a demandé à l'élite de la philosophie institutionnelle de présenter l'état de la réflexion sur la question cruciale de la Vérité. Après Vincent Carraud, qui a ouvert le cycle de conférences avec une intervention sur « Recherche de la vérité et histoire de la Vérité », explorant la distinction entre vérité intemporelle et formes historiques de la recherche du vrai, à travers l'alternative d'une articulation temporalisée des moments successifs de la vérité, Jean-Luc Marion s'est interrogé sur les relations problématiques entre « Liberté et vérité », à travers les figures alternatives de l'évidence et du scepticisme, et celle de l'idéologie qui les accompagne. En seconde journée, Pascal Engel s'est interrogé sur le relativisme et le pluralisme : « Peut-il y avoir plusieurs vérités ? », pendant que Barbara Cassin, directrice de recherche au CNRS, examinait la relation entre « Vérité et relativisme ». Daniel Parrochia, professeur à l'Université de Lyon, s'interrogeait sur « La vérité et les sciences expérimentales » tandis que Danièle Cohn, professeur d'Esthétique à la Sorbonne, examinait la relation ambigüe et changeante, de Platon à Danto, entre « Art et vérité », et proposait l'élaboration du concept alternatif de justesse artistique. Roger Pouivet, professeur à l'Université de Nancy, devait s'exprimer sur « Croyance et vérité », et Stéphane Chauvier, professeur à la Sorbonne, sous l'intitulé : « La vérité a-t-elle un auteur ? » sur la question de la propriété intellectuelle dans le domaine aléthique (de l'ordre du vrai), distincte du domaine artistique : les vérités sont un bien commun, mais les phrases dans lesquelles leurs auteurs les expriment ne le sont pas. Francis Wolff, professeur à l'ENS Paris, devait clore le colloque par une conférence conclusive.

 

Des ateliers de travail pour les enseignants proposaient, en parallèle, des pistes de recherche et des moments d'échanges sur les thèmes transversaux pouvant faire l'objet d'un enseignement avant la Terminale : les Lumières en lien avec l'histoire, L'humanisme avec la Littérature, le concept d'évolution avec les SVT, les sources de la pensée économique avec les SES, la perception sous le regard croisé des sciences, des SES et des Lettres ; la distinction entre persuader et comprendre en français, et, en relation avec les professeurs de mathématiques, le hasard et la chance (probabilités et statistiques). Les inspecteurs en charge des ateliers reconnaissaient volontiers que les pratiques en classe n'avaient pas attendues la circulaire ministérielle qui les institutionnalise ; la reconnaissance officielle, cependant, offre un cadre et une souplesse qui en facilite la reconnaissance et l’insertion dans l'organisation des enseignements, tout en laissant la plus grande part d'initiative aux enseignants qui souhaitent s'y impliquer. Strictement soumise à la condition du volontariat, cette extension de l'enseignement de la philosophie, si elle n'ouvre pas à des moyens supplémentaires (qui auraient permis, par exemple, la généralisation de la philosophie dès la seconde en multipliant le nombre de professeurs), permet tout au moins de diversifier les pratiques en jouant sur les quotités horaires disponibles dans les établissements – les interventions peuvent s'étendre de 2h à 36h maximum par année et par classe selon les projets.

Un programme alléchant, auquel était convié un panel de professeurs sélectionné par l'Inspection : « Nous avons voulu proposer cette action prioritairement à des professeurs déjà bien impliqués dans les actions de formation académique, explique Francis Foreaux, IA-IPR de Reims. Ce sont les mieux à même de jouer le rôle de transmetteurs auprès de leurs collègues. Nous voulions des participants volontaires et engagés : presque tous ceux que nous avions désigné ont répondu à l'appel avec enthousiasme. De toute façon, l'accès aux conférences et aux travaux est libre : tout le monde peut s'y joindre. D'ailleurs, beaucoup de participants sont venus de leur propre initiative. » A condition, bien sûr, d'assumer par leurs propres moyens déplacement, hébergement et restauration sur place. On peut espérer que l'action sera étendue, les prochaines années, à l'ensemble des professeurs dans le cadre de candidatures aux PAF (plans académiques de formation).

 

Jeanne-Claire Fumet


Le site officiel des Rencontres philosophiques de Langres :

www.rencontresphilosophiqueslangres.fr



1ères Rencontres de Langres : L'atelier de travail : « Hasard et chance » (mathématique, classe de 2nde)

Par Jeanne-Claire Fumet


Les Rencontres proposaient plusieurs ateliers destinés aux enseignants. Est-ce le fruit du hasard ? Notre choix s'est porté sur "Hasard et chance"...


Le passage des statistiques aux probabilités passe par une modélisation qui procède de la démarche d'abstraction : en écartant les données pour établir la structure de l'élément étudié, l'élève doit concevoir la possibilité d'un modèle valide détaché de tout contenu particulier. L'occasion d'examiner les conditions et limites du modèle au regard des normes et des paramètres engagés dans la construction du modèle. Plusieurs problématiques de nature philosophique peuvent être abordées de ce point de vue : la relation entre mathématiques et réalité, et la perspective de la maîtrise rationalisée du réel ; la notion de hasard, à travers l'arbre des possibles, et la question des imprévus ; la neutralisation de l'accident et de la dimension affective de l'attente, par la valeur d'équiprobabilité (principe d'une stricte égalité des possibles).


L'étude de textes de Pascal sur la théorie des partis (Lettre à Fermat du 29 juillet 1654), sur la géométrie du hasard (Adresse à l'Académie parisienne de mathématiques, 1654) et sur le pari (Penseés) permettent de remonter à l'origine de la théorie des probabilités avec deux élargissements possibles : l'un vers la théorie de la décision, la question de la règle d'action dans l'incertitude et de la justice dans un contexte aléatoire de répartition ; l'autre vers la pensée du risque comme limite extrême de ce que peut prédire la théorie des probabilités. On pourra ainsi aborder la raison à l’œuvre dans les sciences et la finitude de l'homme (cf. Pascal : « hasard donne les pensées, hasard les ôte ; point d'art pour les conserver ni pour les acquérir » Pensée 370 ).


Cette proposition, qui n'est qu'indicative et ne préjuge pas d'autres explorations possibles du même thème, suppose évidemment une mise en commun concertée des ressources des enseignants en mathématiques et en philosophie, afin d'étayer le discours croisé de l'un par l'autre. Il importe donc de ne pas négliger le travail préparatoire. Certains enseignants, présents lors de l'atelier, ont déjà travaillé en interdisciplinarité sur les théories de Pascal : les élèves de section scientifique semblent plus réceptifs à ces analyses, et davantage en première qu'en seconde. Un enseignant affirme cependant avoir déjà mené un travail de ce type en seconde, sur une séance d'une heure. D'autres ouvertures sont évoquées : en mathématiques vers la théorie des grands nombres ; vers les SES, sur la question de l'échantillonnage, des techniques de sondage, et des limites du sondage d'opinion comme pseudo-scientificité. La mutualisation des expériences menées devrait constituer un précieux vivier pour les initiatives à venir.



La circulaire sur l'enseignement de la philosophie avant la terminale :

http://www.education.gouv.fr/cid55161/mene1100064c.html

Ressources pédagogiques sur le programme de mathématiques :
http://media.education.gouv.fr/file/Programmes/17/9/Doc_[...]



Sur le site du Café

Par JCFumet , le samedi 22 octobre 2011.

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