Tozzi : Expliciter la démarche philosophique 

Par Jeanne-Claire Fumet

 

Pour la 7ème édition de son ouvrage Penser par soi-même, Michel Tozzi, chercheur en sciences de l'éducation et défenseur d'une initiation précoce à la philosophie, réaffirme les éléments de méthode qui favorisent l'apprentissage d'une pensée autonome. En explicitant les processus de la pensée rationnelle, il tranche une fausse querelle : pas d'acquisition sérieuse sans exercice personnel de la pensée, pas de liberté de pensée réelle sans maîtrise de la forme. S'adressant à tous les publics, lycéens ou adultes, cette propédeutique à l'autonomie de la réflexion ne résout pourtant pas entièrement la question délicate de l'accès à l'abstraction conceptuelle.

 

Placée sous la double recommandation des sciences de l'éducation (préface de Philippe Mérieu) et de la philosophie (postface de François Huguet), l'ouvrage de Michel Tozzi propose de découvrir de manière progressive les principales exigences du raisonnement philosophique, la conceptualisation, la problématisation et l'argumentation. Au départ, l'opinion personnelle – celle que l'on est censé forger et faire valoir comme marque de sa personnalité – est interrogée selon ses propres présupposés. Le lecteur découvre alors les questions implicites que ses certitudes tranchent sans les voir - ainsi des croyances théologiques sous-jacentes aux convictions morales, qui ne relèvent pas de l'évidence mais d'un questionnement complexe et ouvert. Il apprend à interroger le sens des termes, à élaborer une définition précise, à construire un questionnement encore insoupçonné et à le traiter selon des règles d'argumentation rigoureuses. De nombreux exercices et exemples facilitent l'appropriation de la démarche.

Cet ouvrage, dont la première édition date de 1996, ne tranche pas radicalement avec ce qui se pratique en classe de philosophie au lycée ; on le conseillerait volontiers à titre de propédeutique aux élèves des classes de Première qui voudraient se préparer aux cours de Terminale. On peut  espérer que les élèves trouvent dans la fermeté didactique et la richesse réflexive de cette initiation le ferment d'un réel intérêt pour la discipline et son exigeante démarche. Mais ce serait oublier une  dimension de la réalité scolaire : le livre s'adresse à qui veut bien le lire, à qui en ressent le désir ou l’intérêt raisonnable, il suppose un esprit disposé à se rendre attentif aux difficultés soulevées. Il ne résout pas le problème de l'appropriation volontaire de la démarche par un élève indifférent aux enjeux conceptuels des questions philosophiques. Il est assez courant d'éprouver spontanément de l'intérêt pour les questions d'opinion. Puiser à la source de l'expérience concrète, interroger préjugés et croyances communes, c'est le départ commun à tous les enseignements de philosophie ; mais la vraie difficulté réside ensuite dans le passage au concept, ce saut dans le vide qui répugne aux élèves et qu'on ne peut pas accomplir à leur place.

La méthode Tozzi propose de graduer ce passage en proposant des étapes progressives. Le chapitre 4,  Apprendre à conceptualiser philosophiquement des notions, analyse en détail le travail de définition :  construction de distinctions, étymologie, champ lexical, réseau conceptuel, extension et compréhension de notions, mise en image, symbolisation, etc. - en explicitant clairement chacun de ces termes. Ce chapitre est éminemment éclairant si l'on s'interroge, en lecteur avisé, sur la manière de conduire la démarche avec ordre. Mais son degré d'élaboration conceptuelle présuppose déjà, de la part de l'élève, l'acquisition des compétences auxquelles il est censé se former ici. Il doit pouvoir se représenter intuitivement les implications qu'il est censé construire dans sa recherche ; à défaut d'un savoir préalable, implicite, il se trouve d'autant plus démuni que son bagage culturel est pauvre. Faire le tri dans les idées, les ordonner, les distinguer clairement, suppose de les avoir déjà beaucoup fréquentées par soi-même.

Il ne s'agit pas, bien évidemment, de négliger pour autant l'intérêt de cet ouvrage, qui peut être un outil précieux pour les enseignants, puisqu'il s'appuie sur des énoncés et des méthodes liés aux contraintes institutionnelles de l'enseignement de la philosophie dans le secondaire. Mais présenté comme une rupture avec la « philosophie des professeurs » (préface) ou la « philosophie institutionnelle » héritée de Victor Cousin (postface), force est de reconnaître qu'il ne propose pourtant pas  les éléments d'une refondation à nouveaux frais des pratiques enseignantes. Il en explicite, cependant, sur un mode didactique les attendus implicites ; ce qui constitue un éclairage loin d'être négligeable.

Jeanne-Claire Fumet

 

Michel TOZZI - Penser par soi-même, initiation à la philosophie. 7ème édition.

Editions Chronique Sociale, 7 rue du Plat – 69002 Lyon. 220p.



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Par fjarraud , le lundi 25 avril 2011.

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