A la Une : Évolution des pratiques : « La dissertation n'est pas le problème » 

Entretien avec Paul Mathias, Inspecteur Général de philosophie


Par Jeanne Claire Fumet


Alors que les établissements préparent en hâte les enseignements de philosophie en classe de Seconde et de Première voulus par le Ministre, l'évolution de l'enseignement de la philosophie semble s'imposer dans les faits, tandis que l'approche d'une nouvelle session du baccalauréat laisse prévoir de nouveaux débats sur la nature des épreuves de philosophie et leur évaluation. Pour Paul Mathias, Inspecteur général de philosophie, les enseignants doivent s'adapter davantage. 


L'actuel élargissement de l'enseignement de la philosophie au lycée est-il une promesse d'avenir, ou l'ultime tentative pour sauver une discipline moribonde ?


Je ne pense pas que la discipline soit moribonde ! Il y a un problème institutionnel de la filière littéraire, qui est dû à un manque de lisibilité : on pense parfois qu'elle ne conduit qu'aux CPGE littéraires, puis à rien, puisque seuls 5% environ d'étudiants réussissent les concours ENS. La rénovation des filières littéraires post-bac de 2007, le rapprochement entre ENS et IEP ou d'autres écoles, va avoir des effets considérables sur l'ensemble de la filière : on va se rendre compte qu'on y  apprend à raisonner, à juger, avec finesse et culture, de la réalité contemporaine et que cela rend capable de mener une carrière dans le journalisme, dans le domaine politique, le domaine commercial...

Quant à la philosophie, qui est la charpente de cette filière, elle connait un changement de situation objective : on n'a plus affaire au même public qu'à l'époque où une fraction étroite et privilégiée de la société française accédait au lycée. Mais loin de tomber en désuétude, elle est sanctuarisée en Terminale, dans les filières générales et dans les filières technologiques, et il n'est pas question pour le moment d'y renoncer. Ce que propose le Ministre, c'est de l'étendre à d'autres classes, selon des modalités différentes.


Peut-on en attendre de nouvelles formes d'enseignement de la philosophie au lycée ?


Chaque chose en son temps. Les professeurs de philosophie sont invités à se joindre à d'autres collègues, de SVT, de mathématiques, de langues, de lettres, d'histoire,  pour partager un intérêt pour une notion, un problème ou une difficulté et apporter un éclairage philosophique sur ces questions. C'est nouveau et ce n'est pas dans les habitudes ; il faut que tout le monde ait envie de bouger : partager le temps, les compétences, les élèves, et surtout travailler ensemble.


Dans un contexte de réduction drastique des horaires et des postes ?


Il n'y aura ni plus d'enseignants, ni plus d'heures d'enseignements distribuées. Il revient aux professeurs de se mettre d'accord pour partager quelques heures en collaboration, de manière amicale et fraternelle, afin de montrer qu'il y a des approches différentes sur de mêmes sujets.


Sans moments prévus pour la concertation ?


On ne rémunère pas le temps de préparation des cours, mais le temps de présence face aux élèves. Au lieu de préparer son cours tout seul, le professeur le préparera avec un autre professeur. Je ne vois pas le problème... Personnellement, je l'ai fait, au Lycée Henri IV en CPES, avec mon collègue de chimie, nous avons travaillé ensemble et partagé nos heures, très agréablement, même si cela nous a pris un peu plus de temps. Nous avons mené ce travail en classe pendant quatre heures.


Dans la filière L, on trouve parfois des élèves qui ne sont pas vraiment préparés à un programme aussi conséquent et exigeant en philosophie ; n'y a-t-il pas un problème lié à l'orientation ?


Si la filière L est une filière par défaut, alors oui ; mais si c'est une filière avec une ouverture réelle et des débouchés, alors l'argument ne tient pas. L'important est qu'on puisse tirer parti de ce qu'on a appris, pour réussir dans les études supérieures. Les CPGE concernent de plus en plus d'élèves. L'objectif de l’Éducation nationale est qu'elles ne soient plus le lieu d'exception pour des élèves d'exception, pour des catégories professionnelles d'exception. Il faut que tous les élèves méritants, tous ceux qui en ont envie également,  puissent accéder aux classes préparatoires, qu'il s'agisse de classes scientifiques, économiques ou littéraires.


Est-il question d'ouvrir des classes préparatoires supplémentaires, pour accueillir plus d'élèves ?


C'est une question technique et de gestion qui ne peut pas concerner l’Inspecteur général, qui n'a pas accès à ce type de dossiers.


L'évaluation au bac est toujours très discutée. Certains estiment qu'on demande aux élèves de réussir à l'examen ce qu'on ne leur a pas appris à faire, d'autres pensent que la dissertation reste la seule forme satisfaisante de déploiement de la pensée. Est-il prévu d'engager une réflexion sur ce problème ?


La question de la dissertation au baccalauréat est explosive parce qu'elle concentre de multiples désaccords et des positions très tendues, très opposées. Si on raisonne en termes pratiques, peut-on lui substituer  un autre type d'exercice ? Il y en a deux  : un questionnaire à choix multiples - mais on renonce à ce qui fait l'intérêt de la philosophie ; ou un oral, ce qui serait souhaitable pour bon nombre d'élèves bons raisonneurs, futés, capables de tirer parti d'un texte ou d'une question, mais qui aurait un coût démentiel, que l'institution ne peut pas assumer. Il y aurait aussi l'hypothèse du contrôle continu, qui reste une hypothèse. De toute façon, dès lors qu'il concerne des centaines de milliers de personnes, l'examen reste un problème très lourd, on ne peut pas le contester.


Personne n'envisage sérieusement les QCM ; mais n'y aurait-il pas d'autres formes d'exercices écrits, comme ceux qui sont pratiqués en classe pendant l'année, qui pourraient constituer un intermédiaire acceptable  ?   


C'est ce que l'on fait dans la série technologique, où il y a des questions sur le texte, avec une petite question de dissertation, mais qui renvoie au texte. Dans les séries générales, on essaie de préserver la spécificité littéraire plus approfondie de la dissertation. 


Mais la dissertation n'est pas le problème : c'est peut-être plutôt l'accord auquel il faudrait parvenir dans les commissions d'harmonisation du baccalauréat, sur les exigences et l'appréciation des copies. Il y a une très grande disparité dans l'appréciation que les professeurs peuvent avoir des dissertations. On peut se poser la question : est-ce que ce sont les élèves qui sont en cause, les exercices ou la diversité des regards portés sur les copies ?


L'évaluation des copies du baccalauréat est difficile, mais le principe devrait en être la bienveillance, eu égard à la rhétorique, aux connaissances acquises du candidat : il ne faut pas chercher à dénoncer les défauts de la copie, mais à en valoriser ses qualités : le contenu, la rhétorique, la langue, le raisonnement, la forme.

On ne peut guère demander aux jeunes gens d'être très pointus sur une question quelconque ; on peut leur demander d'être bons raisonneurs, d'écrire convenablement, de savoir plus ou moins de choses, de mener des raisonnements plus ou moins approfondis. Mais en tout cela, il faut faire preuve d'indulgence. L'image que peut avoir la philosophie dans le public, auprès des familles, des jeunes gens, tient davantage aux mauvaises expériences du baccalauréat qu'à l’excellent travail des professeurs.


C'est donc aux professeurs de s'adapter mieux à leur public ?


C'est très certain !


Ne serait-il pas alors pertinent de leur proposer une formation plus régulière, des moments de réflexion et de concertation hors de la période du baccalauréat, pour se remettre en accord sur les principes de méthode et d'évaluation ?


Pourquoi, dès qu'on entre dans la carrière on ne sait plus ? Ce serait quoi,  une formation plus régulière ? Former à quoi ? A l'accueil des élèves, à leur diversité ?


Plutôt se rencontrer autour de copies d'élèves et en discuter pour essayer d'harmoniser les pratiques et les exigences, essayer de construire d’autres approches ?


C'est une idée raisonnable. Mais le problème serait la mise en place, le dispositif, la mobilisation des recteurs, des corps d'inspection - et la bonne volonté des professeurs – je pense aux commissions d'harmonisation qui ne sont pas toujours très suivies, il est même arrivé qu'il n'y en ait pas du tout, du fait de l'environnement académique. Non, ce qui est important, c'est d'être à l'écoute de ses collègues dans ces réunions d'harmonisation du baccalauréat, pour réussir à s'entendre. 


Dans le cadre du cycle "Éducation et apprentissages à la lumière du numérique" des mercredis de Créteil, Paul Mathias présentera une conférence «  Au fil des écritures » le mercredi 30 mars 2011, à 16 h 30, à l'Université Paris 8 Saint-Denis Salle B 106 Métro : Saint-Denis Université.



 
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Par JCFumet , le dimanche 20 mars 2011.

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