A la Une : Une Histoire qui ravive les idées 

Par Jeanne-Claire Fumet et François Jarraud

 

 

Tracer en un seul volume les grands traits de l'histoire de la philosophie, sans sacrifier la rigueur à la brièveté ni la précision à l'amplitude, tout en restant lisible par le néophyte, tel est l'intenable pari lancé  par J-F Pradeau à travers cette Histoire de la philosophie d'un genre nouveau.

 

 L'originalité de l'ouvrage consiste à intercaler des articles synthétiques d'histoire des idées entre les notices consacrées aux principaux philosophes. Idée fructueuse, qui permet un parcours en trois dimensions : les doctrines exposées selon l'ordre de l'œuvre de leur auteur réapparaissent à différentes reprises, dans leurs relations réciproques au sein de problématiques plus vastes, sans rien perdre du saillant de leur originalité initiale.

 

Car les auteurs ne cèdent pas à tentation du lissage linéaire qui classerait chaque objet en son temps et son lieu, pour en simplifier l'appropriation : la démarche philosophique survit difficilement à la taxinomie. Au contraire, la diversité des contributeurs et le parti-pris d'approches résolument personnelles, sous la double contrainte de la brièveté et de la lisibilité, interdit une telle réification de la pensée. Les synthèses historiennes s'attachent à restituer l'esprit d'un mouvement plutôt que de fournir un bilan : ainsi  La science de la nature humaine  par F. Brahami, brosse de Montaigne à Kant l'émergence problématique d'un ego se fragilisant au fil de sa construction et se réalisant dans un volontarisme croissant; ou encore  L'âme mise à nu  par J-M. Vaysse, trame l'envers de la subjectivité moderne dans l'entrelacs de la réminiscence platonicienne et de la psychè freudienne, traversant les instanciations de l'âme depuis la  théologie jusqu'au positivisme, vers un horizon encore inconnu.

 

La dernière partie de l'ouvrage offre un abrégé passionnant des modifications profondes de la réflexion  philosophique nécessitées par  l'évolution des paradigmes scientifiques - qu'elle engendre et formule dans sa dimension épistémologique. On aperçoit ainsi comment les catégories traditionnelles de l'anthropologie naturaliste sont bouleversées par les avancées de la biologie (en particulier par la crise de la notion biologique d'individualité),  les neurosciences aiguisent la question d'une possible identité entre esprit et cerveau, la physique contemporaine disqualifie la majeure partie des catégories modernes pour ouvrir un champ métaphysique inédit, les mathématiques se retirent du monde en attente de la ré-assignation d'un sens aux objets dont elles traitent.

 

Tous ces rappels aux tâches passées et actuelles de la philosophie sont autant d'occasions de convoquer les grandes figures absentes de la liste des articles ; car c'est le prix inévitable de la brièveté de cette somme mesurée au plus juste, de ne pas s'encombrer d'exhaustivité. La gageure de ne pas sacrifier les références « mineures » est cependant remportée : on les retrouve en filigrane au long des articles transversaux. Autre choix assumé, celui de renoncer à expliquer longuement ce qu'on suppose connu d'un lecteur informé. L'ouvrage y gagne beaucoup en séduction, mais risque de le rendre parfois inaccessible au vrai débutant, qui se sentira étranger aux implicites qui sous-tendent la plupart des questions.

 

Difficile pour le néophyte, cette Histoire n'en présente pas moins une riche matière pour les autres lecteurs : la plupart des questions étudiées en classe de philosophie peuvent  y puiser une matière riche et renouvelée. On s'apercevra ainsi que des  problématiques que l'on croit épuisées parce qu'on n'en voit plus le ressort interne, gardent toute leur actualité lorsqu'on les pense à nouveaux frais.

 

Jeanne-Claire Fumet

 

Histoire de la philosophie, sous la direction de Jean-François Pradeau, Le Seuil Collection Sciences humaines., 2009, 795 p.

 

Sur le site du Café
Par fjarraud , le jeudi 15 octobre 2009.

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