Pratiques : Faire de la philo en classe d'accueil? 

Par Jeanne-Claire Fumet et François Jarraud



Marine Lostia, professeur de philosophie remplaçante dans le 94, vient d'enseigner le français pendant quelques mois dans une classe d'accueil pour élèves étrangers, au Collège Jean Macé de Fontenay-sous-Bois. Une expérience singulière, riche de sens, mais qui ne laisse pas indemne.


Comment êtes-vous arrivée sur ce poste ?


Je rentrais de l'étranger. J'avais enseigné plusieurs années en Tunisie et au Maroc, et l'agilité de pensée des élèves bilingues m'avait frappée. J'ai préparé une Maîtrise de FLE (français langue étrangère) pour explorer les ressources du multilinguisme dans la formation scolaire. Comme il n'y avait pas un besoin immédiat de remplaçants en philosophie, le Rectorat m'a nommée sur la Classe d'Accueil de Fontenay.


Vous sentiez-vous préparée à ce rôle ?


Vraiment pas ; mais le projet m'a plu. Il devait s'agir, en principe, d'élèves de 11 à 15 ans, non francophones et déjà scolarisés dans leur pays d'origine. La CLA leur est ouverte pour un an afin de leur permettre d'intégrer le cursus scolaire normal. La réalité s'est révélée différente: des jeunes de 12 à 17 ans, certains francophones, certains jamais scolarisés, avec une très grande diversité d'âges et de niveaux, des dispositions et des situations variables, des arrivées et des départs tout au long de l'année... Un jeune Arménien de 16 ans non francophone est entré en classe au mois de juin.  


Comment se passe concrètement le quotidien d'une classe d'accueil en FLE ?


Dans une très grande tension. D'une part parce que l'attente des élèves est énorme ; l'intégration, pour eux,  est un enjeu vital - et le nombre de places est limité. L'échec y est très mal vécu. L'hétérogénéité est parfois redoutable : niveaux,  âges, statuts, origines (16 nationalités dans un groupe de 18) et rythmes d'intégration sont tous différents. Il faut constamment composer aussi avec les problèmes médicaux, sociaux, judiciaires, le passé très lourd et les charges parfois écrasantes des élèves, et tenter de ne pas oublier que ce sont quand même des enfants.


L'enseignement comprend un horaire réduit pour favoriser le français (12h hebdomadaires) pendant un an, avant l'orientation vers un cursus traditionnel ou professionnel. La durée était double  auparavant, avec un accueil par classes de niveau. On ne peut que regretter cette restriction. Si la loi stipule que tout enfant doit être scolarisé jusqu'à 16 ans, cela suppose qu'en l'accueillant, on lui offre un minimum de chances de réussir.


Trouvez-vous des liens entre ce travail et l'enseignement de la philosophie ?


Les premiers temps, c'était impossible. Puis j'ai essayé d'inventer des solutions avec les moyens que m'offrait la philosophie : des questions, des textes, des problèmes, dont l'universalité m'a aidée à franchir les barrières des particularités culturelles. Ainsi la question de la religion et de la morale avait du sens pour des élèves presque tous religieux. La petite collection des « Goûters philo »  m'a fourni des textes simples mais pleins de sens. Un travail sur Platon et le mythe de Gygès (ce berger qu'un anneau rend invisible et qui peut tout commettre sans être vu ) les a captivés. Un de leurs rêves les plus fous, s'ils devenaient invisibles, serait de manger à satiété...


Cette expérience va-t-elle modifier votre regard sur l'enseignement?


Ma vision de l'école a changé. Je suis fille d'immigré italien et je crois aux valeurs d'intégration et de promotion par l'école. Mais je doute qu'elles puissent se réaliser dans ces conditions. Quand le collège devient un lieu de découverte de la violence au quotidien, de la peur et de l'échec, comment l'école peut-elle empêcher les déterminismes sociaux de façonner l'avenir des élèves ?

J'ai vu de près ce qui arrive quand l'institution ne parvient pas à remplir son rôle : désapprendre, se renfermer, rejeter ce en quoi on a cru, d'autant plus violemment que l'espoir était immense. Il est possible et nécessaire de remédier à cela.


Comment envisagez-vous la suite de cette expérience ?


Je ne sais pas encore si je retournerai sur ce poste à la rentrée. J'aspire à retrouver des conditions de travail plus classiques - et en réalité plus vivables. Se battre avec tout son courage et  toutes ses forces ne peut pas remplacer l'engagement réel des pouvoirs publics.  Pourtant, je suis certaine qu'un autre travail est possible : sur le terrain, le sentiment permanent de l'urgence et du danger empêche de construire des solutions stables, mais on se rend compte que le travail en groupes dédoublés, avec des niveaux proches et des rythmes réguliers donnent de bons résultats. Il faudrait aussi pouvoir parer à tout le reste : la détresse psychologique, la misère sociale, le manque de soins médicaux... S'interroger aussi sur la place des filles, peu nombreuses en classe, leur statut dans un milieu où les films pornos ont tendance à devenir la culture commune minimale.


Donner suite à cette expérience, pourquoi pas ? Mais pas dans l'improvisation et le dénuement. L'accueil des jeunes étrangers est un problème marginal pour notre institution, mais c'est pourtant un problème essentiel : il concentre les difficultés les plus aigües du système et peut nous aider à mieux les comprendre, si on prend la peine de les examiner.


Entretien : JC Fumet.


Sur le site du Café
Par fjarraud , le mardi 15 septembre 2009.

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