Entretien : Initier à la réflexion philosophique en classe de Seconde 

Par François Jarraud



Initier de jeunes lycéens à la philosophie cela a-t-il un sens ? Oui si cela appuie une réflexion interdisciplinaire. A l'origine de cet article, une rencontre et surtout une remarquable présentation lors du Forum des enseignants innovants et de l'innovation éducative de Roubaix en mars 2009.


Comment est né ce projet ? Qu'en attendiez vous ?


Ce projet est né d'un double constat : d'une part, les programmes d'histoire et de lettres suscitent souvent des questions générales de la part des élèves : pourquoi le temps ne peut-il pas revenir en arrière? est-ce qu'on a tort de croire en Dieu? pourquoi la morale change-t-elle selon les époques? et bien entendu: pourquoi se pose-t-on des questions? ... Or ces interrogations ne peuvent souvent pas être traitées en cours ; elles n'appellent pas des réponses mais une analyse philosophique des raisons qui les suscitent.


D'autre part, la philosophie est souvent mal connue des élèves : certains hésitent à choisir la série L sans savoir en quoi consiste la discipline principale, d'autres regrettent de n'avoir eu qu'une année pour la découvrir. Ce projet permettait donc à la fois d'explorer les interrogations en suspens, afin d'offrir un arrière-plan spéculatif approfondi aux autres enseignements, et de faire découvrir la discipline pendant l'année de détermination. 



Comment ça s'organise dans l'emploi du temps des élèves ?


Avec l'accord du chef d'établissement, nous avons opté pour une heure hebdomadaire obligatoire, s'ajoutant à l'emploi du temps normal de la classe. Cependant, l'effectif (34 élèves) ne permettait pas une gestion assez souple des interventions. J'ai donc séparé la classe en 2 groupes, soit une heure d'enseignement par quinzaine pour les élèves, au terme du premier trimestre. Cette périodicité n'est cependant pas tout à fait suffisante pour conserver la dynamique de la réflexion.



Comment ont été choisis les sujets ? Comment cela s'articule-t-il avec les cours de français et histoire ?


Le choix des sujets reposait initialement sur des problèmes métaphysiques ou existentiels apparus  en cours de français et d'histoire. Ainsi le thème du mythe ouvre la question de l'écart entre réalité et vérité, de la coexistence d'une pensée qui intègre l'homme au monde et l'aide à vivre et d'une pensée qui objective et déréalise l'univers mais le soumet à l'action technique efficace. En histoire, le modèle de la démocratie athénienne permet de réfléchir sur l'étrangeté d'une égalité juridique s'appliquant à des êtres ontologiquement hiérarchisés, et sur les conditions de légitimité d'un ordre social conventionnel.

Rapidement, les élèves se sont appropriés le choix des sujets, qu'ils estimaient trop « scolaire » : la réflexion se fonde sur une question qu'ils proposent (ex.: pourquoi on souffre?), ou inspirée par une remarque incidente (ex. que veut dire « je ne sais pas »?) ou par un événement (ex.: « pourquoi manifester son mécontentement? ») L'élaboration du problème se fait alors en direct - et les difficultés de la démarche apparaissent sans fards.



Pourquoi le choix de travailler l'oral ?


Le passage à l'écrit est souvent une source de blocage et de frustration pour les élèves : ils ne reconnaissent pas dans leurs productions ce qu'ils voulaient exprimer. En philosophie, l'exigence de rigueur et de cohérence discursives sont des enjeux majeurs ; mais comment faire comprendre aux élèves que l'accession à leur propre pensée est au prix de cette contrainte?

Le travail oral permet à la fois de mettre en valeur des intuitions perspicaces, et de montrer ce qui fait l'embarras d'une pensée confuse : réflexion mal ordonnée, choix des termes imprécis, etc.,   qu'un échange critique suffit souvent à améliorer. On dissipe ainsi l'illusion d'une impuissance à penser qui justifierait le recours opiniâtre aux préjugés. Mais l'écueil d'un « débat d'opinions », nourri de réactions infondées, n'est jamais loin. Il faut veiller sans cesse à rappeler les exigences d'une discussion rationnelle. 

L'utilisation du blog de classe permet de renouer avec l'écrit, selon une formulation personnelle moins convenue qu'un exercice scolaire, mais moins arbitraire qu'une opinion spontanée. Il permet aussi l'émergence d'idées inattendues et de remarques libres.



Par rapport à vos attentes, qu'est ce qui a bien marché ? Et moins bien ?


Les élèves ont découvert la différence entre répondre et comprendre ce qui est demandé. Cette suspension du jugement ne va pas de soi : il faut accepter l'absence de solution univoque et faire l'essai de positions différentes de ses croyances naturelles. Beaucoup ne s'étaient jamais interrogés sur le sens de notions simples mais abyssales dans leurs implications (liberté, vouloir, utilité, désir...). Ils se sont aperçus que leurs préoccupations recoupaient des  interrogations  atemporelles. « A quoi sert-on? » ont-ils proposé comme premier thème libre ; et la question de la finalité de l'existence humaine n'avait alors rien de théorique à leurs yeux. A des degrés différents, je crois que chacun s'est senti tour à tour concerné par une des problématiques évoquées.


La participation au Forum a joué un rôle inattendu : certains se sont mobilisés pour la préparation du poster (par un texte, un schéma, un dessin) alors qu'ils restaient en retrait dans les discussions. D'autres ont exprimé leurs réticences, et sont ainsi entrés à leur tour dans le travail de réflexion.


Par contre, certains élèves hésitent encore à formuler par écrit des idées qu'ils craignent « fausses », alors qu'ils parviennent très bien à s'exprimer sur le blog de classe en français. Ils considèrent l'analyse conceptuelle de leurs productions littéraires comme une critique. L'enjeu majeur et la difficulté principale du projet résident dans l'accès aux abstractions conceptuelles, qui n'est pas simple pour nos jeunes élèves.  Après l'expérience du Forum, est née l'idée de réaliser de petits livrets sur les thèmes philosophiques de leur choix, rédigés et illustrés par eux, à destination de leurs camarades de l'an prochain : ce peut être une manière d'apprivoiser la difficulté. 



Quel avenir pour ce projet ?


Nous étudions actuellement plusieurs hypothèses : continuer avec une autre classe l'an prochain, peut-être sous forme d'option, suivre cette classe en première (en insérant l'analyse de textes et le travail écrit), ou encore transformer le contenu du cours selon une perspective transversale plus marquée. La décision dépendra en partie des moyens horaires disponibles l'an prochain et du bilan de ce travail en fin d'année. 


Mme Fumet (Philosophie)
et Mme de Vulpillières (Français), Mme Strohman (Histoire)



Sur le site du Café
Par fjarraud , le vendredi 15 mai 2009.

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