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Dans la peau (numérique) d'un artiste 

« - Qui est Georges Perec déjà ?

- C’est moi !

- Qui a le rôle de Bansky ?

- … »

 

Cet étonnant dialogue entre enseignante et élèves se déroule dans une salle de classe du collège Nikki de Saint Phalle à Valbonne. Dominique Khaldi, professeure de lettres, et Jérôme Sadler, professeur d’arts plastiques, y mènent une passionnante expérience d’exposition virtuelle, créative et interactive, qui invite des élèves de troisième à échanger à travers « un réseau social fondé sur l’amitié imaginaire d‘artistes du XXème siècle ». Recherches documentaires, biographiques et notionnelles, productions visuelles, jeu de rôles via le site Pearltrees où les élèves resserrent les liens et font vivre des débats esthétiques … : le projet permet de créer une intimité intellectuelle et affective avec des artistes, de s’approprier des connaissances en histoire de la peinture et de la littérature, de développer des compétences argumentatives par une réflexion sur les formes et enjeux de la création.

 

« Notre travail, témoigne un élève, c’est de nous mettre dans la peau des artistes et de dialoguer entre nous. Cela permet de vraiment découvrir leur univers. C’est intéressant de mêler l’écriture à la peinture »

 

 « Travailler sur un réseau social, ajoute un autre, c’est plus marrant que d’apprendre une poésie par cœur. Là on vit vraiment à travers les yeux de notre artiste. On défend les idées de notre artiste. Il y a des artistes qui ne se connaissaient pas forcément et là on imagine ce qui se serait passé s’ils s’étaient rencontrés. »

 

Traverser les écrans, les époques, les formes artistiques, les disciplines scolaires, les identités individuelles… : le projet illustre la capacité du numérique à bousculer les habitudes et à libérer des enfermements. Le décloisonnement est ici radical : il invite, pour revitaliser les apprentissages, à relier au lieu de séparer.

 

  Comment s’est opéré le choix des artistes ?

Nous fêtons les 10 ans du collège et célébrons l’artiste  “Niki de Saint Phalle” qui lui a donné son  nom. Le FRAC (Fonds Régional d’Art Contemporain), partenaire de l’espace culturel, n’est pas en mesure d’installer, cette année,  un accrochage en raison de sa restructuration dans un nouveau bâtiment. L’espace culturel est donc vide. C’est comme si “L’exposition du vide” de Yves Klein (l’exposition Klein chez Iris Clert, 1960) avait été conviée. Pour pallier cette absence d’œuvres exposées, la contourner, nous avons imaginé de convoquer alors, ailleurs, dans un autre espace, celui du réseau  social, un corpus d’œuvres littéraires et plastiques qui seraient les fac-similés  des créations emblématiques, des artistes environnant Niki de Saint Phalle.


En Arts Plastiques, il a été fait  naturellement usage des membres de l’école de Nice, les Nouveaux Réalistes, Klein, Saint Phalle, Cesar, Christo, Arman, Tinguely... des postures qui, en leur  temps, ont questionné, à plusieurs,  sous forme de performances, d’happenings, précisément  le statut de l’objet, de l’œuvre d’art, les manipulant afin de les amener  vers leur propre dématérialisation.

En Lettres, il a été fait usage des membres de l’OuLiPo (Queneau, Perec,  Roubaud, François Le Lyonnais...) et de leurs travaux sur le langage pour le renouveler en multipliant les ressources qu’offrent  les jeux sur les phonèmes, la typographie, la polysémie, les pratiques combinatoires de substitution. Ces contraintes d’écriture se font naturellement l’écho  des contraintes rencontrées dans toute la littérature. Elles  partent à la conquête  des potentialités de la langue et  cherchent à faire reculer leurs  limites. Un atelier, un laboratoire d’écriture qui aurait pour objet de faire exister l’œuvre en elle-même et d’ouvrir de nouveaux espaces (cf. La Vie, Mode d’Emploi de  Georges Perec, une des plus grandes réussites oulipiennes).

 

  Vous avez créé un « répertoire lexical plastique et littéraire » : pouvez-vous expliquer ce dont il s’agit, donner des exemples, expliquer comment il a été construit et comment les élèves se le sont appropriés?

Cette lecture ludique, participative, relationnelle et interactive emprunte  alors des écritures parodiques pour la dire. Elle révèle une curiosité intellectuelle et culturelle qui implique une connaissance des œuvres et des esthétiques dont les élèves sont les dépositaires. Pour converser, il faut du vocabulaire, pour créer il faut se référer, dépasser et innover.

La construction d’un stock lexical est  à chaque fois l’amorce de nos séquences transversales. Ce réservoir de mots tisse les Lettres et les Arts Plastiques. C’est un lexique appartenant  aux différentes esthétiques disciplinaires. Il est complémentaire. Il rend lisible et visible la  perception que les élèves peuvent avoir des œuvres lues, exposées, visitées. C’est à partir de ce matériau lexical que se créent des contacts sur le réseau.  A notre grande surprise les élèves ont très rapidement intégré ces postures. Certainement  parce que  les réseaux sociaux,  dont ils sont  les principaux utilisateurs, mettent en scène  des échanges dont ils possèdent les codes. Et c’est avec une véritable jubilation, celle du jeu créatif de pastiches commentés que  ces collégiens ont “absorbé”, à travers cet échange, le paysage culturel de la 2ème moitié du XXème siècle.

 

Les élèves ont créé des premières de couverture  pour les biographies ou autobiographies des artistes qu’ils avaient choisis : concrètement, comment ont-ils réalisé cette tâche ? quelles compétences cette étape de travail a-t-elle développées chez eux ? comment ces productions ont-elles été valorisées ?

Le numérique fait partie intégrante de l’enseignement des Arts Plastiques. Les œuvres références sont projetées pour être analysées. Les élèves construisent des images fixes ou animées, des modélisations 3d en classe ou en salle réseau. Les tablettes commencent à faire partie également  des usages. De nouvelles postures apparaissent. Il s’agit alors de construire une situation  plus complexe où la retouche d’image, l’image composite ne sont qu’une partie du tout. Les élèves doivent s’identifier aux artistes, s’approprier leurs démarches pour investir l’espace culturel et commenter leurs pratiques en réseau. Avec les logiciels de retouche d’image (Gimp ou Photoshop qu’ils ont l’habitude d’utiliser), ils ont réalisé la couverture du catalogue qui célèbre l’événement. Puis le travail plastique s’est poursuivi à travers la conception d’artefacts simulant l’accrochage, au sein de l’espace culturel. Leurs œuvres numériques et pastiches remplacent les originaux. En effet, il était plus intéressant de produire des faux à l’aide des outils de la retouche d’image (comme l’outil tampon par exemple) que coller, depuis le moteur de recherche, la peinture ou la sculpture de l’artiste choisi. C’est un dispositif du “prêt à faire” (initié par “le principe de  ready made “ de Duchamp) qui permet ainsi, tout en  questionnant le statut de l’œuvre d’art, à l’ère de sa reproductibiltié, chez les artistes néo dada et conceptuels,  dans une monstration virtuelle, de préparer fructueusement  des échanges possibles et  à venir.

 

Vous avez utilisé le site « Pearltrees » pour faire vivre aussi  le projet : pouvez-vous expliquer en quoi consiste ce site et quelle utilisation vous en avez faite avec les élèves ?

Il fallait trouver un réseau social sécurisé, pour faire converser ces nouvelles identités à partir des détournements réalisés. Le réseau social devait être un agrégateur heuristique d’œuvres commentées, le nouvel espace culturel, la nouvelle ressource de proximité, à la fois immatérielle, intemporelle et virtuelle: permettant un  espace “d’appren-tissage” pour s’approprier autrement ce qui  s’exposait : les démarches des artistes qui ont côtoyé Niki de Saint Phalle. Après avoir fait un repérage sur les réseaux possibles existants, Peartrees nous a semblé être le plus sécurisé car il n’a pas été conçu comme un réseau social traditionnel et n’est  donc pas ou peu pollué.  C’est un outil de curation (il permet d’archiver des ressources sous formes de perles pour les partager). Il autorise le commentaire sur un lien, une image, une vidéo. L’idée de détourner également cette interface nous a particulièrement séduits. Ainsi une écriture ouverte s’est construite en rhyzome (chaque perle peut  être déplacée pour se raccrocher à une autre).  Chacun (élève et professeur) est venu “ se  raccrocher “aux échanges de l’autre, l’interface permettant de savoir où et comment chacun dialogue autour de l’œuvre, de la démarche de l’artiste et de l’écrivain.

 

Le projet semble transformer une exposition en un extraordinaire jeu de rôles numérique : au final, quel bilan d’une part le professeur d’arts plastiques, d’autre part la professeure de français tirent-ils de ce dispositif original ?

Lorsque nous avons défini l’espace culturel, un an après notre arrivée dans le collège, il y a maintenant 9 ans, nous avions l’habitude de façonner chacun de notre  côté des pratiques d’écritures devant œuvres d’art. C’est aux différents vernissages que venaient dialoguer nos travaux accrochés côte à côte : pratique plastique d’un côté et écriture poétique de l’autre. Le numérique est venu métamorphoser nos champs disciplinaires respectifs en nous convoquant sur les mêmes plateformes, sur tablettes, puis en réseau. Cette surexposition heuristique en réseau est donc la continuité de nos écritures numériques devant œuvres d’art. Cette fois-ci, c’est le principe de  détournement qui façonne l’œuvre  exposée à l’aide de commentaires questionnant ces  objets exceptionnels.

 

L’expérience semble avoir la vertu de dépasser bien des cloisonnements pour susciter de nouvelles interférences : français / arts plastiques, passé / présent, texte / image, artiste / élève … En quoi ces interférences vous semblent-elles fructueuses ?

Ce pôle Lettres et arts Plastiques nous permet, depuis 10 ans, de doubler les synergies dans un décloisonnement relationnel, collaboratif, participatif, à partir de l’espace culturel et ainsi de propager, nous l’espérons, en ce début du XXIème siècle les valeurs de la culture humaniste.
A partir d’une rencontre avec l’œuvre, de croisements disciplinaires, les élèves s’investissent, alors naturellement, dans une pratique plus complexe d’écritures numériques  augmentées, dans la construction d’un savoir où ils s’approprient la démarche de l’artiste, son esthétique et celle du mouvement dont il est issu. Cet enrichissement se retrouve dans la constitution des objets d’études à l’épreuve finale d’histoire des arts.

Ces différentes expérimentations numériques nous encouragent à croiser nos pratiques une nouvelle fois. Ainsi,  l’année prochaine nous allons nous approprier,   numériquement,  l’espace urbain de Valbonne et de la technopole de Sophia Antipolis dont la devise est ” ici, le futur prend ses racines”. Sous quelle forme? Nous ne le savons pas encore, probablement  de nouvelles  interfaces nous inspireront.

 

 

Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut

 

Présentation en vidéo :

http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=ZMXjIWUTy3o#!

Le pearltree :

http://www.pearltrees.com/#/N-f=1_7758852&N-fa=7758852&N-[...]

Sur le site du collège :

http://www.college-niki-de-st-phalle.fr/index.php/matieres/arts-plastiques/129-surexposition

 

Prolongements : cette action fait suite aux trois expérimentations PASIE, Lettres et Arts Plastiques menées depuis 2009 …

- Les Portes du Temps : Installation numérique de poésies commémoratives augmentées textes/images, lors de la célébration des 40 ans de la technopole, Sophia Antipolis, en 2009.

http://www.ac-nice.fr/arts/indexporte.htm

- A Propos de Nancy Crater :  Un récit de science  fiction  littéraire et plastique à travers lequel les élèves s’approprient les références aux deux programmes en “revisitant “ les oeuvres étudiées par le biais d’une écriture participative, collaborative et relationnelle. Cette expérimentation a eu lieu en 2010-2011 et a participé à une édition nationale, dirigée par EDUSCOL, “Lire-Ecrire-Publier à l’heure du Numérique”

http://www.college-niki-de-st-phalle.fr/index.php/m[...]

-  Archi-textures ou la Tavoletta tactile : Appropriation d’une architecture de proximité, patrimoine du XXème siècle, qui a pris la forme d’écritures  augmentées à la fois poétiques et autobiographiques sur tablettes en 2011-2012. Cette action présentée en novembre 2012, lors du séminaire national, “Les Métamorphoses de l’Œuvre et de l’Ecriture à l’heure du Numérique : Vers un renouveau des Humanités ” a fait également l’objet d’une publication nationale.

http://www.college-niki-de-st-phalle.fr/index.php/matieres/arts-plastiqu[...]

 

 

Sur le site du Café
Par fsolliec , le jeudi 23 mai 2013.

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