Des devoirs de français sur Twitter 

 

 

Un projet pédagogique d’Annie Côté

Au Québec, à l’École secondaire Les Sentiers de Charlesbourg, Annie Côté enseigne le français à des élèves âgés de 16-17 ans. Durant plusieurs semaines, elle a leur a proposé des devoirs de français sous forme de tweets : un projet original pour susciter l’investissement, favoriser la créativité, améliorer la maîtrise de la langue. L’enseignante elle-même fignole le libellé des devoirs sous forme de gazouillis en 140 caractères, comme dans le sujet suivant : « Devoir: donnez une définition. Donc définissez, dépourvus de doutes et de défectuosités, dais, davier ou débuché. Dans deux dodos, déballez! ». On peut noter que les élèves s’amusent aussi parfois à se donner des contraintes oulipiennes, comme dans ce tweet sans e : « Scoop: un porc fut vu au fond d’un rang dans un tas d’humus: il y aurait vu un bambin. L’animal l’a soustrait du tas d’humus. Banal, inouï ! »

 

Quelques exemples de sujets et de réalisations

Sujet 1 : Rendre un hommage 

 « Les deux pieds dans la flaque, je saute. Les clapotis de l’eau se fondent dans la mélodie de mon rire. C’est l’enfance oubliée que j’admire. »

 

Sujet 2 : Écrire un horoscope

 « Famille: Faites fi des félonies, frivolités qui forment les fissures. Fractures qui, au fur et à mesure, forgent ce gouffre infranchissable. »

 

Sujet 3 : Présenter un fait divers

 « dernière heure: un amant éconduit projette de décrocher la lune pour reconquérir le cœur de sa belle. Risque de grande noirceur ce soir!... »

 

Sujet 4 : « Pendant ce temps, quelque part sur la terre … »

 « Détendue, je suis dans mon bain, alors que je pourrais être l'un des bambins, qui se bat au même moment, pour boire une simple gorgée d'eau. »

 

Sujet 5 : Une définition

 « Hippopotomonstrosesquippedaliophobie: La peur des métaphores qui demandent plus d'une heure à concevoir; les lecteurs eux-mêmes l'ignorent!! »

 

Sujet 6 : Une fausse citation

À la prochaine» Jésus; «J'ai une boule dans la gorge» Adam; «Peindre sa propre toile» Spiderman; «Désolé, j'étais dans la lune» Armstrong.

 

Sujet 7 : Une annonce classée

 « Petite pianiste propose ses poésies phoniques pour un public plus que patient: la paralysie pourfend présentement son physique à perpétuité »

 

Sujet 8 : Décrire un rêve

 « Je tombais dans les profondeurs sinistres du gouffre. La noirceur m'enveloppait. Je me suis réveillée avant que la Mort ne vienne me saluer. »

 

Entretien avec Annie Côté

Avant Twitter utilisiez-vous les TICE avec vos élèves ? Sous quelles formes ?

Je suis particulièrement technophile, alors j’utilise les TICE avec mes élèves depuis longtemps. Que ce soit pour des recherches, des exercices… Je vous conseille en particulier le site du CCDMD : on y trouve plein de jeux pédagogiques et d’exercices interactifs sur différents aspects de la langue française.

 

Avez-vous un usage personnel de Twitter ? Quels intérêts trouvez-vous à ce réseau social ?

J’utilisais déjà Twitter avant de proposer mon projet aux élèves. Je trouvais ce réseau social intéressant pour la diffusion de l’information et pour le marketing. Je l’utilisais beaucoup en observateur. À l’automne dernier, j’ai rencontré Jean-Yves Fréchette (@PierrePaulPleau, l’un des fondateur de l’Institut de Twittérature comparée) et il m’a parlé de twittérature : l’idée m’a fascinée et j’ai eu envie de l’utiliser avec mes élèves.

 

Comment utilisez-vous concrètement Twitter avec vos élèves ?

Pendant 8 semaines, les élèves devaient produire, individuellement, un tweet de 140 caractères par semaine en respectant une contrainte différente à chaque fois. À chaque semaine, je rédigeais la consigne et la contrainte en 140 caractères exactement, afin de donner l’exemple, et je produisais également en fin de soirée mon propre «devoir-tweet». Pour ce faire, les élèves devaient utiliser un compte Twitter personnel et afin de faciliter la tâche aux personnes qui souhaiteraient suivre le projet, j’ai décidé de retweeter chacune des productions des élèves sur un compte créé pour l’occasion et qui était ouvert à tous les internautes. Je ne voulais pas utiliser mon compte personnel pour que les lecteurs du projet puissent lire mes élèves de façon linéaire sans devoir lire mes propres tweets. Les élèves étaient totalement libres, mais le fait que je retweete leurs productions me donnait la possibilité de choisir de ne pas le faire, si je considérais que leur devoir présentait un problème (injurieux ou trop salé, par exemple.) Les élèves faisaient leur devoir quand bon leur semblait et je les publiais sur mon profil chaque lundi entre 16h30 et 20h30.

 

Avez-vous rencontré des difficultés ?

J’ai parfois trouvé difficile de retweeter des devoirs qui contenaient des fautes, mais j’ai voulu, ce faisant, publier des devoirs réels. Et quand mes élèves ont réalisé que leurs fautes étaient publiées, ils ont eu le goût de se forcer encore plus pour produire des devoirs impeccables.  Je n’ai pas produit de charte d’utilisation et, ironiquement, Twitter était bloqué à mon école quand j’ai débuté ce projet. Cependant, je n’y voyais pas d’inconvénient parce que le travail devait être fait en devoir et donc, par définition, en dehors des heures de classe. Pour expliquer à mes élèves le fonctionnement de ce réseau social, je préparais des captures d’écran à la maison et les leur montrais en classe. Le projet a duré 8 semaines, ce qui s'est avéré un peu long tant de mon point de vue que de celui des élèves qui étaient un peu essoufflés à la fin. Une durée de 4 ou 6 semaines serait plus raisonnable.

 

Quels sont selon vous les intérêts de telles pratiques pédagogiques de twitterature ?

Le premier intérêt, selon moi, est de faire travailler les élèves sans trop qu’ils s’en rendent compte : je veux dire que ce projet n’a pas trop l’air astreignant, mais qu’en le faisant, mes élèves ont dû lire et écrire, pratiquer leurs figures de style, travailler la synonymie (et ces accords qui changent quand le synonyme n’est pas du même genre), la concision, l’orthographe, la grammaire : bref, ils ont appris à jouer avec la langue, à la tourner et à la retourner pour produire un petit texte qui devait être intéressant en soi. Cet exercice tout simple s’est donc avéré être le condensé de pratiquement toute la matière vue en classe pendant l’année.

Il convient aussi de souligner que l’aspect ludique de ce projet a eu un effet incroyable sur la motivation des élève et rapidement une émulation s’est créée entre eux : certains se donnaient des défis supplémentaires et c’était à qui arriverait à être le plus spirituel ou à intégrer les mots rares choisis au hasard dans le dictionnaire. Le fait que les devoirs soient publics a aussi influencé leur motivation : ils étaient très fiers de recevoir les commentaires et félicitations d’internautes au sujet de leurs productions.

À la fin du projet, j'ai invité ceux qui ont suivi le projet à «jouer» à leur tour à faire un devoir et ce fut vraiment un très grand plaisir tant pour moi que pour les élèves de constater que des gens se pliaient à l'exercice.

 

Quels conseils donneriez-vous à ceux qui seraient tentés de se lancer dans de telles expériences ?

Pour les élèves d’abord. Je pense qu’il faut être extrêmement prudent en proposant aux élèves de se lancer dans cette expérience et qu’il faut les mettre en garde contre le fait que tous les gens ne sont pas nécessairement honnêtes et qu’on ne connaît pas une personne après avoir seulement correspondu avec elle pendant quelques temps sur Internet.

Pour les professeurs ensuite. Selon la façon de voir de l’enseignant, ce projet peut être soit très facile à mener, soit particulièrement «chronophage». J’ai choisi d’être très présente sur Twitter pendant toute la durée du projet pour répondre aux mentions, aux questions et aux messages ainsi que pour publiciser les devoirs de chaque semaine, mais j’avais sous-estimé le temps que je devrais y passer. Je crois qu’il peut être sage de s’imposer une limite de temps de présence sur Twitter. D’autre part, je ne suis pas partisane des blogues, mais je crois que pour un projet de ce type, il peut être intéressant de regrouper les productions des élèves soit sur un blogue, soit en créant un livre numérique (le choix que j’ai fait), afin de pouvoir les relire facilement.

 

Et… de grâce, foncez! J Il s’agit d’un projet génial à tous points de vue !

 

Le site du CCDMD :

 http://www.ccdmd.qc.ca/fr/

 

 

Sur le site du Café
Par fsolliec , le dimanche 26 juin 2011.

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