A la Une : Rencontre avec Tizou Pérez-Roux sur son ouvrage intitulé : « Identité(s) professionnelle(s) des enseignants d’EPS » 

Par Antoine Maurice



Ce mois-ci, le café s’est arrêté, au fil d’une lecture, sur le livre de Tizou Pérez-Roux, professeure agrégée d’EPS, maître de conférence en sciences de l’éducation à l’Université de Nantes. L’ouvrage tente de décrire un paysage, celui des professeurs d’EPS. Une identité (ou des identités) qui ne s’explique pas, mais qui peut se comprendre, qui ne se définit pas, mais où il existe des permanences. Logiquement, nous avons voulu en savoir un peu plus…


Pouvez vous dans un premier temps, nous présenter votre ouvrage 

L’ouvrage s’intéresse aux processus de construction de l’identité professionnelle des enseignants d’EPS dans une dimension à la fois partagée et singulière, organisée au cœur d’un système de transactions d’ordre biographique et relationnel. L’identité est aussi appréhendée à différentes échelles : une échelle spatiale (groupe/individu) et une échelle temporelle, qui s’intéresse à ce qui perdure ou se transforme au fil du temps dans la définition de soi comme professionnel. Cette identité est aussi en lien avec une culture, qui elle-même évolue en fonction des contextes institutionnels et humains investis par les individus.


Pour le dire autrement, ce livre parle des acteurs et des hommes, des histoires qui traversent un rapport au métier fait de moments d’élan, de retenues, de doutes, de dynamiques. Un point de vue dans lequel chacun devrait pouvoir se reconnaître.


Quelle a été la genèse de votre projet 

Ce projet est né de questionnements en formation continue et d’une nécessité de mieux comprendre les enseignants, leurs prises de position et leurs problématiques de travail. Au-delà des clichés ou des raccourcis sur les enseignants d’EPS, j’ai souhaité montrer la complexité de ces questions d’identité qui engagent à la fois un rapport à soi, aux autres, à la discipline et à l’institution. Chemin faisant, j’ai aussi compris l’importance des processus de construction et de remaniements identitaires, en fonction des changements que chacun peut être amené à vivre dans l’exercice du métier.  

J’ai voulu rendre aux enseignants ce travail conduit quelques années plus tôt avec et grâce à eux. Sans oublier les ancrages individuels et collectifs, tel un peintre devant sa toile, j’ai essayé de restituer à ma manière l’impression d’un paysage. Il s’agit donc d’un point de vue curieux et métissé, présenté dans l’ouvrage comme une lecture polyphonique.    


Comment votre démarche s’est elle organisée ?

Ecrire a supposé de faire des choix car l’étude initiale était beaucoup plus vaste. Dans un premier temps, j’ai donc opté pour présenter une approche de l’identité disciplinaire, fortement adossée aux textes officiels, dont la traduction donne, dans les pratiques, des écarts relativement importants. Ces textes ont servi de sous bassement pour montrer les positionnements des enseignants vis-à-vis de ces prescriptions mais aussi le poids des équipes au sein des établissements qui créent de véritables dynamiques ou laissent les individus isolés dans leur activité professionnelle.

Ensuite, pour situer d’où je parle, je pose les grandes lignes des choix théoriques et méthodologiques qui ont fondé l’étude. Cette approche est illustrée par différentes entrées dans l’identité professionnelle des enseignants d’EPS : celle du groupe professionnel, celle des sous-groupes qui le composent et celle des individus insérés dans leur contexte de travail. L’identité professionnelle est investie complémentairement à l’échelle du temps pour rendre compte des processus et montrer les évolutions possibles, les éventuels remaniements pour garder un équilibre et tenir en situation. Enfin, la dernière partie reprend tous ces niveaux et tente de les articuler pour montrer dans quelle mesure l’identité est un processus complexe et dynamique. 


L’identité disciplinaire est au cœur de votre analyse. Il en ressort que l’ancrage de la profession semble être centré sur les valeurs éducatives et l’élève, au détriment de la spécificité motrice de la discipline ! Pouvez-vous nous en parler ?

L’identité disciplinaire sert effectivement d’ancrage dans une culture partagée qui fonde le rapport au métier. Elle permet au groupe professionnel d’être reconnu par les différents acteurs de l’école et intégré au sein du système scolaire. Il s’agit d’une forme de reconnaissance externe. On retrouve donc une identité affichée, ancrée sur les valeurs et portée par un discours à l’externe qui se veut rassembleur pour la profession et correspond aux attentes de l’institution ou des partenaires. Par ailleurs, une autre identité, plus masquée, apparaît en filigrane. Elle est portée par un discours à l’interne, moins consensuel, où les oppositions sont plus vives entre l’option affirmée du développement de l’élève et celle, plus culturelle, consistant avant tout à s’ancrer dans les APSA. Le rapport des enseignants aux textes reste donc relativement complexe et se joue à différents niveaux : institutionnel, collectif et individuel. Ces derniers se saisissent des éléments structurants pour développer ensuite, en fonction des contextes de travail et de leurs propres références, les registres qui les intéressent. C’est ici que la spécificité motrice apparaît : dans l’EPS qui se vit, pas forcément dans celle qui se dit.


Vous dégagez différents profils d’enseignants fondés sur leurs modes d’implication. Quels sont-ils ?

Au sein même du groupe des enseignants d’EPS, des sous-groupes apparaissent, porteurs de logiques particulières permettant de gérer les tensions entre la volonté d’être semblable aux autres et de se singulariser, entre groupe d’appartenance et groupe de référence. Cinq profils identitaires sont esquissés à partir des modes d’implication privilégiées. Le groupe des « entraîneurs » et celui des « compétiteurs » privilégient un engagement essentiellement extérieur au système scolaire et centré sur les pratiques sportives. Le groupe des « éducateurs » et celui des « acteurs institutionnels », valorisant des formes d’implication internes au système scolaire, semblent davantage organisés autour de la formation et du suivi des élèves. Celui des “critiques ne revendique aucune forme d’implication particulière.

Mais ces modèles ne sont ni une représentation fidèle de la réalité, au sens où chaque type renverrait à une incarnation vivante, ni une typologie réductrice des enseignants d’EPS. Si certains enseignants privilégient fortement une forme d’implication, d’autres jouent sur différentes dimensions et construisent leur cohérence dans des formes variées d’engagement, qu’ils mettent en relation pour donner sens à leur action.


De plus, plusieurs portraits de professeurs d’EPS sont dressés par rapport à leur environnement et à l’échelle du temps. Quels enseignements peut-on en tirer ?

C’est très intéressant de voir comment un même enseignant évolue dans le temps, en fonction d’éléments liés aux contextes de travail ou en fonction d’éléments plus personnels qui peuvent infléchir le rapport au métier. Ce grain beaucoup plus qualitatif aide à comprendre la question des processus et des remaniements identitaires qui y sont à l’œuvre.

Au final, la prise en compte d’une double perspective, spatiale et temporelle pourrait se traduire ainsi pour chaque enseignant : « Je suis unique par mon histoire et mon expérience, je partage avec un certain nombre d’enseignants valeurs et représentations sur le métier et me sens éloigné de certains autres, mais j’appartiens aussi à la communauté des enseignants d’EPS. Je suis cohérent, ancré sur des valeurs fortes qui organisent ma vision du monde mais, en même temps, je porte en moi des potentialités plus ou moins en sommeil qui peuvent m’aider à changer ou à m’adapter au fil du temps, en fonction de ce que je perçois de l’environnement professionnel et du sens que je donne à mon travail ».

Ce livre rend compte de la complexité de l’identité professionnelle. Il évoque pour moi un paysage esquissé qui change au gré des saisons et garde ses zones d’ombre : la part secrète des hommes qui font ce métier, de façon singulière, tout en partageant avec les autres un certain nombre de choix, ainsi que les valeurs qui les fondent.


L’ouvrage

http://www.revue-eps.com/catalogue/details.aspx?id=15324



Sur le site du Café

Par antoinemaurice , le samedi 19 mars 2011.

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