Dossier : Le plaisir en EPS 

Par Antoine Maurice et François Jarraud



Le mensuel vous propose ce mois ci un entretien avec Guy Haye à propos du site « le plaisir en EPS ». Guy Haye est Professeur agrégé d’EPS honoraire à la retraire, il a enseigné à L’UFR STAPS de Montpellier et a été l’animateur du « groupe plaisir » au sein de l’AEEPS (Association des enseignants d’éducation physique et sportive)


Pouvez-vous nous faire un petit historique de la notion de plaisir d’une manière générale puis en EPS plus particulièrement, et enfin nous expliquer comment s’est créé le « groupe plaisir » au sein de l’AEEPS ?


En fait, on découvre avec surprise que très tôt les philosophes grecs mettent le plaisir au centre de leur réflexion. Pour eux il est clair que l’homme vit essentiellement pour éprouver du plaisir, ce plaisir devient alors le « souverain bien ». A cette époque, on a également compris que le plaisir est à double tranchant: il a une face agréable mais cache aussi une face mortelle.

 

De nos jours, Michel Onfray, historien et philosophe des religions, explique l’évolution de cette notion à travers l’histoire. S’il y a eu deux courants dans la religion chrétienne, c’est incontestablement le courant anti-plaisir qui s’est imposé.  En effet, dans son œuvre, il démontre que tous les textes d’origines chrétiennes favorables à une vie douce et agréable et donc de plaisir, ont été brûlés et aujourd’hui n’existent plus. Il faudra attendre Sigmund Freud (fin du XIXe début du XXe), pour que le principe de plaisir à travers la psychanalyse refasse surface et participe à un changement d’état d’esprit.


En EPS, la première trace écrite provient d’un article de la revue « corps et culture » (n°1) paru en 1985. J’y ai publié un texte intitulé : « introduction à l’étude du plaisir des pratiquants » dans lequel la question du plaisir se pose directement. Il existe aussi quelques traces de la notion de plaisir chez Demeny, à l’école de Joinville mais d’une manière très allusive et j’en ai peu trouvé chez Georges Hébert.


La seconde trace provient d’un article de la même revue « corps et culture » (n°2 - « Plaisirs du corps, plaisirs du sport ») paru en 1987, que Philippe Liotard a intitulé « l’E.P. n’est pas jouée. La maîtrise pédagogique du plaisir en éducation physique. » Il reprend cette exploration historique du plaisir en éducation physique.


Concernant l’historique de la création du « groupe plaisir » au sein de l’AEEPS, j’ai, tout d’abord, dans les années 2000/2001,  proposé à la rédactrice de la revue HYPER un article sur le plaisir en éducation physique intitulé « les singuliers plaisirs pluriels de l’EPS » (revue Hyper n°214 AEEPS, 2001). A la fin de l’article, je fais un « appel au peuple» et sollicite ceux qui sont intéressés par ce concept, à prendre contact avec moi via internet ; ce fut le début de l’aventure. Une réunion s’est très vite organisée à Paris, où nous nous sommes retrouvés une quinzaine.  Le travail a pu commencer.



D’où est venue l’idée d’un groupe sur le plaisir en EPS ?


Lorsque j’étais enseignant au centre de pleine nature de Vallon Pont d’Arc, je me posais la question de savoir pourquoi les stages de plein air étaient des moments de bonheur pour tous ceux qui les vivaient. On y voyait des personnes de tout âge qui exprimaient un plaisir manifeste. Ce sujet m’a particulièrement passionné parce que c’est ce qui explique ma voie dans ce métier. En effet si j’ai choisi d’être professeur d’EPS, c’est grâce à tous les moments de plaisir que j’ai vécu en pratiquant des activités physiques diverses que ce soit l’athlétisme ou les sports collectifs, etc. Il y a énormément de pratiques qui m’on rendu heureux, et qui m’ont fait vivre du plaisir.


De plus, avec une éducation physique qui a dévié vers une vision très scolaire et dans laquelle il semble que la fin des fins est de « faire redoubler un enfant, parce qu’il n’a pas atteint les objectifs du programme », la notion de plaisir s’est envolée. En effet en se calquant sur des principes scolaires purement certificatifs, l’éducation physique est devenue ennuyeuse. Or, selon moi l’éducation physique c’est ce plaisir à pratiquer qui permet de pratiquer tout au long de sa vie. Et, incontestablement pour moi le plaisir, c’est ce qui est au cœur de l’EPS comme Delignières-Garsault l’ont très bien souligné, puisque l’éducation physique ne sera réussie que si l’élève conserve le goût à pratiquer.


On entend souvent parler des plaisirs, du plaisir, que doit on entendre ou voir derrière tout ça ?

           

Il est impossible de les classer. Par contre, effectivement, il n’y a pas qu’un plaisir. On pourrait dire plutôt qu’il existe un processus de plaisir, à partir duquel s’exercent différents plaisirs de natures différentes. L’américain Lionel TIGER a travaillé dessus, il distingue les bio-plaisirs, les psycho-plaisirs et les socio-plaisirs. Dans chacune de ces catégories on peut distinguer une façon de ressentir du plaisir. A partir de là, il est possible de créer une grille qui  permette de décoder tout ce qui se joue au sein d’une classe. En effet, au sein d’une classe, les plaisirs ne peuvent pas arithmétiquement se cumuler puisqu’on travaille sur de la subjectivité,  Il faut donc voir où en est chaque élève dans ce processus de plaisir qui se décline sur plusieurs facettes mais toujours individuellement. Il y a d’un côté, par exemple, l’élève qui éprouve du plaisir à être en tête de peloton dans un entraînement d’endurance et puis de l’autre côté il y a le plaisir des copines qui sont en queue du peloton et qui papotent entre elles tout en réalisant l’activité. On ne retrouve pas du tout le même type de plaisir mais pourtant chacun éprouvera sa propre satisfaction et aura envie de refaire l’activité. Ainsi en permettant à l’élève de revivre ce plaisir qu’il aura rencontré, à notre insu d’ailleurs (le professeur n’organise pas son cours pour que les filles puissent papoter), se mettra en place un processus de plaisir unique mais d’une diversité infinie qui permettra à chaque élève d’apprécier n’importe quelle activité physique.


Sur le site, il y a un couple dont nous avons pas encore parlé celui du plaisir- déplaisir, pouvez vous nous étayer un peu sur le sujet ?


Plaisir-déplaisir même combat ! Et selon moi on peut le mesurer quantitativement sur une échelle pouvant aller de moins trois à plus trois ou de moins sept à plus sept. Cependant, avec des élèves je crois qu’il est préférable d’utiliser une échelle qui irait de moins trois à plus trois. Pour moins trois, on pourrait mettre: « je déteste, je n’aime pas, je ne veux pas être là », et pour plus trois ce serait : « c’est le bonheur, -quand est ce qu’on recommence monsieur ? »   etc. Plaisir-déplaisir sont dans un même processus. Quand je parle de processus de plaisir, on peut dire que le plaisir oriente la curiosité, l’activité de recherche. Mais incontestablement  dans ce processus, le déplaisir est présent. En effet, neurologiquement plaisir et déplaisir dépendent des mêmes structures. De la même façon que le plaisir ou le déplaisir sont des phénomènes psychiques, subjectifs, il existe une compréhension neurologique de ces processus. C’est d’ailleurs dans cette optique que de grands scientifiques tels que JD Vincent concernant la biologie et A. Damasio pour les neurosciences ont beaucoup produit sur ce sujet ces dernières années.


Comment gérer pour l’enseignant d’EPS cette diversité de plaisirs au quotidien et donc à partir de ça, deuxième question, n’y aurait-il pas un plaisir d’enseigner ?


L’enseignant qui a plaisir à enseigner, à mon avis, ne peut pas être un enseignant qui ignore le plaisir d’apprendre des élèves. Le plaisir d’enseigner est complètement tributaire du  plaisir d’apprendre et c’est dans cet objectif que Ghislain Carlier a coordonné un ouvrage : « si l’on parlait du plaisir d’enseigner l’EPS », AFRAPS 2004.


D’après une enquête nationale que nous avons faite avec Gilles Bui Xuân et notre groupe de l’AEEPS, l’expertise d’un enseignant d’éducation physique se traduit très souvent par sa capacité à prélever des indicateurs de plaisir chez ses élèves ; tout en sachant que contrairement à une idée toute faite : le plaisir peut ne pas se voir ! En effet, un sportif au cœur d’une difficulté ne traduit pas son plaisir par un sourire béa. Il est hyper attentionné et concentré. Il faut donc que l’enseignant d’EPS expert se donne des indicateurs beaucoup plus subtiles et forcément liés à une théorie du plaisir. Il pourra ensuite intervenir et agir dans son enseignement en fonction de ce qu’il perçoit des conduites de ses élèves.


Depuis de nombreuses années, on voit, notamment au sein de la revue EPS, diverses productions sur la notion de plaisir, avec par exemple « la vitesse en s’amusant »etc. Et pourtant dans cette nécessité d’orthodoxie scolaire comment éviter l’assimilation du plaisir à une certaine forme de récréation.


On voudrait que le plaisir devienne une thématique proprement scolaire et pluridisciplinaire  où l’on chercherait à associer les autres collègues. On peut noter, par exemple, que le plaisir de lire est un slogan qui a été mis en place depuis très longtemps. De la même façon, j’ai lu au CNRS des articles sur le plaisir en mathématiques. On peut dire que le plaisir n’est pas exclu de l’apprentissage. De plus j’aurais tendance à dire : il y a le bon plaisir et le mauvais plaisir, c’est comme le cholestérol ! Il y a le bon plaisir qui permet à l’élève  d’apprendre mais il y a aussi le mauvais plaisir qui amène l’élève à dévier de l’école. J’ai vu, par exemple, des élèves détériorer les tapis de gym en gravant des cœurs au cutter pour déclarer leur amour à une camarade... Ces élèves devaient prendre du plaisir, mais un plaisir condamnable par l’institution. Le lien peut aussi se faire avec le drogué qui est à la recherche du plaisir, un plaisir qui peut le tuer. Il faudra dès lors distinguer pour les enseignants, les bons plaisirs des mauvais, au profit de l’apprentissage.


De plus, l’idée qui consisterait à confondre la cour de récréation du cours d’éducation physique est une caricature qui n’existe plus dans les mentalités. Et, je crois que le groupe plaisir AEEPS a beaucoup œuvré pour que cette confusion n’ait plus lieu : le plaisir, c’est une affaire sérieuse !



Avez-vous un exemple ou une anecdote particulière qui témoignerait d’un moment intense de plaisir pour les élèves.


Il y a trois jours, dans le tramway en face de moi se trouvait un jeune homme. Je ne faisais pas attention, je baisse la tête mais au moment où je la relève, il m’interpelle et me demande : «  -vous n’étiez pas professeur en staps ? Je lui réponds que oui. Il m’explique alors : « je vous ai eu en Natation pratique complémentaire ! J’étais très mauvais nageur, maintenant je viens de passer le concours d’entrée à l’iufm que j’ai réussi,  je garde un excellent souvenir de vos cours, alors que j’étais nul. L’été je continue à tenter de me perfectionner ! » Voilà le genre d’anecdote qui révèle l’intérêt de l’application d’une théorie du plaisir. Ce garçon là n’avait fait que de modestes progrès en natation, et pourtant il n’a jamais été découragé. Mon enseignement lui avait fait discerner tout ce qui est de l’ordre du plaisir et du déplaisir au cours d’un apprentissage, même difficile. Finalement aujourd’hui ce qui me montre l’intérêt d’une théorie du plaisir, ce sont les traces que les gens conservent au plus profond d’eux même. Dans un cours d’éducation physique le plus important est de jouer sur l’affectivité. C’est d’ailleurs dans ce sens que je me suis souvent appuyé sur les activités de pleine nature dans lesquelles on joue un moment fort de notre vie. Cela laisse des traces émotionnelles que l’on garde en très bon souvenir. C’est pour cela qu’en éducation physique ces moments de vie doivent être positifs pour donner l’envie d’être vécu tout au long de sa vie.


Pour conclure vous avez parlé de deux phases dans le groupe plaisir, pouvez-vous préciser un peu vos propos ?


En fait, le premier groupe s’est donné trois objectifs précis, le premier étant de faire des productions régulières dans la revue hyper, pour ensuite réaliser un colloque et enfin publier un ouvrage qui synthétiserait tous les travaux réalisés. A ce jour, le contrat a été rempli avec de multiples productions au sein de la revue hyper, mais également avec le colloque sur « le plaisir en EPS » et enfin à travers l’ouvrage « le plaisir des élèves en éducation physique et sportive, futilité ou nécessité ? » (Édition AEEPS AFRAPS). En fait la volonté était de fonder la théorie.


Désormais, on peut distinguer deux directions ayant pour but d'explorer la théorie du plaisir. La première est d’approfondir la compréhension de ce processus en lien avec d’autres disciplines pour aboutir à la production d’un ouvrage collectif multidisciplinaires.

La deuxième est d’expliciter concrètement ce que ça peut changer dans les pratiques des enseignants, pour enfin aboutir à des conseils pratiques.


Guy Haye, merci beaucoup de nous avoir consacré un peu de votre temps.


Vous pouvez retrouver les réflexions du groupe plaisir et du colloque sur le site :

http://www.le-plaisir-en-eps.fr/


Et si vous désirez plus d’information, un livre intitulé : «   Le plaisir des élèves en EPS, utilité ou nécessité"  , peut également répondre à vos attentes :

http://www.aeeps.org/

Sur le site du Café
Par fjarraud , le jeudi 15 janvier 2009.

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