A la Une : Les nouveaux programmes du collège décryptés par Didier Delignières 

Par Antoine Maurice

 

 

Didier Delignières est actuellement professeur des universités à la faculté des sciences du sport et de l’éducation physique de Montpellier I. Il a été professeur d’éducation physique en établissement scolaire durant une dizaine d’années, puis a travaillé pendant 5 ans au laboratoire de psychologie du sport de l’INSEP. Ses travaux de recherche portent principalement sur l’acquisition des coordinations motrices complexes.



Les récents programmes pour les collèges marquent un progrès évident par rapport au texte précédent de 1996. Je tiens à l’affirmer d’entrée, car la suite de ce texte pourrait laisser penser que je n’ai qu’une faible considération pour le travail réalisé par les rédacteurs de ce texte. Ces programmes permettent de réduire le décalage que l’histoire de la discipline avait introduit entre les textes régissant l’EPS à l’école élémentaire, au collège et au lycée, et ils offrent une lisibilité tout à fait acceptable de la discipline, y compris pour les acteurs non directement impliqués dans ses arcanes idéologiques et théoriques.


Le concept de compétence est évidemment central dans ces programmes. On y retrouve d’ailleurs une définition à peu près tenable, en tant qu’« ensemble structuré d’éléments : des connaissances, des capacités et des attitudes permettant à l’élève de se montrer efficace dans un champ d’activité donné et de faire face de façon adaptée aux problèmes qu’il rencontre » (p. 3). On retrouve ici une définition conforme aux propositions récentes d’auteurs tentant de structurer la pédagogie des compétences (voir par exemple Delignières & Garsault, 2004 ; Le Boterf, 1994 ; Perrenoud, 1997 ; Reboul, 1980 ; Roegiers, 2003). La compétence est généralement définie comme la capacité de maîtriser l’ensemble des situations pouvait survenir dans l’exercice d’une activité donnée (métier, pratique sportive, artistique etc.). La compétence est pensée comme intégration dynamique de multiples ressources, savoirs, savoir-faire, attitudes, et pensée avant tout comme une capacité d’adaptation à des environnement essentiellement mal définis, incertains et instables. Les situations dans lesquelles s’expriment et se révèlent les compétences, dans le cadre scolaire, sont de ce fait nécessairement complexes, mal définies, et font appel aux capacités stratégiques et décisionnelles de l’élève. Dans ce sens, elles se démarquent essentiellement des « tâches » clairement définies, canalisant l’élève vers une réponse prévisible (Delignières & Garsault, 2004).


Il me semble donc qu’à l’heure actuelle, le concept de compétence possède dans le domaine de l’éducation un contour assez précis, et débouche sur des conceptions pédagogiques tout à fait spécifiques. De ce fait, on ne peut pas utiliser ce concept à la légère, et surtout dans des programmes officiels.


Un flou conceptuel sur les compétences


Je dois dire que l’utilisation du terme compétence, dans ces programmes, révèle un flou conceptuel alarmant. Je conçois que l’écriture d’un tel texte est un exercice de style délicat, devant faire la synthèse de références antérieures, à la fois institutionnelles, professionnelles et scientifiques. Mais quand on pense aux efforts que doivent réaliser les candidats aux concours de recrutement pour réaliser l’exégèse de ces textes officiels, un effort de clarté terminologique m’aurait semblé salutaire. Ce n’est manifestement pas le cas dans le présent texte, où l’on retrouve le terme « compétence » à quatre niveaux de définition :

- Les compétences du socle commun

- Les compétences propres à l’EPS

- Les compétences méthodologiques et sociales

- Les compétences attendues dans les APSA


Les « compétences » du socle commun renvoient à des acquisitions très générales auxquelles toutes les disciplines scolaires sont sensées concourir. Il me paraît essentiel de définir cette utilité transversale de l’Ecole et de montrer en quoi l’EPS apporte une pierre originale et indispensable à cette mission. Néanmoins à ce niveau le terme « compétence » est peu approprié. Bien sûr, les rédacteurs des programmes ne sont pas responsables des choix terminologiques des rédacteurs du socle, et doivent en tenir compte. On peut aussi arguer que Chomsky, l’un des premiers à avoir exploité le concept de compétence, l’a fait dans le cadre de la maîtrise du langage, l’une des « compétences » retenues dans le socle. Cependant les définitions actuelles des compétences, notamment dans le cadre éducatif, renvoient à la maîtrise de situations complexes, mais cependant circonscrites à l’exercice d’une activité donnée. Ce n’est pas le cas des « compétences » du socle commun, qui semble posséder une transversalité beaucoup plus vaste. On peut ici renvoyer aux critiques émises par Rey (1996) sur ce concept de « compétence transversale ». L’auteur affirme notamment que « ce qu'on peut observer d'une compétence transversale, ce n'est jamais que son usage dans telle tâche particulière relevant de telle discipline, son usage dans telle autre et ainsi de suite; ce qui est offert à mon regard ce n'est jamais la compétence transversale, mais une série de compétences spécifiques. C'est moi qui, par abstraction, isole dans la complexité de chaque situation ce qui me paraît commun avec la complexité des autres » (Rey, 1996).


Les « compétences propres à l’EPS » renvoient en fait à une classification des problèmes technico-tactiques auxquels les élèves peuvent être confrontés : (1) réaliser une performance motrice maximale mesurable à une échéance donnée, (2) se déplacer en s’adaptant à des environnements variés et incertains, (3) réaliser une prestation corporelle à visée artistique ou acrobatique, et (4) conduire et maîtriser un affrontement individuel ou collectif. On retrouve ici une démarche de pensée classique en EPS, notamment depuis la définition des « domaines d’action » dans les années 90. Il s’agit de partir non plus des activités en elles-mêmes, mais de la nature des actions, individuelles et collectives, qu’elles suscitent. La classification proposée est évidemment critiquable (discutable), mais pas davantage que les alternatives qu’on pourrait lui opposer.


Un second versant renvoie aux « compétences méthodologiques et sociales » : (1) agir dans le respect de soi, des autres, et de l’environnement, (2) organiser et assumer des rôles sociaux et des responsabilités, (3) se mettre en projet, et (4) se connaître, se préparer, se préserver. On retrouve ici des énoncés présents dans la plupart des textes précédents, souvent pensés comme la contribution des la discipline à l’apprentissage de la citoyenneté.


Enfin les « compétences attendues » sont sensées intégrer les trois premières catégories de compétences. Il est notamment écrit que « chaque compétence attendue s’inscrit dans l’une des quatre compétences propres à l’EPS et mobilise plusieurs compétences méthodologiques et sociales » (p. 3). J’ai un peu de mal à concevoir ce montage théorique, dans lequel des compétences intègrent d’autres compétences. Il aurait été sans doute plus judicieux, comme c’était le cas dans les programmes de Lycée, de parler de « composantes propre à l’EPS », et de « composantes méthodologiques et sociales ». On y aurait largement gagné en termes de cohérence théorique. J’utiliserai d’ailleurs cette terminologie dans la suite de ce texte.


Je dois dire que je suis infiniment surpris de l’expression « propres à l’EPS » utilisée pour qualifier le premier versant du dispositif. En effet les énoncés proposés renvoient à des logiques d’actions présentes dans les pratiques de référence de la discipline. Mais les énoncés décrivant les composantes méthodologiques et sociales ne constituent certainement pas des « additifs scolaires », plus ou moins artificiels. Agir dans le respect de soi et des autres, assumer des rôles et des responsabilités, se mettre en projet, se connaître, se préparer, se préserver, font autant partie des logiques d’action des pratiquants, dans les activités de référence, que les dimensions technico-tactiques du premier versant. Labelliser en tant que « propre à l’EPS » la première composante revient en quelque sorte à la sacraliser. Ce serait à ce niveau que se situerait l’essence, le creuset de la discipline, et le reste n’étant qu’une concession à l’orthodoxie scolaire. L’énoncé des compétences attendues, dans la dernière partie du texte, confirme en partie cette crainte. Je reviendrai sur ce point.


On peut arguer, bien sûr, que les composantes propres à l’EPS ne se retrouvent que dans les pratiques sociales de la discipline, alors que les composantes méthodologiques et sociales renvoient à des capacités plus transversales. Je tiens à réfuter cet argument. Le respect de la règle, la mise en projet ou la préparation à la performance s’expriment dans les pratiques sportives avec une spécificité telle qu’il est difficile de penser ces composantes autrement que spécifiques aux activités auxquelles elles sont attachées et donc propres à la discipline scolaire qui les mobilise (voir plus haut la citation de Rey sur les compétences transversales). Il m’aurait de ce fait paru plus logique de parler de composantes technico-tactiques, et de composantes méthodologiques et sociales, les deux étant tout autant propres à la discipline parce que simultanément à l’œuvre dans les pratiques de référence.


Pour en finir avec ces réserves méthodologiques, je m’étonne de la réapparition du concept de capacité, renvoyant à « la mise en oeuvre des connaissances, à l’activité de l’élève et à la mobilisation des ressources pour agir ». Le terme de capacité est extrêmement polysémique, renvoyant en fonction des champ à un savoir faire (être capable de…), ou à une aptitude (la capacité aérobie, la capacité de traitement de l’information). Si dans l ‘esprit du texte actuel il s’agit « principalement d’habiletés, de techniques, de savoir-faire », mieux aurait valu comme c’était le cas dans les programmes de Lycée s’en tenir à ces derniers concepts, beaucoup mieux définis e ancré théoriquement. Enfin, concevoir les capacités comme « mise en oeuvre des connaissances » me paraît constituer une prise de position pour le moins hasardeuse, à l’heure où de nombreux chercheurs, tant dans le cadre de l’approche cognitiviste que dans celui de l’approche dynamique, tendent à démontrer l’indépendance relative de l’action vis-à-vis des représentations mentales.


Le référentiel des compétences attendues


Le référentiel des compétences attendues est un aspect important des programmes. D’une part parce qu’il peut être considéré dans une perspective prescriptive, restreignant le champ des possibles pour les enseignants. Bien sûr, il est indiqué que la nature des « compétences méthodologiques et sociales » intégrées dans ces compétences attendues reste ouverte, et que « les situations d’apprentissage permettant l’acquisition des compétences attendues restent, dans le cadre de sa liberté pédagogique, à l’initiative de l’enseignant » (p. 3). Néanmoins ce référentiel peut dans certaines activités définir une orthodoxie contraignante, en fonction de la lecture que le corps d’inspection voudra bien localement en avoir.


Certains énoncés alimentent déjà le débat. Pourquoi par exemple valoriser le travail fractionné en demi-fond, au détriment de l’effort prolongé ? Pourquoi l’imposition du multi-bond, au détriment d’autres modalités présentes dans les formes sociales de pratique ? Ces préoccupations sont importantes pour les enseignants, car ils y voient une intrusion dans ce qu’ils considèrent devoir demeurer au centre de leurs prérogatives, à savoir la nature de la transposition didactique. Notons quand même que ces « propositions » du référentiel s’appuient sur des travaux scientifiques récents, démontrant l’efficacité des situations mises en avant pour l’apprentissage ou le développement des ressources. L’histoire retiendra sans doute cette volonté (assez rare disons-le) de prise en compte des avancées théoriques dans la conception des programmes d’enseignement. 


Les énoncés des compétences attendues, activité par activité, révèlent une grande hétérogénéité. Ainsi par exemple on retrouve pour l’aérobic, niveau 2, l’énoncé suivant : « Concevoir et présenter une routine collective, sur un support musical (de 120 à 140 BPM), comportant des éléments des différentes familles dont au moins un saut et utilisant des pas de base, associés à des mouvements de bras complexes ou dissociés. Juger les prestations à partir d’un code construit en commun ». On retrouve ici en effet la description d’une situation complexe, mal définie, conforme à ce que nous avons évoqué précédemment. On conçoit que cette situation va réclamer un processus collectif de négociation, de décision, de prise en compte de l’autre. On entrevoit également en quoi cette définition engage un long processus d’apprentissage, réparti sur tout le cycle. Un exemple de même nature est proposé pour la lutte (niveau 2) : « Rechercher le gain d’un combat debout, en exploitant des opportunités et en utilisant des formes d’attaques variées. Gérer collectivement un tournoi et observer un camarade pour le conseiller ».


Par contre d’autres énoncés sont plus problématiques, dans le cadre de la définition des compétences proposée en introduction. Ainsi pour la course de haies (niveau 2), il s’agira « à partir d’un départ commandé [de] réaliser la meilleure performance possible sur une distance de 40 à 60 mètres, avec 4 ou 5 haies de 70 à 84 centimètres de haut, en élevant le moins possible son centre de gravité et en réalisant 4 appuis dans l’intervalle le plus adapté à ses possibilités ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que cet énoncé ne définit pas une situation complexe, mal définie, suscitant décision, négociation et compromis. On se trouve en face d’une tâche précisément délimitée, à laquelle le sujet devra s’adapter selon des modalités elles aussi clairement définies. Un autre exemple est fourni par le saut en hauteur (niveau 2), ou il s’agira « à partir d’un élan étalonné et accéléré de 6 à 8 appuis, [de] réaliser la meilleure performance possible, avec un nombre limité d’essais, en utilisant un franchissement dorsal de la barre en son milieu ».


Enfin on peut s’interroger sur l’intégration réelle des « compétences propres à l’EPS »  et des « compétences méthodologiques et sociales » dans l’énoncé des compétences attendues. Ainsi pour la hauteur (niveau 1) on lit : « A partir d’un élan étalonné de 4 à 6 appuis, réaliser la meilleure performance possible, de façon sécurisée, en alignant le trajet avec la trajectoire. Assumer dans un groupe restreint le rôle d’observateur ». On voit que dans cet énoncé (et l’on pourrait multiplier les exemples), la composante méthodologique est greffée un peu artificiellement sur la composante technique. D’ailleurs, on peut être étonné que la composante technique soit souvent développée avec un luxe de détails, alors que la composante méthodologique n’est qu’évoquée de manière très allusive.


Je pense qu’il aurait été plus judicieux de partir des composantes méthodologiques et sociales. En fait, je pense que toute compétence attendue, quelle que soit l’activité, doit intégrer les quatre composantes définies dans les programmes. Je ne vois pas en effet une seule activité où il ne saurait être question d’agir dans le respect de soi, des autres, ou de l’environnement, d’organiser et d’assumer des rôles sociaux et des responsabilités, de se mettre en projet, de se connaître, se préparer, se préserver. Comme je l’ai dit précédemment, ces dimensions font partie des activités sociales de références et dont des compétences que tout pratiquant est sensé y développer. Il convient donc, dans l’énoncé des compétences attendues dans le cadre de l’EPS, de décrire en quoi ces dimensions seront sollicitées. Bien sûr, l’importance relative de ces composantes dépend de la nature de l’activité pratiquée, mais aussi des choix opérés par l’enseignant, au regard de son public et de ses objectifs propres.


Dans un second temps, on doit évidemment préciser les exigences technico-tactiques. Par exemple, dans le cadre de l’escalade, une compétence attendue pourrait être définie de la manière suivante : « les élèves devront être capables, dans le cadre d’une séance de deux heures en milieu naturel, de choisir et gravir trois voies en cordée autonome, en gérant leur matériel, le temps disponible, la sécurité, et la présence des autres cordées sur le site. Les voies choisies devront se situer dans une gamme de difficulté allant de 5a à 6a. ». On voit ici comment la description de la compétence inclut naturellement les quatre dimensions méthodologiques et sociales, sans qu’il soit par ailleurs utile de les préciser davantage. L’exigence technique finale précise à quel niveau la compétence devra être exprimée. A noter qu’il serait sans doute utile de préciser quelles acquisitions d socle commun seront principalement renforcées par l’accès à cette compétence. Dans l’exemple suivant, par exemple, on peut évoquer « l’exercice de la citoyenneté vécue en acte,[..] la capacité à assurer sa sécurité et celle des autres » (compétence 6), et « la construction d’un élève plus autonome, plus responsable et capable de prendre des initiatives » (compétence 7). Il ne s’agit pas que d’une préconisation à destination des candidats au concours de recrutement. Il me semble essentiel que la contribution de l’EPS au socle commun apparaisse de manière visible et constitutive dans les projets pédagogiques.


Conclusion


On l’aura compris, c’est un bilan en demi-teinte que je dresse à l’égard de ces programmes. Il s’agit d’un outil de travail intéressant, simple et accessible. Mais d’un autre côté il est clair que le cadre théorique aurait mérité d’être pensé plus en profondeur, et que les experts responsables de l’énonciation du référentiel des compétences attendues n’avaient pas, d’une activité à l’autre, les mêmes représentations des attentes. Je crains toujours que les textes officiels ne cristallisent de manière prolongée des modes de pensée et des manières de faire. J’espère que le corps d’inspection saura faire de ces programmes davantage une base de réflexion qu’un cadre coercitif.


Didier Delignières


Références

Delignières, D. & Garsault, C. (2004). Libres propos sur l’Education Physique. Paris : Editions Revue EPS

Le Boterf, G. (1994). De la compétence. Essai sur un attracteur étrange. Paris : Les Éditions d'organisation.

Perrenoud, P. (1997). Construire des compétences à l'école. Paris : ESF.

Reboul, O. (1980). Qu’est-ce qu’apprendre ? Paris : PUF.

Rey, B (1996). Les compétences transversales en question. Paris : ESF.

Roegiers, X. (2003). Des situations pour intégrer les acquis. Bruxelles: De Boeck.


D’autres articles sur le site personnel de Didier Delignières notamment dans la rubrique publication sur l’EPS

http://perso.wanadoo.fr/didier.delignieres/


Sur les programmes voir également la présentation (Powerpoint) de Michel Volondat, Doyen de l’IGEN

http://www.ac-grenoble.fr/eps/IMG/ppt_Michel_Volondat[...]


Sur le site du Café
Par fjarraud , le dimanche 15 février 2009.

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