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La Cour des comptes veut repousser l'orientation des élèves après la seconde 

Par François Jarraud


La Cour des comptes est-elle en train de proposer une vraie refondation de l'Ecole ? Loin des timidités de la loi d'orientation, la Cour exige du système éducatif une vraie démocratisation et de l'Etat qu'il prenne au sérieux ses propres engagements. "Il n'y a pas de collège unique", affirme le rapport de la Cour des comptes sur "l'orientation en fin de collège et la diversité des destins scolaires selon les académies". Ce titre souligne les inégalités de destin entre les élèves français. Il marque aussi le souci de la Cour d'affirmer des objectifs au système éducatif et de le soumettre à ces objectifs en repoussant "à la fin de la scolarité obligatoire" l'orientation qui a lieu actuellement en fin de troisième quand les élèves ont 15 ans. La spécialisation des filières se ferait seulement en première et terminale. Les bacheliers auraient des facilités pour passer un autre bac.

Plus osé tu meurs...

Présentées par Patrick Lefas devant la Commission des affaires culturelles de l'Assemblée le 12 décembre, les recommandations du rapport de la Cour des comptes mettent le système éducatif français face à des objectifs impératifs de démocratisation. La Cour confronte les résultats du système éducatif aux objectifs que la République s'est fixée. La conviction de la Cour, c'est que si l'on veut réellement atteindre les 80% d'une génération ayant le bac (on est à 72%) et les 50% dotés d'un diplôme du supérieur (on est à 30%), il faut que le système éducatif s'organise pour cela. Et qu'il commence par refuser l'orientation précoce. Cette approche cartésienne fera sans doute dresser les cheveux sur la tête à bien des acteurs de l'Ecole parce ce qu'elle exige de sérieux efforts à tout le système.

Une orientation injuste

La Cour n'a pas de mal à montrer que le système éducatif français continue à orienter les jeunes de façon précoce et inégale. L'orientation reste dépendante d'une offre de formation qui est inégale selon les académies et très peu évolutive. En contradiction avec les principes affichés du système, les filières de pré orientation y fleurissent : segpa, 3ème d'insertion, 3èmes DP 6, classes de niveau (dans un établissement sur deux). "Le collège unique n'existe pas". Les élèves de la  voie professionnelle voient leur destin scellé dès 15 ans tant les filières y sont spécialisées. Enfin les élèves reçoivent peu d'aide pour leur orientation qui reste uen sanction et non un "parcours".

Vers le lycée unique

La Cour préconise de repousser "à la fin de l'acquisition du socle", "en fin de scolarité obligatoire" l'orientation. Celle-ci n'aurait plus lieu en fin de troisième mais en fin de seconde. La spécialisation des filières du lycée n'interviendrait plus qu'en première et terminale avec un enseignement modulaire permettant des passerelles. Après un bac on pourrait aisément préparer un autre bac en un an. Les familles auraient le dernier mot sur le choix de la filière, à charge pour l'Etat de proposer une affectation précise. Toutes ces propositions ont pour objectif de pousser davantage d'élèves vers l'enseignement général. Le blocage depuis plus de 10 ans du pourcentage d'élèves dans ces filières générales se répercute ensuite dans celui des diplômés du supérieur long.

Des objectifs simplistes ?

Comment adapter le système à cette évolution ? La Cour demande que le ministère fixe pour chaque académie des taux d'accès aux filières et que celles-ci attribuent les moyens en conséquence. Les établissements auraient la faculté d'adapter les programmes et les enseignements à la réalité des élèves , les examens restant nationaux. Les performances des collèges seraient évaluées. Enfin les enseignants auraient une obligation d'aider les élèves dans leur parcours d'orientation.

Très volontariste, le rapport minimise sans doute les difficultés et le fait que les inégalités se jouent bien avant le collège. Mais il fixe au système des objectifs quantitatifs clairs alors que la loi d'orientation semble ne pas porter de projet collectif clair.

François Jarraud


L'audition de P Lefas le 12 décembre



L'APEL demande la suppression du redoublement au primaire

Caroline Saliou, présidente de l'association de parents d'élèves de l'enseignement privé, a demandé le 11 décembre la suppression du redoublement au primaire. Une revendication inattendue alors que la loi d'orientation commence son cycle de consultation. Mais appuyée davantage sur les travaux des spécialistes que sur les expériences pédagogiques des établissements privés.

M Crahay photo FJ pour CPPas d'état d'âme du côté des experts.  Marcel Crahay, professeur aux Universités de Genève et de Liège, tout comme Thierry Troncin, IUFM de Dijon, sont convaincus de l'inutilité du redoublement. "Le drame avec le redoublement c'est qu'avec lui on finit par se faire à l'échec scolaire", résume M Crahay. Il montre comment le redoublement ne remet pas l'élève à flot mais au contraire stigmatise et pousse à la résignation les élèves. Auteur d'une étude menée auprès de 3 500 élèves de CP, Thierry Troncin met en évidence l'injustice du redoublement, dont les conditions varient d'une école à l'autre, et son inutilité. Le redoublement ne répond pas aux difficultés d'apprentissage de l'enfant mais introduit, au primaire, un malentendu : avec le temps les choses vont s'arranger. Il s'accompagne généralement d'une baisse de niveau. Eric Charbonnier, OCDE, rappelle que le coût du redoublement en France est évalué à 2 milliards d'euros. Ce poids n'existe que dans peu de pays européens : l'Europe du Nord et de l'ouest ignore le redoublement. Justement ses écoles sont plus efficaces...

T Troncin photo FJ pour CPL'enseignement privé est-il prêt à se passer du redoublement ? Ce n'est pas sur au regard des expériences mises en avant par l'APEL. Une école de la Mayenne fonctionne effectivement par cycle et cela règle la plupart des cas. C'est l'idée, défendue par E Charbonnier, que les plans inclinés sont supérieurs aux escaliers en matière d'éducation. Dans un lycée parisien, le chef d'établissement a imaginé un "conseil d'harmonisation" qui reprend les décisions des conseils de classe. L'objectif de baisse du taux de redoublement est atteint mais quel est le coût sur le fonctionnement de l'établissement ? Enfin un collège de l'est de la France a carrément ouvert une filière de relégation où s'entassent à la satisfaction générale les dyslexiques et les cancres...

La demande de l'APEL s'appuie-t-elle sur l'opinion générale ? Un sondage réalisé par Opinion Way montre surtout que le redoublement est un mythe national. Une majorité de français pensent qu'il y a d'autres solutions plus efficaces (77% des parents et 56% des professeurs). Mais 70% des parents et 64% des enseignants pensent que le redoublement permet de rattraper son retard. Une minorité le juge "mauvais" (41% des parents, 26% des enseignants) ou qu'il n'aide pas vraiment (43% et 42%).

Quel avenir pour cette demande ? La proposition pourrait séduire un ministère où la récupération de moyens pourrait permettre de financer la refondation. Resterait posée la question de l'aide devant la grande difficulté scolaire. Un domaine où le système éducatif reste désarmé. Il ne suffit pas de supprimer le redoublement, il faut que les enseignants puissent apporter des réponses aux difficultés des élèves. Ce qui repose la question de la formation continue et du développement des réseaux d'aide.

François Jarraud


Pourquoi le redoublement est-il encore apprécié par les enseignants ?

Si le redoublement dure, c'est peut-être qu'il est utile. C'est la thèse défendue par Hugues Draelants, un chercheur belge, en 2006 à propos des enseignants. Pour lui, si les enseignants tiennent au redoublement c'est qu'il les arrange pour garder la main sur l'Ecole.

"Se prononcer pour la suppression du redoublement au motif selon lequel il est « inefficace » – à cet égard le constat des pédagogues et chercheurs en éducation est sans appel – revient à dire que la danse du serpent des indiens Hopi (une des cérémonies amérindiennes les plus spectaculaires) pour faire venir la pluie ne sert à rien. Or, par un tel jugement, on manifeste simplement son ignorance et son incompréhension des rituels amérindiens et plus largement de la place du symbolique dans les sociétés traditionnelles… Il s’agit de rechercher la ou les fonctions latentes du rituel". La comparaison de Hugues Draelants, du Girsef, peut choquer. Elle éclaire sur le redoublement.

L'auteur ne cherche pas à démontrer l'efficacité pédagogique du redoublement. Son inefficacité est démontrée par de nombreux travaux. Ainsi, dans une publication de l'Iredu, Thierry Troncin jugeait le redoublement "une solution injuste, inefficace sur le plan pédagogique et coûteuse". Il montrait que les redoublants de CP "resteront plus faibles que leurs pairs" tout au long de leur scolarité : seulement 1 sur 10 obtiendra un bac technologique ou général. D'ailleurs la plupart des pays européens l'ignorent. Mais chez ceux qui le pratiquent (la France, la Belgique, l'Allemagne, l'Espagne), parents et enseignants lui restent fortement attachés.

Pourquoi les enseignants résistent-ils à la suppression du redoublement ? H. Draelants étudie les réactions des enseignants belges face à une tentative de faire disparaître le redoublement au primaire. Pour lui, s'il se maintient contre vents et marées, c'est tout simplement parce qu'il a son utilité. "Le redoublement fait l’objet d’un attachement social important et est une pratique difficile à abolir. D’une part, car nombre d’acteurs scolaires continuent à croire dans l’efficacité de la fonction manifeste, on l’a vu. D’autre part, peut-être plus fondamentalement, car le redoublement servait et sert toujours en Communauté française belge (là où il n’est pas interdit) à assumer une série de fonctions latentes". Il en distingue quatre : "une fonction de gestion de l’hétérogénéité et de tri des élèves au sein des établissements ; une fonction de positionnement stratégique et symbolique par rapport à des établissements environnants ; une fonction de régulation de l’ordre scolaire au sein de la classe ; une fonction de maintien de l’autonomie professionnelle des enseignants". "En l’absence du redoublement, les enseignants se plaignent en effet du défaut de motivation induit auprès des élèves, il devient (encore plus) difficile de les faire travailler. Ce type de réaction… traduit ainsi le problème d’une relation de longue complicité entre le principe de la menace et le système scolaire qui a été observée en Belgique francophone. La remise en cause du redoublement, bouleverse donc les rôles jusque là établis et soutenus par ce dispositif et redistribue les cartes du pouvoir. Les enseignants ressentent en effet des problèmes d’autorité…, ce qui apparaît fortement déstabilisant".

Cette déstabilisation rejoint d'autres exigences nouvelles qui touchent le métier d'enseignant. H. Draelants rejoint ici les travaux de Maroy qui analysent la résistance aux réformes comme une réaction à une forme de dépossession professionnelle. "L’interdiction du redoublement au sein du premier cycle participe de fait avec d’autres mesures – instauration d’un droit de recours face aux décisions du conseil de classe ; complication de la procédure d’exclusion ; règles très précises aux refus d’inscription – à priver les établissements et les enseignants de leurs instruments de régulation ordinaire. Face à cette abolition des anciens repères, certains enseignants résistent afin de conserver la maîtrise de leur profession. Ainsi, l’attachement manifesté par les enseignants vis-à-vis du redoublement peut aussi se comprendre comme l’expression d’un groupe professionnel qui revendique le maintien de son autonomie et une certaine vision de ce que l’Ecole doit être. Le redoublement apparaît en effet comme un des instruments de la sélection méritocratique qui, elle même, symbolise un certain pouvoir enseignant et modèle de fonctionnement du système scolaire aujourd’hui en crise". La défense du redoublement par les enseignants est donc liée à la défense de l’ « autonomie relative » de l’Ecole par rapport au politique et par rapport aux chercheurs et experts qui inspirent celle-ci, voire par rapport aux parents ou au « marché »".

Ce mouvement de réaction n'est pas sans rapport avec d'autres formes de résistance aux évolutions sociales voire technologiques. Il illustre la crise globale de certaines sociétés européennes. Pourtant seuls ses acteurs peuvent changer l'Ecole...

François Jarraud

Etude de H. Draelants


A qui profite le redoublement ?

Championne du monde du redoublement avec 38% d'élèves ayant au moins redoublé une fois, la France tient à une forme de gestions de la difficulté scolaire déjà abandonnée par la plupart des pays européens, et particulièrement par ceux qui ont de bonne performances scolaires. Si le redoublement se maintient c'est sans doute qu'il arrange beaucoup de monde...

Car la question de l'inefficacité scolaire du redoublement ne se pose plus. De nombreuses études l'attestent. Ainsi T. Troncin établit que "à niveau initial égal, les élèves faibles qui passent en CE1 progressent mieux que les élèves faibles qui sont maintenus au CP. Les redoublants de CP vont progresser la deuxième année, certes, mais restent fragiles dans les domaines où ils étaient fragiles, et ne rattrapent pas la moyenne de la classe". Pour D. Meuret, "en règle générale, à l'école et au collège, le redoublement s'avère peu équitable et inefficace du point de vue des progrès individuels des élèves. Il affecte négativement la motivation, le sentiment de performance et les comportements d'apprentissage de ceux-ci et les stigmatise : à niveau égal en fin de troisième, les élèves « en retard » obtiennent de moins bonnes notes que les élèves « à l'heure », sont moins ambitieux que ceux-ci et sont plus souvent orientés en filière professionnelle. En outre, les comparaisons internationales montrent que le redoublement est inefficace du point de vue des résultats d'ensemble des systèmes éducatifs". Ainsi les pays en tête de PISA ignorent le redoublement. En France, l'écart de performance entre les élèves à l'heure et en retard est colossal. Les jeunes français en seconde générale à 15 ans ont un niveau supérieur à celui des Finlandais. Ceux qui ont redoublé une fois ont le niveau moyen dans PISA de certains pays en développement. Pour D Meuret, le redoublement ne peut se justifier qu'en classe d'examen ou dans le cas d'élève momentanément perturbé. En tous cas, les pays qui n'utilisent pas le redoublement ont souvent de meilleurs résultats scolaires.

Du côté des enseignants... Malgré tout, le redoublement perdure.  Il est très coûteux. Et depuis des années les académies et les établissements ont inscrit dans leurs objectifs officiels la réduction du taux de redoublement avec une certaine efficacité puisque le taux a effectivement beaucoup baissé. Par exemple on est passé depuis 2000 de 9 à% de redoublants en 6ème et de 7 à 5% en troisième. Hugues Drealants (Girsef) avance plusieurs hypothèses. Pour lui le redoublement serait défendu par les enseignants car il permettrait de "réguler l'ordre dans la classe".  Il serait un des derniers pouvoirs d'une profession qui revendique une certaine autonomie par rapport au monde extérieur. Il permettrait également d'exercer un tri social, parfois très tôt.

Mais le redoublement a des alliés aussi ailleurs. Le redoublement est défendu par les milieux conservateurs. Ainsi sous Darcos, avec les nouveaux programmes du primaire (2008) la notion de cycle a reculé, légitimant davantage le redoublement. Il fonctionne comme une sorte de filtre mis en place chaque année. Alors que l'Ecole est organisée en cycles, le redoublement permet de multiplier les obstacles à franchir et donc augmente les sanctions pour les difficultés scolaires. Comme les enfants des milieux populaires ont plus de probabilité d'avoir des difficultés scolaires. Ainsi le filtre du redoublement ne s'exerce pratiquement qu'à leurs dépens et favorise la progression scolaire et sociale des enfants des milieux plus favorisés. C'est un outil efficace de reproduction sociale. Ainsi en 2011, 95% des enfants de cadres avaient pu arriver au terme du collège sans redoubler à ce niveau contre 63% des enfants d'inactifs.

Bienheureux redoublement ! Tu es celui qui arrête le char du progrès éducatif. Tu es celui qui maintient les inégalités sociales qui fondent la société. Tu sépares les "de souche" des autres. Tu es la colonne qui soutient le système élitiste. Bref, tu es néfaste aux petits  mais ô combien utile aux puissants...

François Jarraud


Sur le site du Café

Par fjarraud , le jeudi 20 décembre 2012.

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