Le mensuel Imprimer  |  Télécharger nous suivre sur Twitter nous suivre sur Facebook

Décrochage : Peillon veut mettre bouchées doubles 

Par François Jarraud


Comment lutter contre le décrochage scolaire ?  Vincent Peillon répond lui-même que c'est l'affaire de la refondation. Autrement dit cela commence en maternelle et... c'est long ! Comme le politique se doit d'agir aussi dans le court terme, V. Peillon emprunte à Luc Chatel. Réunissant un séminaire national le 4 décembre, il promet le raccrochage de 20 000 jeunes en 2013 en utilisant les plates formes mises en place sous son prédécesseur. Mais 20 000 décrocheurs en moins, c'est deux fois ce que Luc Chatel a réalisé.

Un pays qui abandonne sa jeunesse ?

"C’est quoi un pays qui est incapable d’assurer à un quart de sa jeunesse un avenir décent ? Si on laisse 150 000 jeunes dans cette situation, que va-t-il advenir de notre pays ?"  Vincent Peillon marque fortement la nécessité d'agir en ce domaine. Tout en reconnaissant que son plan se situe dans la continuité. " On ne part pas de rien, il y a eu des résultats" rappelle-t-il citant le nombre de 9 500 "raccrochages". Pour autant il élargit la réponse. " Avant de guérir il faut prévenir : la refondation de l’école est la réponse au décrochage", dit-il. "Les difficultés commencent en grande section de maternelle et on transforme les difficultés en échec. Elles finissent par devenir de l’exclusion". En fin de journée, George Pau-Langevin, lui fait écho. " Votre travail est capital", dit-elle aux deux cents participants, responsables de plateformes, responsables académiques, représentants des régions et des partenaires. "On ne peut pas accepter que tant de jeunes se retrouvent sans solution".

Qui sont les décrocheurs ?

L'objectif du programme c'est de faire du nombre tout en personnalisant face à la grande diversité des décrocheurs. "Il ne faut pas qu'un seul jeune ait le sentiment qu'on le laisse tomber" assure G Pau-Langevin. Le nombre lui-même de décrocheurs n'est pas assuré avec certitude. Il s'agit de jeunes qui ont quitté la formation initiale sans un diplôme suffisant, c'est à dire au mieux avec le seul brevet. Assez bien réparti entre les sexes (57% de garçons), l'effectif est d'environ 140 000 personnes d'après les données ministérielles. Soit environ un jeune sur six, même si les ministres parlent plutôt d'un sur quatre. La moitié ont quitté en cours de route un lycée professionnel, par exemple parce qu'ils y ont été orientés de force. Un sur cinq a quitté le système éducatif au niveau du collège, souvent à force d'y échouer avec un niveau réel de CM1. Il reste donc un quart des décrocheurs qui ont entamé des études en lycée général ou technologique, avec un niveau scolaire plus assuré.  On mesure donc que les facteurs qui expliquent le décrochage sont très variables. Pour beaucoup c'est l'échec scolaire et/ou une orientation refusée. Pour d'autres c'est le refus d'une école blessante ou oppressante. Il faut y ajouter les facteurs personnels ou familiaux. Pour combien de filles décrocheuses la rupture est liée à une grossesse ou à l'obligation d'effectuer des tâches ménagères ? Pour combien de garçons , l'obligation de gagner de l'argent ?

Le programme ministériel

Le programme ministériel laisse à la loi d'orientation des actions de fond pour ne proposer que des réalisations à court terme. Le ministre promet que chaque décrocheur se verra proposer un plan de retour en formation à travers un "contrat objectif formation emploi". Chacun sera appelé à rencontrer un tuteur et à faire un bilan scolaire. Ce travail de repérage et de suivi sera effectué par les 360 plates formes de détection mises en place sous Chatel renforcées par du personnel éducation nationale. L'éducation nationale peut proposer une offre de formation car elle dispose de 40 000 places libres en lycée professionnel. Il ne s'agit pas pour le ministère de développer les dispositifs innovants pourtant mis en vitrine comme les microlycées. Notons tout de même l'engagement rappelé par G Pau-Langevin de rétablir le conseil national de l'innovation. Les tuteurs pourront s'appuyer sur l'agence du service civique qui promet d'accueillir plusieurs milliers de jeunes dans une formule où le jeune est en mission mais accompagné par éducation nationale 2 jours par semaine. Martin Hirsch, une autre référence au précédent gouvernement, rappelle que les jeunes du service civique sont rémunérés (570 € par mois). Ces programmes pourront aussi être proposés par des référents désignés dans chaque établissement où le décrochage est important.

Vice président de l'association des régions en charge de l'éducation, François Bonneau a souligné l'engagement des régions. "La décentralisation ce n'est pas moins de respect pour l'Etat. C'est faire autrement avec l'Etat, définir de nouvelles modalités de travail ensemble". Les régions entendent revoir l'orientation, qu'elles vont prendre en charge à la rentrée, pour orienter plus de jeunes vers les secteurs où l'offre d'emploi excède la demande. " Du point de vue des régions, la réalité du décrochage est insupportable", dit-il. "On sait qu'aujourd'hui un nombre important de secteurs économiques ne peuvent pas se développer faute de main d'oeuvre qualifiée."

Des dispositifs éducation nationale

Le ministère avait réuni une poignée de dispositifs innovants pour les présenter aux acteurs et aux médias, même s'ils étaient peu représentatifs du programme ministériel. On trouvait un sorte d'atelier relais, "le chantier école" d'Avignon. Ce dispositif accueille une douzaine de jeunes qui travaillent en alternance à la construction de murs de pierres sèches et à une remise à niveau scolaire. Plusieurs micro lycées étaient représentés : le microlycée 94, le lycée de la nouvelle chance de Villeurbanne, le pôle innovant lycéen parisien, le Clept de Grenoble.

Enfin l'Onisep présente deux outils importants pour le dispositif. D'abord l'adaptation aux décrocheurs de son service de chat en direct. L'Onisep ouvrira aussi début 2013 une déclinaison spéciale pour décrocheurs de son moteur de recherche géolocalisé. "Masecondechanceenligne.fr" fait le pari d'amener les décrocheurs vers les conseillers des plateformes. "La médiation humaine reste indispensable" nous a confié Pascal Charvet, directeur de l'Onisep. Le site sera mis en ligne sur Facebook et lancé sur les réseaux sociaux. Il permettre de localiser facilement l'offre de formation accessible aux décrocheurs, en prenant en compte la grande variété de leur profil.

Et les autres acteurs ?

Invités à participer au séminaire, les autres acteurs de la lutte contre le décrochage ont peu été mis en valeur. Martine May-Godard et Jacques Bonnisseau, de la région Ile-de-France, ont pu rapidement présenter le programme régional alors que l'Ile-de-FRance a fait de la lutte contre le décrochage sa priorité. Le programme de Rhône Alpes, imaginé par P Meirieu, a été traité plus rapidement encore. Quant aux écoles de la seconde chance , elles n'ont pas été évoquées .

Que sont devenues les promesses de François Hollande ?

"C'est un gâchis formidable sur le plan financier et humain. On met des moyens pour que les élèves puissent être qualifiés et 150 000 jeunes quittent le système scolaire sans qualification !" En janvier 2012, à Pierrefitte (93), François Hollande visite les locaux de l'AFPAD, une association locale pilote contre le décrochage. A sa sortie, il affirme "J’ai pris l’engagement qu’aucun jeune de 16 à 18 ans ne se trouvera sans solution...  Ce que vous faites ici en Seine-Saint-Denis devra être généralisé." François Hollande promet que tout jeune sera accueilli dans "une formation qualifiante, par apprentissage ou professionnelle, ou mis dans un dispositif y compris avec le service civique".   Il veut aussi "intégrer le travail personnel dans les établissements". "Que l’accompagnement soit sur le lieu même de la transmission du savoir. Pour que les enfants des familles les plus pauvres soient suivies davantage que les autres". Le grand souffle présidentiel anime encore la refondation de l'Ecole. Mais le 4 décembre, il gonflait juste les pantoufles de Luc Chatel.

François Jarraud

La visite de Hollande à Pierrefitte


Décrochage : C. Blaya : "Il n’existe pas un seul type de décrocheur"

Tout a-t-il été essayé en termes de décrochage ? "La responsabilité du décrochage scolaire est souvent attribuée à des problèmes de déficience parentale. Parfois également elle se naturalise dans une vision du jeune paresseux... Ces deux visions sont pour nous autant de simplismes qui dédouanent le milieu scolaire de toute influence dans la construction de ce décrochage", écrit Catherine Blaya, professeur à l'Université de Bourgogne et co-fondatrice de l'Observatoire européen de la violence scolaire. Alors encore un livre qui accuse l'école ? L'ouvrage de Catherine Blaya, "Décrochages scolaires" au pluriel, est bien plus fin et précis que cela. "Il ne s'agit pas de dire que "c'est la faute à l'école", mais de montrer que dans ce phénomène hyper complexe il faut tenir compte aussi bien des facteurs exogènes que endogènes." Un éclairage à découvrir dans l'entretien qu'elle nous a accordé.

A-t-on une idée de l’importance de l’absentéisme et du décrochage ?

L’institution scolaire sait mieux recenser l’absentéisme lourd ou chronique que l’absentéisme occasionnel. Une enquête que j’ai publiée récemment dans Les Sciences de l’Education pour l’Ere nouvelle (Vol ; 42, n°4, 2009) montre que plus d’un tiers des élèves déclare s’absenter une journée ou plus sans excuse mais seulement 6.7% plus de cinq fois. 41.2% disent « s’être absenté dernièrement » témoignant que la norme « journée ou demies-journées est insuffisante, l’absence à un cours pour des raisons d’incompatibilité d’humeur avec l’enseignant ou la matière enseignée étant souvent mentionnée par les répondants (il s’agissait de questionnaires administrés par le chercheur en dehors de la présence des adultes de l’établissement. La connaissance institutionnelle de l’absentéisme lourd (ou fréquent) rejoint les résultats de notre recherche sur l’absentéisme « auto-déclaré », par contre, 29% des répondants disent s’absenter occasionnellement (sans autorisation).

L’importance du décrochage scolaire est dépendante de la définition du phénomène et son évaluation varie selon les indicateurs utilisés: s’intéresse-t-on au décrochage à 16 ans comme le fait le ministère de l’Education nationale ou s’intéresse-t-on au décrochage plus tard, vers 20-25 ans comme le font les chercheurs du Céreq ? En France, selon le ministère de l’éducation, on s’intéresse aux jeunes encore sous obligation scolaire qui quittent le système prématurément ou ceux qui le quittent à 16 ans sans diplôme et selon ces données, les pourcentages seraient de 7% de décrocheurs. Les chiffres du Céreq (2005) annonçaient 15% et ceux de l’OCDE pour la même période sensiblement les mêmes : 14.5%. Moi-même dans mon ouvrage je me suis intéressée aux jeunes de 12-16 ans. On a tendance à qualifier de « décrocheurs » les jeunes qui quittent l’école sans diplôme qualifiant indifféremment ceux que l’on a expulsés ou aidés à partir et ceux qui ont fait le choix de partir.

On a l'impression que l'opinion publique est un peu lasse des efforts vers la partie la plus faible de sa population. Pourquoi faut-il qu'elle s'intéresse au décrochage ?

Le décrochage est plus qu’un problème de l’école ou le problème de jeunes en difficulté, c’est un problème de société. Ce n’est pas un problème nouveau, dans les années 1970 environ 200 000 jeunes quittaient le système éducatif sans diplôme. Aujourd’hui, le décrochage est devenu un problème social car sans diplôme il est plus difficile de trouver un emploi. Berthot (2006) montre que 3 ans après leur sortie du système éducatif, 40% des jeunes non qualifiés sont encore au chômage. Les résultats des pays industrialisés en termes de performance scolaire des élèves sont devenus un critère de développement et de réussite économique permettant aux pays de se comparer entre eux. Nous pensons ici notamment aux enquêtes PISA. Une éducation de qualité pour le plus grand nombre est une garantie de meilleure croissance économique et de bien-être. Les répercussions sont d’ordre économique (prise en charge sociale) car les jeunes sans diplômes sont plus souvent sans emploi ou avec des emplois précaires. D’ailleurs, si l’on regarde l’appel d’offre interministériel de 1999 sur l’étude des processus du décrochage scolaire, on voit bien qu’il ne s’agit pas d’un problème relevant uniquement de l’éducation familiale ou scolaire puisque s’étaient alors unis le FAS (Fonds d’Action Sociale), le ministère de l’Education nationale, la PJJ, le ministère de la Ville.

Quand les médias parlent de décrochage, au mieux ils évoquent la famille monoparentale pauvre. Au pire, comme un quotidien du matin, la famille africaine. Dans les deux cas, le décrochage mène à la délinquance. Et ce sont les parents (la mère incapable de tenir son fils, le père absent) qui sont responsables. Comment relisez-vous ces clichés ?

Il est navrant que certains médias se contentent parfois d’être les passeurs d’une opinion publique mal informée en quête de boucs émissaires vite trouvés. Le décrochage scolaire, même s’il concerne en majorité les jeunes issus de milieux défavorisés, non pas parce qu’ils ne sont pas capables d’apprendre comme les autres ou qu’ils sont génétiquement programmés pour remplir certaines fonctions dans la société mais parce qu’ils cumulent les difficultés tant au niveau familial parfois que personnel ou scolaire. Si le milieu familial et l’arrière-plan socio-économique influent sur la réussite scolaire, les enquêtes PISA montrent que « l’école semble souvent en renforcer l’impact ». Si le fait de vivre dans un milieu socio-économiquement défavorisé peut rendre les choses plus difficiles en termes d’apprentissage, le profil socio-économique des établissements scolaires a un impact sur la performance scolaire. Mais il n’existe pas de fatalisme, d’ailleurs l’enquête PISA 2009 montre bien que certains pays arrivent à réduire l’impact de l’origine socio-économique des élèves sur la qualité des apprentissages.

En ce qui concerne la délinquance, là encore, les choses ne sont pas si simples. Les jeunes à risque de décrochage scolaire sont plus agressifs et adoptent plus de comportements délinquants, d’attitudes perturbatrices en milieu scolaire. Ils sont ainsi plus facilement identifiables par les enseignants et font partie des élèves les plus repérés par l’institution. Si en effet, comme mes travaux le montrent mais aussi nombre des travaux de mes collègues travaillant sur le même sujet, le fait d’avoir un comportement perturbateur, déviant ou délinquant est fortement associé au décrochage scolaire, tous les décrocheurs ne sont pas délinquants, loin s’en faut. Nombre de jeunes absentéistes restent chez eux, regardent la télévision, jouent à des jeux sur l’ordinateur, dorment, s’ennuient et ne sont pas à traîner dans les rues en quête de méfaits.

Dans l'ouvrage vous présentez les différents facteurs qui poussent au décrochage. Comment devient-on décrocheur ?

Le décrochage est le résultat de processus et du cumul de plusieurs facteurs, de ruptures d’ordre personnel, familiaux et scolaires, c’est pourquoi j’ai désiré m’intéresser au phénomène en interrogeant l’ensemble de ces variables selon une méthodologie développée au Québec par Laurier Fortin et adaptée au système français privilégiant une approche multidimensionnelle du phénomène. Il n’existe pas un seul type de décrocheur mais des décrocheurs avec des caractéristiques psychologiques, sociales, économiques et scolaires différentes qui ont besoin d’une approche individualisée et non d’une prise en charge toute faite. Il convient de connaître les différents types de décrocheurs pour une meilleure prévention. Le décrochage peut être le résultat d’un écart trop grand entre les logiques scolaires et les logiques sociales dans lesquelles les élèves de milieux populaires évoluent. Ce peut être aussi la conséquence d’une expérience scolaire douloureuse dès le début de la scolarité (un manque d’accrochage), expérience marquée par des échecs répétés, des transitions d’un cycle d’études à l’autre difficiles, une marginalisation de la part des pairs, un étiquetage par l’institution inscrivant le jeune dans un continuum aboutissant à un décrochage, seul moyen d’échapper à des tensions trop fortes subies en milieu scolaire. Il peut aussi être le résultat de violences, de victimisations répétées, le seul moyen d’échapper à l’agresseur ou aux agresseurs étant parfois l’absentéisme.

Pourquoi les garçons décrochent-ils plus que les filles ?

Les garçons décrochent plus que les filles : L’ensemble des travaux sur le décrochage scolaire qu’ils soient nord-américains ou européens,  concluent que les garçons  décrochent plus que les filles au niveau du collège. Les variables les plus significatives quant à cette différence entre les filles et les garçons sont les comportements agressifs et délinquants, le fonctionnement familial  en termes de soutien affectif, résolution de problèmes et entente, une attitude plus négative envers les enseignants et de moins bons résultats scolaires chez les garçons alors que les filles rencontrent plus de difficultés de l’ordre de la dépression. Les risques que les filles décrochent sont moins importants que ceux des garçons  lorsqu’elles adoptent une attitude négative envers les enseignants. Ce qui pourrait s’expliquer par une moins grande vulnérabilité quant à la qualité des interactions avec autrui (on vient de voir qu’il en est de même pour la famille) et une vision plus pragmatique de leur scolarité perçue aussi comme un moyen d’autonomisation et d’acquérir une certaine indépendance. Ceci étant dit, d’autres recherches sur la réussite des filles (je pense notamment aux travaux de Marie Duru-Bellat ou à ceux de Baudelot et Establet, indiquent que les filles, bien que réussissant mieux que les garçons en moyenne, font des carrières moins brillantes dans l’enseignement supérieur. Comme le soulignent Baudelot & Establet (2009) : « Partout la domination masculine est établie : la réussite scolaire des filles ne parvient jamais à l’abolir. Même lorsque les filles sont très bonnes, elles ont tendance à s’orienter vers les matières qu’elles préfèrent (santé, lettres, humanités), ce qui pose à l’ensemble des décideurs la question du sexisme »p. 109.

D'une façon générale on évoque peu l'Ecole et son fonctionnement comme facteur de décrochage. A-t-elle une responsabilité ?

A l’école, la plupart des élèves à risque de décrochage sont peu engagés dans leurs activités scolaires et sont souvent en conflit avec leurs enseignants comme le montrent aussi les travaux de Fortin, Marcotte, Royer et Potvin (2005). L’ennui est un élément clé et est souvent invoqué par les jeunes en raison d’une orientation scolaire subie. La scolarisation en classes spéciales et le retard scolaire, le redoublement sont associés au décrochage. Le climat scolaire, lorsqu’il est négatif est peu propice à l’apprentissage. Le climat de classe et les interactions élèves enseignants ont un impact sur l’engagement du jeune dans ses activités scolaires et sociales ainsi que l’absence de règles claires dans la classe, le sentiment de manque de soutien de la part des enseignants et une forte compétition au sein du groupe. Le manque d’organisation dans la classe et une perception négative de l’enseignant augmentent le risque de décrochage scolaire. L’école  a donc une responsabilité et peut jouer un rôle important dans la prévention du décrochage scolaire par une attention particulière portée à la qualité des relations élève /enseignants (ce thème n’est pas nouveau, toutes les enquêtes sur la violence à l’école montrent que la qualité des relations jeunes /adultes est primordiale), une politique d’inclusion de tous avec des parcours en tronc commun tout en individualisant l’accompagnement sont des éléments importants en termes de réussite scolaire.

L’orientation scolaire est aussi importante, trop souvent subie en raison d’un déficit d’offre de formation dans la spécialité demandée ou pour des raisons d’éloignement du domicile, l’orientation subie est un facteur de décrochage certain car elle représente un frein quant à l’inscription du jeune dans un projet de formation et d’insertion professionnelle.

L’école ne peut toutefois tout résoudre et la réussite scolaire dépend aussi de politiques publiques en éducation mais aussi sociales. Je pense là à la politique de la Ville en termes de déghettoisation de certains quartiers de plus en plus fermés sur eux-mêmes, à une mixité sociale plus importante qui contribuerait à une plus grande réussite de tous et non pas de certains, c’est à dire les plus privilégiés d’emblée. Comme je le montre dans mon livre, le décrochage scolaire peut aussi être le résultat de dysfonctionnements familiaux et de problèmes personnels en termes de déficit d’attention, de problèmes de dépression. Il ne s’agit pas ici de pathologiser le décrochage scolaire mais de montrer qu’il s’agit d’un problème polymorphe et complexe pour lequel il n’existe pas de réponse simple et que l’image du « décrocheur » perturbateur de la classe n’est qu’une partie visible du phénomène, bien des jeunes plus discrets, plus conformes à la norme en termes de comportement scolaire sont vulnérables et risquent de décrocher par manque d’attention.

Dans l'ouvrage vous présentez plusieurs politiques menées en Amérique du nord et en Europe. Pourrait-on s'inspirer d'une de ces politiques ?

Je me méfie de l’importation de programmes tout faits et de l’impression simpliste que ce qui marche ailleurs va pouvoir fonctionner chez nous. En effet, on oublie bien souvent que le contexte est extrêmement important et qu’il faut en tenir compte. Toutefois, les évaluations scientifiques de programmes indiquent qu’il existe des caractéristiques communes à l’ensemble des programmes ayant un impact positif et je pense qu’il serait dommage de ne pas s’en inspirer.

Par exemple, les interventions les plus positives ou prometteuses sont les interventions multidimensionnelles qui prennent en compte les différents aspects de la vie du jeune et son environnement (famille, école, caractéristiques individuelles etc.). Le programme “Check and Connect” qui a fait l’objet de plusieurs évaluations scientifiques rigoureuses montre une baisse significative du décrochage. Il cible tant les jeunes que les enseignants et les adultes de la communauté scolaire (formation, implication) que les familles. Ce programme est actuellement expérimenté au Québec par mon collègue Laurier Fortin avec qui je travaille depuis de nombreuses années maintenant et les résultats semblent être là aussi positifs.

L’intérêt de ce programme est qu’il ne propose pas une solution toute faite ou des recettes mais repose sur des analyses de besoins spécifiques aux établissements, une implication des adultes qui n’est pas “top down” ainsi qu’un suivi individualisé des jeunes en fonction de leurs besoins. J’avais soumis ce programme à la Fondation de France qui avait lancé un appel d’offre pour 2010 pour la prévention du décrochage scolaire en collège. Or, cet appel d’offre proposait un financement pour un an. On sait pourtant que pour avoir un impact et que l’on soit capable de mesurer les effets d’une intervention il faut du temps et le Check and Connect prévoit une intervention sur trois ans. Je suis toujours à la recherche de financements.

A son niveau que peut faire un prof pour faciliter "l'accrochage" ?

Comme vous l’avez vu plus haut, différents aspects de ce qu’il se passe en classe ont un impact sur le risque de décrochage scolaire. La relation enseignant/enseigné est extrêmement importante. La plupart des élèves résilients (c’est à dire des élèves qui étaient en voie de décrochage mais qui se sont accrochés) ont pu à un moment ou un autre de leur scolarité, développer une relation particulière de confiance à l’adulte et notamment à un enseignant. J’ai longtemps enseigné en IUFM et j’étais consternée d’entendre des stagiaires affirmer (parce qu’on le leur avait dit) qu’ils ne devaient pas communiquer avec leurs élèves en dehors du contenu même du cours, déclarer qu’ils n’étaient pas là pour communiquer mais pour enseigner. Si la communication n’est pas le vecteur d’un apprentissage réussi, qu’est-ce qui peut l’être?

Catherine Blaya

Entretien : F Jarraud

 C Blaya, Décrochages scolaires. L'école en difficulté, de Boeck, Bruxelles, 2010.


Décrochage : Une synthèse pédagogique par l'IFé
Peut-on déceler des signes précurseurs du décrochage chez les élèves du primaire ? Partant du principe que les décrocheurs du secondaire ont déjà de grosses difficultés au primaire, l'IFé publie un dossier d'actualité qui propose une synthèse des études disponibles.
Le dossier


Décrochage : Quelles réponses efficaces ?

Comment lutter efficacement contre le décrochage ? Les réponses sont aussi variées que les décrocheurs. Le Café vous invite à découvrir une sélection de dispositifs.

Décrochage : Philippe Goémé brandit l'arme de la bienveillance
Chaque année 120 000 à 150 000 jeunes quittent l'Ecole sans avoir de formation reconnue. Ces "décrocheurs" sont un immense gâchis pour la société et un défi à la refondation de l'Ecole. Philippe Goémé pilote une structure parisienne pour décrocheurs depuis 10 ans. Il livre dans un ouvrage ses réflexions sur ce qui 'marche" avec les décrocheurs. Il propose des pistes de travail qui sont valables pour tous les enseignants.
Lisez l'article...

En classe relais, reconstruire l'image de soi et de l'école
Pour réconcilier de jeunes ados avec l’école, Monique Argoualc'h a trouvé un remède imparable : faire dialoguer les générations autour des usages des nouvelles technologies pour construire un lexique universel.
Lisez l'article

A Pierrefitte, prévenir le décrochage en collège
Comment à partir d’un dispositif d’accueil d’élèves temporairement exclus est née une réflexion plus large sur la prévention du décrochage et l’amélioration des relations des élèves avec leur établissement ?
Lisez l'article...

Décrochage scolaire : L'Ile-de-France se mobilise
"Ils ne sont pas des moins que rien". Reprenant le slogan des jeunes de Seine Saint-Denis, la vice-présidente de la région Ile-de-France en charge des lycée, Henriette Zoughebi, élève la question du décrochage au niveau politique. A l'appel de la région, samedi 22 septembre, les Assises régionales de lutte contre le décrochage ont réuni près de 400 acteurs, ministre, enseignants, chefs d'établissement, jeunes décrocheurs, élus, responsables d'association ou d'administrations, autour d'un objectif : impulser une politique régionale nouvelle pour faire reculer le décrochage. Mais pour que les choses bougent vraiment il faut plus que des exhortations. A l'issue de plusieurs conférences et d'ateliers, des consensus apparaissent, des divergences s'expriment. Un vrai travail est commencé.
Lisez l'article...

Les écoles de la seconde chance contre le décrochage
15 novembre 2002 : à l'initiative de la Chambre de commerce et d'industrie de Seine Saint-Denis une première Ecole de la seconde chance s'ouvre dans le 93. Aujourd'hui, les écoles ont essaimé dans toutes les régions et tentent de remettre à flot environ 7 000 jeunes chaque année. Ce Samu de la formation s'est construit une culture éducative qui juge sévèrement l'Education nationale. Une raison de plus pour aller y voir...
Lisez l'article...

Educatice : Décrochage : Que faire ?
Faire reculer le décrochage, c'est possible ! C'est le message que voulait faire passer le ministère vendredi 23 novembre en organisant une table ronde confiée à des experts et den demandant à George Pau-Langevin, ministre de la réussite éducative, de clore le débat. Elle confirmait la création d'un conseil de l'innovation, justifiait la réforme de l'orientation et annonçait des Assises de la réussite éducative en mars.
Lisez l'article...


Sur le site du Café

Par fjarraud , le jeudi 20 décembre 2012.

Partenaires

Nos annonces