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Orientation : Comment démocratiser l'enseignement supérieur ?  

Par François Jarraud


Si la France a rattrapé son retard dans l'accès à l'enseignement supérieur, les inégalités restent criantes dans l'accès aux différentes branches de l'enseignement supérieur. Le Conseil économique, social et environnemental a adopté le 25 septembre les préconisations d'un rapport présenté par Gérard Aschiéri. Parmi elles, le rétablissement des TPE en terminale...

Comment permettre aux "nouveaux bacheliers" de réussir leurs études supérieures ? C'est tout le sujet du rapport Aschieri, adopté haut la main au CESE le 25 septembre. "Les principaux obstacles à une démocratisation réussie de l'enseignement supérieur résident dans l'orientation ainsi que dans les conditions  d'études et de vie des étudiants" précise le rapport Aschieri. Certes, 15% des étudiants sont obligés de travailler ce qui est souvent incompatible avec la réussite aux examens. Mais la référence à l'orientation rappelle que le problème se situe aussi dès le lycée avec l'arrivée des "nouveaux bacheliers".

Les "nouveaux bacheliers" sont issus de classes plus populaires et sont souvent les premiers de la famille à accéder à l'enseignement supérieur. Ils résultent de la progression récente du taux d'accès au bac. C'est à dire que pour l'essentiel, il s'agit de bacheliers professionnels. En trois ans, avec la réforme du bac pro en 3 ans,  leur nombre a doublé.

Agir dès le lycée. Le rapport préconise de mieux préparer les lycéens au supérieur. Une mesure phare se détache : le rétablissement des TPE en terminale. Interrogé par le Café, G Aschieri les TPE "préparent à ce que va être le métier d'étudiant en faisant l'apprentissage de l'autonomie". Cet enseignement bidisciplinaire innovant met les lycéens en situation de recherche. L'évaluation se focalise sur le travail de recherche plus que sur le résultat final ce qui rend les TPE très formateurs. L Fillion, ministre de l'éducation nationale, a ramené les TPE de 2 à 1 an. Et, malheureusement, les TPE n'existent que dans l'enseignement général. Les bacheliers professionnels n'ont pas d'épreuve équivalente. G Aschiéri préconise aussi de renforcer l'information des professeurs principaux pour l'orientation ainsi que les moyens de l'ONISEP.

Agir sur le supérieur. La clé de l'accès au supérieur pour les nouveaux lycéens c'est le technologique court, STS et IUT. Le rapport se limite à préconiser de "faire jouer tout leur rôle aux STS et IUT dans l'accueil des lycéens professionnels et technologiques". Aujourd'hui il y a davantage de bacheliers généraux en STS (20%) que de bacheliers professionnels (17%). "Si on impose des objectifs contraignants sans donner de moyens supplémentaires aux enseignants pour accueillir les bacheliers professionnels, ça ne marche pas", estime G Aschieri. Si le ministre peut difficilement imposer ses vues aux IUT il lui serait facile d'imposer des quotas de bacheliers professionnels en STS. Le rapport écarte cette solution. Malheureusement c'est imposer des chemins croisés aux bacheliers professionnels. Ecartés des STS par les bacheliers généraux ils sont obligés de prendre leur place en université où leur taux d'échec est très fort. Le rapport recommande également d'améliorer la prise en charge pédagogique des nouveaux étudiants en incitant à la mise en place de petits groupes en université avec des modules d'adaptation.

Améliorer les conditions de vie des étudiants. Le rapport préconise la revalorisation des bourses étudiantes limitées actuellement à 460 € sur 10 mois. Il invite aussi à la construction de logements étudiants et à développer des emplois pour les étudiants dans l'éducation nationale, allusion peut-être aux emplois aidés professeur.

Quelle efficacité ? Si toutes les préconisations du rapport sont utiles, aucune ne perturbe vraiment la situation actuelle. Le rapport souhaite que les nouveaux bacheliers soient mieux accueillis mais il ne demande pas les mesures spécifiques aux bacheliers professionnels qui permettraient leur entrée réussie dans le supérieur. Depuis deux ans , chaque année 30 à 40 000 bacheliers professionnels demandent à entrer dans le supérieur. Rien ne semble fait ni qualitativement ni quantitativement pour leur faciliter la tâche. L'ouverture massive de sections de STS dans les lycées de banlieue n'a pas eu lieu , même là où le conseil régional le souhaite comme en Ile-de-France. La concurrence sauvage avec les bacheliers généraux en STS et IUT reste la norme alors que c'est un combat perdu d'avance. Enfin rien n'est prévu pour faciliter la transition pédagogique du bac pro aux STS. Les "nouveaux bacheliers" ont décidément du mal à être pris en considération.

François Jarraud

L'avis présenté par G Aschieri


Démocratiser l'enseignement supérieur : Quelques chiffres

Pourquoi le CESE pose-t-il la question de la démocratisation de l'enseignement supérieur ? Le rapport Aschieri apporte quelques données qui parfois interrogent...

42% d'une génération

42% des jeunes Français poursuivent des études supérieures affirme le rapport. Un taux inférieur à l'objectif européen des 50% mais qui n'en est pas très éloigné. Et qui reste supérieur à celui de l'OCDE. 43% des 25-34 ans sont diplômés du supérieur contre 18% pour les 55-64 ans. On mesure la progression ! Mais ce chiffre prend en compte les formations supérieures courtes (BTS, DUT) particulièrement importantes en France. La situation de la France est moins bonne si on ne retient que les diplômes du supérieur long. Ainsi la France a peu de titulaires d'un doctorat : 1,5% des jeunes contre 1,6% dans l'OCDE, plus de 2% chez nos voisins allemands ou britanniques. Encore une partie de ce nombre est-il obtenu avec des étudiants étrangers venus finir leurs études en France... Le taux d'accès à l'enseignement supérieur reste lié à l'origine sociale : 85% des enfants de cadres, 47% d'employés et 29% des enfants d'ouvriers non qualifiés.

Le boom des bacheliers professionnels

Après une décennie de stabilisation, le nombre de bacheliers est reparti à la hausse depuis 2 ans avec la montée des bacheliers professionnels. Leur nombre a doublé. Cela résulte du passage au bac pro en 3 ans qui a escamoté le BEP. Les jeunes qui partaient avec un BEP vont maintenant jusqu'au bac.  Ce sont les "nouveaux bacheliers".            

La hiérarchisation des filières

En théorie tout bac ouvre tout accès à une formation supérieure. En fait une hiérarchisation s'opère. Elle se voit dans le devenir des bacheliers. Ainsi 13% des bacheliers généraux vont en CPGE, 46% en université, 8% en STS et 3% arrêtent leurs études. Seulement 2% des bacheliers technologiques iront en CPGE et 13% en université. 46% rempliront les STS. Quant aux bacheliers professionnels, 45% arrêteront leurs études mais 39% iront en STS, 5% en université.

Et de la réussite...

A l’issue de la première année d'université, 59% des étudiants ayant un bac général poursuivent en L2, 21% des bacheliers technologiques et seulement 18% des professionnels.

Les conditions de vie des étudiants

Les "nouveaux étudiants" viennent de milieux plus populaires. Ils ont besoin de financer leurs études et travaillent ce qui les conduit souvent à restreindre leurs ambitions. Peu bénéficient d'une bourse à taux maximum : moins de 5% des étudiants. Avec 460 € sur dix mois, cette bourse ne permet pas de payer les frais liés aux études.


Vincent Troger : Comment accueillir les nouveaux bacheliers professionnels ?

Auteur d'une étude remarquée sur l'orientation des bacheliers professionnels, Vincent Troger revient sur le phénomène majeur : l'explosion des bacheliers professionnels. Elle envoie un nouveau défi à l'enseignement supérieur : comment accueillir ces jeunes ?

Le nombre de bacheliers professionnels a beaucoup augmenté, pratiquement doublé. Pourquoi est ce un problème pour l'enseignement supérieur ?

Il y a une augmentation parce que tous ceux qui entrent en voie professionnelle vont jusqu'au bac et il y a eu un effet de cumul encore cette année. Je ne sais pas si on peut dire que cette hausse pose un problème. Ce que l'on voit dans notre enquête sur l'académie de Nantes, dont on vient juste de dépouiller les questionnaires de mai dernier, c'est que 62% des élèves de bac pro qui veulent continuer après le bac. Ils l'avaient annoncé en seconde et ils confirment. La proportion a même augmenté. Ils veulent aller en STS très majoritairement y compris en alternance pour environ un tiers d'entre eux. Ca pose deux questions : les structures sont-elles prêtes à accueillir autant d'élèves au niveau où sont les bacs pros quand ils sortent ?

Pourquoi ce choix alors que les générations d'avant s'arrêtaient au bac ou avant ?

Jusque là environ 30% voulait continuer mais sur un nombre de bacheliers plus faible. Ce qu'on observe dans l'académie de Nantes c'est que le désir de poursuite d'études est d'abord professionnel, dans une branche proche du bac pro choisi. L'objectif c'est de s'assurer une meilleure insertion et aussi avoir une chance de promotion professionnelle. Autrefois ils auraient cru dans la promotion interne. Aujourd'hui ils pensent que c'est très difficile d'accéder  un statut supérieur avec un CAP.

Ces nouveaux étudiants ont quelles particularités par rapport aux autres ?

Dans l'académie de Nantes, ce sont des jeunes qui n'ont pas d'appétence pour l'enseignement général à la fois en termes de sens des études et par rapport à la contrainte de l'école comme d'être assis. On trouve aussi davantage de jeunes d'origine populaire. Enfin ce sont des jeunes qui ont moins de mobilité que les autres étudiants. Ils envisagent un BTS dans un établissement voisin du leur. C'est une caractéristique classique des publics populaires.

Ils ne réussissent pas trop mal en STS, plus difficilement en université. Mais ils ont du mal à entrer en STS. Par exemple on trouve davantage de bacheliers généraux en STS que de bacheliers professionnels. Comment expliquer cette aberration ?

En fac il y a peu d'encadrement et d'heures de cours et ca défavorise ces élèves qui ne savent pas travailler seuls. A l'entrée en STS ils sont en concurrence avec les élèves de bac général ou technologique. Les STS sélectionnent les meilleurs dossiers. Cette logique de marché est liée aussi au fait que l'université aujourd'hui est fuie par les jeunes parce que jugée pas assez professionnalisante. Il y a quelques années les bacs généraux allaient peu en BTS. La fac souffre de son image d'études généralistes à faible capacité d'insertion professionnelle. Elle propose aussi un encadrement très faible. Pour les jeunes issus de la démocratisation c'est un handicap. Le succès du bac pro interroge l'ensemble de l'enseignement supérieur.

Que devrait-on faire face à cela ?

Je vois dans l'académie que les corps d'inspection ont la volonté, la région aussi, pour accueillir ces jeunes. Un effort sera fait. Il faudra ouvrir des classes. Mais il faudra aussi faire un effort qualitatif. Une des solutions ce serait de nommer en BTS des professeurs de lycée professionnel. Les jeunes seraient avec des enseignants qui les connaissent bien. Je ne sens pas de réticence à ces évolutions dans l'institution. Mais peut-on augmenter le nombre de classes dans le contexte financier actuel ?

Propos recueillis par François Jarraud


Lien : Comment expliquer le boom du bac pro


Sur le site du Café

Par fjarraud , le jeudi 25 octobre 2012.

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