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Décrochage scolaire : L'Ile-de-France se mobilise 

Par François Jarraud


"Ils ne sont pas des moins que rien". Reprenant le slogan des jeunes de Seine Saint-Denis, la vice-présidente de la région Ile-de-France en charge des lycées, Henriette Zoughebi, élève la question du décrochage au niveau politique. A l'appel de la région, samedi 22 septembre, les Assises régionales de lutte contre le décrochage ont réuni près de 400 acteurs, ministre, enseignants, chefs d'établissement, jeunes décrocheurs, élus, responsables d'association ou d'administrations, autour d'un objectif : impulser une politique régionale nouvelle pour faire reculer le décrochage. Mais pour que les choses bougent vraiment il faut plus que des exhortations. A l'issue de plusieurs conférences et d'ateliers, des consensus apparaissent, des divergences s'expriment. Un vrai travail est commencé.

Sans volonté politique rien ne se ferait

"Le décrochage est un processus social qui a des conséquences politiques" a rappelé Guillaume Balas, président du groupe PS au conseil régional d'Ile-de-France, auteur d'un ouvrage sur cette question. "C'est pour cela que ce n'est pas seulement le combat de l'Ecole mais de toute la société". Cette conviction est partagée par le président du conseil régional, Jean-Paul Huchon, qui a rappelé les efforts faits par la région qui finance 10 plateformes, 4 micro lycées, des programmes axés sur la prévention, le renforcement des liens avec les entreprises et l'accompagnement au retour en formation.  George Pau-Langevin, ministre de la réussite éducative, a rappelé que  la lutte contre le décrochage "est au coeur de la refondation de l'Ecole".

Définir le décrochage

Mais pour agir il faut identifier le problème. La région a demandé au Credoc une étude sur le décrochage qui permet de le quantifier. Selon les sources le nombre de décrocheurs franciliens oscille entre 25 et 33 000 avec des concentrations variables selon les cantons.  Plus de 36 000 places sont disponibles pour accueillir les décrocheurs, dont 2440 en école de la seconde chance. Mais la demande varie selon les départements et le nombre de places peut être insuffisant localement.

Quels facteurs ?

"J'ai mis 6 mois à apprendre à faire confiance aux enseignants", raconte une ex décrocheuse qui suit maintenant des études supérieures. "C'est insupportable d'être assis toute la journée à écouter des personnes qui ne nous parlent jamais". D'autres facteurs interviennent dans le décrochage, par exemple des conflits familiaux. L'orientation est aussi vivement critiquée. Mais le grand témoin des Assises, est Michel Janosz, professeur à l'université de Montréal. C'est qu'au Québec la question de la persévérance dans les études est suivie depuis plus de 15 ans. Plusieurs types de décrocheurs ont été identifiés : les discrets, les désengagés, les sous performants et les inadaptés, qui ont tous des rapports particuliers à l'école. Leur détection est possible dès le collège. L'expérience québécoise montre que pour avoir des résultats il faut mobiliser toute la société. La difficulté c'est d'insuffler des changements dans l'Ecole. Il faut donc un vrai soutien aux enseignants. 

L'engagement de la Région

"Pour certains jeunes l'école est la seule clé", explique Henriette Zoughebi. "Il faut être à la hauteur de cette exigence". La question concerne l'Ecole où il faut "revoir les contenus" mais aussi renforcer les équipes. "La région va mener une politique résolue", annonce-t-elle. Mais "si l'éducation nationale ne suit pas c'est mission impossible. On a besoin d'accompagnement humain, d'adultes autours des jeunes et qui croient en eux". Mais pour que ces différents acteurs apprennent à se connaître des ateliers les attendent.

Côté consensus : prévention et droit à l'expérimentation.

Les ateliers rassemblaient les participants de tous horizons (collectivités locales, associations, parents, acteurs sociaux, bénévoles de terrain, conseillers orientation, enseignants...) autour de questions essentielles : comment sécuriser les parcours, accompagner les jeunes en dehors de la classe, élargir l'accompagnement à l'environnement familial et social, mobiliser l'alternance pour « développer l'appétence scolaire », enfin organiser la formation continue au-delà de la scolarité initiale. Les propositions des groupes de travail se rejoignent sur la nécessité de relais et de médiations, d'équipes pluri-professionnelles, de mutualisation des moyens entre structures  s'adressant séparément aux mêmes publics, mais aussi d'un assouplissement effectif des passerelles entre filières d'études, ou encore de mise en place de dispositifs  qui assurent des droits aux jeunes pris dans les méandres du système de la formation scolaire et professionnelle. Le droit à l'échec, enfin, doit laisser place à un droit à l'expérimentation qui ne relègue pas tâtonnements et incertitudes au rang de ratages dès le début de la vie étudiante et professionnelle.

Côté tensions : les compétences spécifiques et la responsabilité pédagogique.

Mais d'autre part, s'affirment aussi des lignes de tension récurrentes : le partage des compétences pédagogiques entre Éducation nationale et collectivités territoriales, entre programme général et spécialisation des filières, mais aussi entre professionnels spécialistes de la formation et de l'orientation, et représentants de la société civile.

Peut-on ainsi gérer la pénurie de Co-Psy (conseillers d'orientation psychologues) par une redistribution de leurs fonctions auprès des enseignants ou d'instances associatives locales ? Peut-on faire d'eux les conseillers techniques des professeurs principaux, quitte à gérer collectivement les questions sensibles et personnelles d'orientation, au motif que l'entretien individuel est une perte de temps et de moyens ? Suffit-il d'être bénévole dans une association locale d'aide sociale pour conseiller avec pertinence les jeunes en déshérence scolaire – et pourquoi pas, comme le propose un animateur social, pour remplacer les enseignants absents ? Orienter, est-ce seulement distribuer des informations sur les filières ? Ou est-ce travailler avec les élèves sur leur représentation des métiers, souvent fictive et très déterminé socialement ?

Quant à la responsabilité pédagogique des contenus d'enseignement, les responsables territoriaux ne cessent de l'affirmer : ils ne veulent plus être de simples payeurs dans un système où ils ne décident rien, où on ne les consulte même pas. Ils sont las de financer des dispositifs de secours pour remédier à des situations d'échec déjà consommées. Ils veulent devenir prescripteurs au regard des besoins et des réalités locales, dans une plus grande proximité des actions de formation avec le tissu économique local.

De manière générale, l'ouverture des dispositifs scolaires à la société civile, réclamée par l'ensemble des partenaires et qu'ils estiment engagée par le Ministère Peillon, semble apparaître comme un remède providentiel et une solution nécessaire : ouvrir les établissements scolaires aux familles, aux structures partenaires, y accueillir les élèves pendant les vacances scolaires pour des activités de remédiation et de loisir, serait une manière d'y faire revenir les élèves en voie de  décrochage. L'individualisation et la réorganisation des tâches scolaires, éducatives et sociales autour des besoins particuliers de chaque individu, véritable gageure pour les organisateurs institutionnels, semblent la panacée face aux difficultés de l'institution à s'acquitter de sa tâche auprès de tous les élèves. Estomper les lignes de partage et la définition des tâches, lorsqu'elles se révèlent trop complexes à articuler autour d'une réalité défavorable, n'est-ce pas cependant se priver d'outils bien affûtés mais qu'on utilise mal ? 

Le décrochage scolaire, une plaie inacceptable.

En conclusion, Emmanuel Maurel, vice-président du Conseil Régional d'IDF a rappelé combien le décrochage scolaire constitue une cause prioritaire pour le pays et la Région et la nécessité de mobiliser tous les acteurs susceptibles de faire progresser la situation. Environ 25000 jeunes franciliens sortis sans qualification du système scolaire, qui risquent de disparaître des dispositifs et vont se retrouver au chômage pour la moitié d'entre eux : « au-delà des questions de pédagogisme, s'insurge Emmanuel Maurel, cela justifie de mettre tout le monde autour de la table ». Entre Éducation nationale, apprentissage, formation professionnelle, et monde l'entreprise, il faut en finir avec ses univers cloisonnés et qui ne se parlent pas, à cause de  blocages d'ordre culturel qu'il va falloir lever. C'est la condition pour assurer une fluidité entre ces systèmes, qui permette aux élèves de passer de l'un à l'autre.

« On a décidé d'être concrets »

Mettre l'élève au centre, estime Emmanuel Maurel, c'est aussi lui permettre d'anticiper son parcours en connaissance de cause.  « On a décidé d'être concrets », annonce-t-il. Une expérience est mise en place dans 3 zones précises, emblématiques du problème du décrochage : l'Est du Val d'Oise, le Nord-Est de Paris, et St-Denis/St Ouen. Les élus ont peur de parler de pédagogie, domaine réserver de l’Éducation nationale : « on est là pour financer pas pour dire ce qu'il y a à faire », ironise-t-il. Mais les professionnels des entreprises dans lesquels vont travailler les jeunes, les dirigeants de CFA et les formateurs ont beaucoup à partager, en particulier sur la motivation et l'envie d'apprendre. « Ce n'est pas de la formation patronale : l'élève apprend à anticiper et choisir ce qu'il va faire ». Sur les CFA, les expérimentations ont permis de limiter les ruptures de contrat, qui sont la principale source d'échec. Un encouragement pour continuer dans ce sens, dans un domaine ou les politiques, conclut Emmanuel Maurel, ont « une obligation de résultat ».

Jeanne-Claire Fumet et François Jarraud


Ile-de-France : Des lycéens responsables
Pour "faire des élèves de vrais acteurs de la vie lycéenne", la région Ile-de-France crée un "budget participatif lycéen". Géré par les lycéens avec l'aide d'un prestataire spécialisé, il permettra aux lycéens de développer des projets comme des aménagements comme l'équipement des lieux de vie. Le budget participatif sera mis en place dans 30 lycées des quartiers populaires. Chacun pourra recevoir jusqu'à 70 000 euros.
Sur ce budget

L'Ile-de-France accorde 25 millions aux lycéens
La région Ile-de-France a adopté le 11 octobre une enveloppe qui porte à 25 millions l'aide apportée par la région à la réussite des lycéens. 15 millions sont attribués à cette rentrée au renouvellement de manuels scolaires (150 € par élève) et 23€ pour l'achat de livrets d'exercice en L.P.Plus de 200 000 jeunes vont bénéficier de cette mesure.

Sept millions sont versés par la région en aide à la demi-pension. 56 000 jeunes bénéficient de la prise en charge complète ou partielle de leurs frais de repas.

Près de trois millions sont donnés à plusieurs dizaines de milliers de lycéens professionnels inscrits en Cap, Bep, bac pro ou BTS du secteur de la production, pour l'achat de vêtements de travail ou de caisse d'outils.


Michel Janosz : " Apprendre à faire travailler ensemble les différents secteurs"

Professeur spécialiste de psychoéducation de l'Université de Montréal, spécialiste en prévention sur le décrochage scolaire, Michel Janosz était le grand témoin des Assises contre le décrochage. Mais la France a-t-elle à apprendre du Québec ?

Que peut apporter le Québec à la France en matière de prévention du décrochage scolaire ?

Je pense qu'on a une certaine expertise dans la mobilisation, mais on sait aussi que ce n'est pas suffisant. Nous sommes beaucoup dans l'expérimentation concrète. Ce serait intéressant de voir, de part et d'autre, comment chacun de nos pays trouve des solutions, apporte des réponses différentes à des problèmes qui sont similaires. En même temps, parfois les problèmes paraissent similaires, mais pas dans les mêmes contextes : il faut faire attention à l'exportation des solutions des uns et des autres par rapport à ça. La question de l'ouverture à l'évaluation, au suivi de ces actions, à leur monitorage, c'est en plein bouillonnement pour nous. Je pense que ça pourrait être intéressant pour vous de le voir, parce que c'est nécessaire à l'innovation.

Notre système comporte des spécialistes de l'orientation et d'autres acteurs qu'on veut faire intervenir, mais sans savoir très bien comment. Qu'en pensez-vous ?

Il va falloir – comment dire ?.. Pour avaler un éléphant, il faut le couper en petits morceaux. Avant d'être capable d'avoir des activités de coordination sur des gros projets, il faut commencer par de petites choses, avec un nombre limité d'individus, qui vont apprendre à faire travailler ensemble les différents secteurs, la Région, la municipalité, etc. Quels mécanismes mettre en place qui ne soient pas lourds, qui n'ajoutent pas du travail dans la structure, sinon ça ne se fait pas. Il faut commencer avec des projets qui permettent d'apprendre, avant d'implanter un système au niveau de toute l'Ile de France.

Comment voyez-vous le clivage entre le système éducatif et le monde de l'entreprise ?

Je ne suis pas sûr de le voir, ni de le comprendre ainsi. J'ai surtout entendu des points de vue différents : des gens se demandent quelle est la place de l'entreprise par rapport à l'école, d'autres voient l'importance d'avoir des entreprise comme alliées dans la formation des jeunes. Ces deux positions existent et se côtoient. Je n'y vois pas de clivage, rien d'insurmontable là-dedans, j'ai plutôt entendu un consensus sur l'importance d'avoir des lieux de stage, des lieux de formation pratique, d'expérimentation pratique pour les jeunes, que ce soit en entreprise, en milieu de travail, en milieu artisanal, peu importe... L'enjeu, c'est d'avoir des lieux de formation pratique.

Entre les décrocheurs marginalisés scolairement et socialement et les élèves indécis en fin de scolarité, pensez-vous qu'on peut traiter le problème d'orientation de la même manière ?

Les pratiques éducatives et pédagogiques de base qui sont bonnes pour les uns sont bonnes pour les autres. Par exemple, renforcer tous les élèves dès le départ, mettre une bonne relation maître-élève, c'est bon pour tous les élèves. La prévention universelle est bonne. Certains élèves ont des difficultés plus spécifiques ou d’ampleur plus importante, qui nécessitent des interventions ciblées, il faut être capable d'y répondre et de les identifier, plutôt que de faire une autre école pour ces enfants-là.

Propos recueillis par Jeanne-Claire Fumet


Absentéisme : La proposition de loi Cartron débattue le 25 octobre
"Rien ne fait écho dans cette proposition d’abrogation à une quelconque posture idéologique. Il s’agit d’abolir une mesure inadaptée, injuste et inefficace qui n’apporte aucune réponse à ce grave problème que représente l’absentéisme scolaire, problème qui s’est d’ailleurs amplifié ces dernières années", promet la sénatrice Françoise Cartron. Elle a déposé le 10 septembre une proposition de loi qui abroge les articles de la loi Ciotti sur l'absentéisme.

"Les causes de l’absentéisme sont diverses et complexes, très différentes selon l’âge de l’élève : difficultés sociales, affectives, échec scolaire, orientation subie… On voit alors mal comment la suppression des allocations familiales, lorsque l’enfant est en situation de décrochage, pourrait régler quoi que ce soit. Cette disposition est en vérité une double peine infligée à des familles souvent fragilisées et démunies, et par conséquent, qui risque de les éloigner durablement, voire définitivement, d'un système de soutien pérenne".
La proposition de loi
Rapport Cartron sur la carte scolaire

Décrochage : Analyse factorielle avec C. Blaya
Tout a-t-il été essayé en terme de décrochage ? "La responsabilité du décrochage scolaire est souvent attribuée à des problèmes de déficience parentale. Parfois également elle se naturalise dans une vision du jeune paresseux... Ces deux visions sont pour nous autant de simplismes qui dédouanent le milieu scolaire de toute influence dans la construction de ce décrochage", écrit Catherine Blaya, professeur à l'Université de Bourgogne et co-fondatrice de l'Observatoire européen de la violence scolaire. Alors encore un livre qui accuse l'école ? L'ouvrage de Catherine Blaya, "Décrochages scolaires" au pluriel, est bien plus fin et précis que cela. "Il ne s'agit pas de dire que "c'est la faute à l'école".. mais de montrer que dans ce phénomène hyper complexe il faut tenir compte aussi bien des facteurs exogènes que endogènes." Un éclairage à découvrir dans l'entretien qu'elle nous a accordé.
Lisez l'entretien avec C. Blaya

P. Goémé : Lutter contre le décrochage en micro-lycée
Qui peut mieux parler de la lutte contre l'échec scolaire que ceux qui l'affrontent dans ses pires formes au quotidien ? Philippe Goémé dirige le Pôle Innovant Lycéen de Paris (PIL), une structure pour décrocheurs. Il préside aussi la Fespi, une fédération de structures scolaires innovantes. Pour lui la solution passe par plus de bienveillance.
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Collège : Prévenir le décrochage
Comment à partir d’un dispositif d’accueil d’élèves temporairement exclus est née une réflexion plus large sur la prévention du décrochage et l’amélioration des relations des élèves avec leur établissement ?
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Passer son bac au micro lycée
Des élèves volontaires, pour ne pas dire volontaristes, motivés, et en petit nombre, des moyens suffisants, une équipe soudée de pédagogues, le micro-lycée de la Courneuve serait-il la structure idéale d’enseignement ? Pas si simple, affirme Nathalie Broux, l’une de ses coordonnatrices.
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Sur le site du Café

Par fjarraud , le jeudi 25 octobre 2012.

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