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Les parents ont voté... 

Par François Jarraud


C'est la seule élection nationale annuelle. Tous les ans, on demande aux 20 millions de parents d'élèves de choisir leurs représentants. C'est aussi la seule élection où Français et étrangers votent côte à côte. Malgré cela, l'élection des parents d'élèves est souvent traitée avec légèreté. Est-ce à dire que les parents ne servent pas à grand chose dans le monde scolaire ?


Parents : Une élection, des attentes...

Quelles propositions font les fédérations de parents d'élèves ? Comment vivent-elles une campagne électorale aussi massive (il y a près de 20 millions d'électeurs potentiels) et qui revient tous les ans ? Valérie Marty, présidente de la Peep et Jean-Jacques Hazan, président de la FCPE répondent à nos questions...

Comment se présente l'élection ? Chaque année les associations de parents se plaignent du manque de soutien de l'administration de l'éducation nationale pour inviter les parents à voter et pour organiser les élections. "C'est comme d'habitude", nous confie Valérie Marty, présidente de la Peep. "Le ministre n'a rien fait, comme ses prédécesseurs". La Peep souligne l'absence d'affiches dans les écoles et les établissements et déplore qu'aucune campagne médiatique n'accompagne l'élection alors que les parents sont présentés en partenaires dans la refondation. "Le ministère a bien réalisé un dépliant mais il présente l'élection avec un post-it collé sur un frigidaire. Ca situe l'importance ! On est avec les courses et les autres pense bêtes ! Ca ne met pas en valeur notre travail, les professions de fois des milliers de parents bénévoles. Et c'est attristant".  Il est vrai que chaque année les associations de parents demandent une campagne médiatique que le ministère ne met pas en place. L'Education nationale mobilise très moyennement ses services et cette année l'organisation de la concertation n'a sans doute pas arrangé les choses. Plus proche du ministre, la Fcpe est moins critique. "Je regrette que les affiches ne soient pas placardées dans tous les établissements", nus dit Jean-Jacques Hazan, président de la Fcpe, la première association de parents d'élèves. "Mais il n'est pas trop tard ! Nous avons obtenu que les Dasen et les recteurs soient invités à faciliter la campagne. Et tous les sites ministériels affichent un bandeau. Mais on attendait plus d'entrain dans les académies..."

Les parents ont-ils une juste place dans l'Ecole ? "Il faut faire évoluer la place des parents dans l'institution éducative" , accorde JJ Hazan. "Mais il faut déjà reconnaître le rôle des instances où nous siégeons : conseils d'administration, conseils d'école, CAEN, CDEN, CES. Toutes ces instances ne sont pas décisionnelles. Il faudrait qu'elles le soient et que tous les usagers, parents et élèves y aient une place plus grande. Il faut un vrai statut d'élu parent d'élève qui permette à l'élu de quitter son travail pour assister aux réunions. C'est ce que F Hollande nous a promis en mars 2012. Mais déjà il faudrait que les établissements tiennent compte des parents quand ils fixent l'heure des conseils de classe par exemple". Les exigences sont moindres pour la Peep. "On veut être plus écoutés", nous confie V Marty. "Ce n'est pas tant une augmentation du nombre de représentants des parents dans les CA que nous souhaitons qu'un changement de mentalité. On cherche le consensus avec l'Ecole. Et on relève que cette question a pris peu de place dans la concertation".

Des revendications ? "On souhaite un engagement plus fort du ministère sur le lien école - collège, la possibilité par exemple d'aller enseigner en école par exemple pour les professeurs du secondaire", nous dit V Marty. "Sur l'orientation, on n'est pas demandeur d'avoir le dernier mot sur la décision finale. On préfèrerait que les enfants soient bien informés sur leur orientation et sur les métiers". Globalement déçue par la concertation, la Peep ne considère pas la modification de l'orientation comme une victoire". Du coté de la Fcpe, les revendications ne manquent pas. La Fcpe a déjà obtenu lors de la concertation cette modification du processus d'orientation. Mais elle lance déjà une nouvelle campagne sur la gratuité du système éducatif. "Il faut que la pause midi soit élargie à 2h30 à l'école, ce qui solutionnerait les problèmes d'accompagnement scolaire des communes. Il faut veiller  à la gratuité et pour cela qu'un lot de fournitures scolaires soit donné à chaque enfant. La circulaire de rentrée (qui prévoyait de limiter la liste de fournitures scolaires demandées)  n'est pas respectée... De quel droit peut-on affecter la gratuité de l'Ecole en exigeant une liste de fournitures exagérée ? ", poursuit-il. "Le futur président nous avait répondu sur ces questions  en mars. Il faut maintenant que ça avance. Il faut du normatif". La Fcpe milite aussi pour la réduction du poids du cartable, l'ouverture d'écoles publiques là où il n'y en a pas, le droit à la santé. " L'association entend peser sur le débat parlementaire sur la loi d'orientation de l'école.  "On ne veut pas tout obtenir en 2 mois. Mais on veut que les questions oubliées lors de la concertation trouvent une réponse dans la loi". Les 6 millions de parents qui iront probablement voter les 12 ou 13 octobre sont souvent aussi des électeurs politiques.


Agnès Van Zanten : Qui sont les parents délégués ?

C'est une des plus importantes élections et pourtant elle est annuelle. Le 13 et  le 14 octobre, près de 15 millions de parents d'élèves vont désigner leurs délégués dans une certaine discrétion : la campagne promotionnelle consacrée à cet événement est des plus modestes... Pourtant des milliers de parents se portent cette année encore candidats. Ils vont s'investir dans une mission qui demande des connaissances techniques et de sérieuses compétences humaines. Qui sont ces gens ? Quelles sont leurs motivations ? Comment s'organise le dialogue avec les enseignants et l'administration ? Agnès van Zanten, sociologue, auteur de "Choisir son école" et de "L'école de la périphérie" dénude leurs aspirations, leurs contradictions et les conflits qui font vivre les associations de parents.

Peut-on dessiner un profil type du militant des associations de parents d'élèves ?

Il y a une sur-représentation des catégories sociales supérieures, avec un profil qui est différent d'une association à l'autre. Les militants Fcpe appartiennent plutôt à la classe supérieure du pôle intellectuel. Ils sont proches du monde de l'école et s'investissent à la fois sur un plan instrumental, pour améliorer al scolarité de leur enfant, mais aussi avec une visée de justice sociale. Il y aussi des catégories supérieures du pôle économique qui vont s'investir davantage avec des visées instrumentales plus individualistes. Enfin il y a des personnes des classes moyennes du pôle culturel, proches de l'école : enseignants, conjoints d'enseignants. Ils s'investissent avec des considérations sur le climat de l'école, et des visées de justice sociale. On a une petite fraction de classes populaires, plutôt des employés, en ascension sociale et proches de l'école.

Il faut souligner qu'il y a beaucoup de femmes chez les militants. Cela s'explique évidemment par l'investissement éducatif des mères devenu si important pour la réussite des enfants, car elle dépend de plus de cet investissement, non seulement en terme de capital culturel mais aussi dans le fonctionnement de l'école. Mais ça peut aussi pour une fraction de femmes ca peut permettre une sorte de carrière compensatoire pour des femmes qui ne sont pas forcément à la maison mais qui travaillent à temps partiel ou comme enseignante qui utilisent cette participation car elles n'ont pas forcément une carrière satisfaisante. Ca devient une sorte de carrière bis. Elles mobilisent beaucoup leurs compétences pour la réussite de leurs enfants mais elles y trouvent aussi une compensation car elles exercent des fonctions d'encadrement.

Il y a la question de la disponibilité. Quand ils occupent des fonctions élevées, ca devient un métier à mi-temps. Du coup ca se passe souvent dans des couples où les tâches sont plus équilibrées que la moyenne.

Peut-on dégager des profils d'engagement ?

Il y a d'abord "le militant". Il est en perte de vitesse  mais il existe encore. Ce sont plutôt des gens des classes moyennes, souvent issus des classes populaires, de gauche, plutôt Fcpe. Ils s'engagent sur des thématiques relatives à l'égalité, la lutte contre les discriminations. Ils  investissent localement. Ceux de la Peep sont plutôt investis sur la cause des enfants. C'est la différence avec la Fcpe.

Il y a les  "professionnels". Ce sont des parents qui font une sorte de carrière de parents d'élèves. Ils sont très compétents. Ils voient leur rôle come nécessaire pour les enfants et pour aider au bon fonctionnement de l'institution scolaire. Ils se voient au sein de l'institution.

Il y a les "amateurs" : des parents moins engagés, arrivés parfois par hasard. Ils sont plus centrés sur l'enfant que sur une motivation générale.

Il y a des différences entre militants Peep et Fcpe ?

Les militants de la Fcpe sont plus politisés. Les représentants Peep s'engagent plus au nom de la défense de la famille et de la cause de l'enfant. Mais dans les quartiers privilégiés, les militants Fcep développent aussi une logique consumeriste qui les rapproche des militants Peep. Il y a encore des différences entre les associations mais on voit une grande proximité chez les parents des catégories supérieures.

Comment s'exerce ce métier de parent d'élèves ?

Il n'est pas étonnant de trouver chez ces militants des gens qui ont des fonctions d'encadrement. Car il faut savoir lire les textes réglementaires, savoir prendre la parole, avoir un sens du contact, une certaine familiarité avec l'univers scolaire. Parfois ces compétences ont été acquises par un engagement associatif dans d'autres associations. Du coup, les relations avec les autres parents est souvent un problème. Il y a la distance sociale avec les parents de milieu populaire car ces militants sont souvent de classe supérieure ou moyenne  Il y a des problèmes de communication ou des sujets dans lesquels les classes populaires ne se reconnaissent pas. Tout cela affaiblit le rôle des parents délégués auprès de l'administration. On leur demande toujours qui ils représentent du fait de cet écart entre le profil des représentants et celui des représentés. Par exemple les délégués adressent aux parents des fiches de préparation au conseil de classe, mais les parents de milieu populaire n'y répondent généralement pas. Les parents venus de l'autre extrémité court-circuitent parfois les délégués pour traiter directement avec l'administration. Dans certains cas ils peuvent détourner le rôle de l'association.

Comment s'organisent les relations avec l'administration ?

En France le rôle des parents est très limité vis a vis des enseignants. Dès la maternelle les enseignants essaient de les coopter pour obtenir leur soutien ou des moyens matériels pour l'école. On limite leur intervention dans le domaine pédagogique. Il faut bien comprendre que cela ne convient plus aux parents d'aujourd'hui qui ont souvent fait au moins des études secondaires et qui ont donc des compétences dans ce domaine. Les freins à l'intervention pédagogique des parents sont vécus aujourd'hui de façon très frustrante par les parents. Du coté de l 'administration il y a effectivement une faible distillation de l'information  vers les parents. L'administration ne la distribue qu'à la fin du conseil d'administration par exemple. Ce qui fait que sur des dossiers très techniques les parents sont plus manipulés que considérés comme des partenaires. Du coup les parents sont d'autant plus tentés d'être individualistes qu'ils ne  peuvent pas avoir un rôle au plan collectif .

Globalement on évolue vers moins de militantisme et plus de consumerisme ?

Il y a eu un accroissement du besoin ressenti par les parents de s'investir dans la scolarité de leur enfant qui a détourné une activité exercée par un groupe plus important sur le plan politique. Aujourd'hui ce sont plutôt les parents ceux qui s'investissent éducativement qui l'emportent. Mais je ne parle pas de consumérisme car ces parents s'investissent aussi dans l'idée de garantir le bien être des enfants. Ils ne voient pas que la seule réussite des enfants. L'idée de la réussite n'est pas unique. Il y a aussi des parents qui mettent en avant l'épanouissement de l'enfant.

Cela doit générer des frustrations ?

Au delà de ce qui se passe dans les établissements, les rapports entretenus par l'administration et les enseignants avec les parents apparaissent comme décalés par rapport à d'autres évolutions. Par exemple avec l'élévation du niveau d'instruction des parents. L'école se comporte comme si elle avait affaire a des assujettis. Or aujourd'hui elle a à faire à des gens plus capables. Dans l'école on ne débat pas alors que dans la société tout est débattu. Le corps enseignant est dans une posture de repli défensif et donc il y a peu de capacité à dialoguer. En conseil de classe on parle du papier dans les toilettes. Mais ce n'est pas le seul objet dont les parents pourraient débattre... C'est frustrant de ne pas pouvoir s'exprimer comme parent et citoyen. On sent une sorte de mépris de l'administration envers les parents Par exemple c'est souvent dans les 5 dernières minutes lors d'un conseil de classe qu'on demande aux parents s'ils ont quelque chose à dire... Il faut alors des parents qui ont du métier pour intervenir dans ces conditions et à jouer un rôle...

C'est une élection très importante. Pourquoi les sociologues ne s' intéressent-ils pas plus a ces sujets ?

Il y a peu de travaux. On s'intéresse plus aux enseignants. C'est aussi une question de financement. Il y a peu d'appels à projets sur ces questions.

Propos recueillis par François Jarraud

Agnès van Zanten, Choisir son école, Le lien social, Puf, 2009, 284 p.


A quoi servent les parents ?

Pas besoin d'un master ou de consacrer sa vie à ses gosses pour les aider efficacement dans leur réussite scolaire. Cette bonne nouvelle c'est l'OCDE qui nous la donne en se basant sur les résultats du PISA 2009. Voilà une nouvelle qui peut sembler une évidence. Elle mérite pourtant qu'on s'y arrête un peu.

Ce que met en évidence l'OCDE, dans Pisa In Focus, c'est deux choses. D'une part, les adolescents de 15 ans à qui les parents ont lu des livres quand ils étaient petits ont de bien meilleurs scores que les jeunes à qui on n'a jamais rien lu. La différence entre eux est importante (35 points : presque 6 mois d'école) quelque soit le milieu social d'origine. D'autre part, les adolescents qui ont des parents qui discutent avec eux de politique, de cinéma, de livres, de la télévision ont de meilleurs résultats que ceux qui ne bénéficient pas de ces échanges. L'écart là aussi est important (28 points).

Mine de rien ces faits interpellent le débat sur l'Ecole. D'abord ils établissent que les résultats scolaires ne se jouent pas qu'à l'école. Pour une école qui tourne le dos aux parents, pour un pays et une école qui croient tant dans le mérite et l'effort, ces résultats apportent un éclairage vraiment troublant.

Ils interviennent aussi dans le débat sur l'apprentissage de la lecture. C'est une question sur laquelle le Café reviendra, mais on peut dire déjà que le débat porte à nouveau sur les méthodes de lecture. Or ce que nous rappelle l'OCDE c'est que la lecture est d'abord une pratique sociale. On lit avec aisance pour retrouver le plaisir que l'on a eu d'histoires partagées avec ses parents et pour les imiter. Les débats sur les méthodes ont leur mérite. Mais ils occultent le vide en matière de politique culturelle et sociale qui semblent pourtant des leviers efficaces.

Enfin ces résultats ne doivent pas nous faire oublier tout ce que nous savons sur les capacités des familles à reproduire leur patrimoine social et de la société à fabriquer des inégalités. Tout ne se joue pas à l'école. Mais ce "tout" là, l'école française n'arrive pas par la suite à l'effacer.

François Jarraud

Pisa in Focus n°10

Sur le site du Café

Par fjarraud , le jeudi 25 octobre 2012.

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