Culture commune, socle commun 

A l'occasion de la tenue d'un intéressant colloque sur la question organisé par deux universités lyonnaises, l'IUFM et l'INRP, le Café remet en lumière le  débat autour du socle commun, serpent de mer de l'éducation nationale. Depuis deux ans, les discours ministériels ont soufflé le chaud et le froid sur la question, laissant penser que le "machin" allait s'ensabler dans l'immobilisme des réformes jamais mises en oeuvre. Pourtant, les chiffres inquiétants des 15% d'élèves qui ne "s'en sortent pas" en fin de scolarité obligatoire redonnent vigueur à la voix de ceux qui appellent à des mesures vigoureuses. Maguy Schneider, Sophie Morlaix, Denis Meuret, Jean-Yves Rocheix, Roger-François Gauthier, Régis Dupré participent à ce colloque international organisé par l'UMR "Education & Politiques" (Lyon II - INRP).



Ouverture ?


« Si vous venez chercher des solutions pour avoir des pistes concrètes pour la mise en place du socle dans les classes, vous risquez d’être déçus. Nous en sommes encore, devant les grandes difficultés qu’il semble avoir à prendre forme concrètement, à reposer ensemble les questions qui n’ont toujours pas été résolues. » Cet avertissement d’un des organisateurs, en début de colloque, va tenir toutes ses promesses, et montrer que les « éclairages » de la recherche, s’ils sont essentiels, ne peuvent être que des projecteurs divergents braqués sur la « scène » essentielle, celle où des enseignants s’escriment à chercher les meilleurs moyens que leurs élèves apprennent.


Dans un contexte socio-politique où il n’est pas flagrant que les efforts des centres de décisions soient axés sur la réduction des inégalités, après plusieurs années de secousses sur les programmes, ou d’inquiétudes sur les moyens et sur la formation, c’est un euphémisme de penser que le Socle Commun voté par le Parlement n’est pas nécessairement ce qui vient à l’esprit en premier lorsqu’on parle d’Ecole ou d’éducation. Pourtant, le modèle éducatif français peut-il s’exonérer de questionnement, si on en juge par la fraction persistante de son public qui en sort peut outillée pour construire un avenir.


L’initiative prise, les 19 et 20 novembre 2009, par deux universités lyonnaises (Lyon I et Lyon II), l’IUFM et l’INRP, ne pouvait qu’être nécessaire, comme l’a prouvé l’affluence des participants, universitaires, formateurs, inspecteurs, enseignants… « Notre colloque veut être un lieu de circulation des savoirs, de confrontations de points de vue et de résultats de recherche, de mise en question d’évidences présumées. La dimension internationale nous permet de comprendre les proximités et les différences. Nous n’en sommes pas aux solutions, mais aux discussions. » ouvre Françoise Lantheaume.


Question de mots ?


Socle commun, ou culture commune ? Derrière les mots, quelles différences de conceptions ? C’est l’occasion pour André Robert, directeur adjoint de l’équipe EducPol (Lyon II / INRP), d’un vibrant hommage aux écrits de Jean-Claude Forquin, rédacteur en chef de la Revue Française de Pédagogie jusqu’en 2000, récemment disparu : « Le socle de la loi de 2005 est-il révolutionnaire ? Est-il une rupture ? Est-il seulement la forme contemporaine de la culture, comme le prétendent ses promoteurs ? Or, le sens du mot « culture » est pluriel, et nous devons tenir compte dans la pratique de l’Education. La culture n’est pas qu’un patrimoine ou une identité. Il faut penser les relations entre école et culture. Pour reprendre les mots de Forquin, « cet ordre humain de la culture n’existe nulle part comme un tissu uniforme et immuable, mais il se spécifie au contraire dans une diversité d’apparence et de formes selon les avatars de l’histoire et les divisions de la géographie. Il varie d’une société à l’autre, et d’un groupe à l’autre au sein d’une même société. Il ne s’impose jamais de façon certaine, incontestable et identique, pour tous les individus. Il est soumis aux aleas des rapports de forces symboliques et à de perpétuels conflits d’interprétation. Il est imparfait, lacunaire, ambigu dans ses messages, inconstant dans ses prescriptions normatives, irrégulier dans ses formes, vulnérable dans ses modes de transmission et de perpétuation »… Acteurs, interprétations, traductions, nous sommes au cœur du problème… »



Table-ronde : des points de vue irréductibles, ou des tensions à transformer en levier ?


Rendre compte des pratiques sur le terrain, comprendre les interprétations des acteurs sur le socle commun… André Robert précise plusieurs interprétations possibles du socle : réorganiser le système scolaire pour répondre aux besoins des élèves les plus en difficultés ? Intrument de l’Etat pour prévenir les effets de concurrence à l’interne du système éducatif ? Résultat des réflexions de l’OCDE et de la commission européenne sur la notion de « compétences clé » ? Critique de la structure disciplinaire des programmes qui conduit à un savoir trop cloisonné et encyclopédique ? Constat des mutations dans l’organisation du travail exigeant de nouvelles compétences pour la maîn d’œuvre de demain ? Volonté de mesurer la performance des élèves et donc des systèmes éducatifs ? La table-ronde de fin de journée va confronter les points de vue...



Roger-François Gauthier : comprendre la genèse du Socle...


Inspecteur général, R.-F. Gauthier a travaillé dans le cadre d’un projet eurpéen "Kwowledge et Policy",  à comprendre le rapport entre la décision politique et les connaissances qui  en sont à l'origine. Il s'est centré sur la genèse du socle commue, en cherchant à comprendre à quelles connaissances étaient arrimées les questions qui ont amené le socle français. "Nous avons étudié l’histoire, et les scènes essentielles qui avaient mis en présence les acteurs. Nous avons identifié cinq types de savoirs : les savoirs experts, le savoirs de recherche, les savoir d’états, à partir de ce que disait le ministère et la DEP, les savoirs d’origines étrangères, les savoirs disciplinaires."


Contrairement à l'usage, le Socle n'est pas une réforme de structure, mais une réforme curriculaire. "Nous avons constaté que le projet du socle avait aussi pour but de déconstruire le désordre des lois antérieures, en «politisant» le débat, au risque que la nouvelle norme posée par le Parlement puisse ne pas cohabiter avec les pratiques, usages, programmes en vigueur, évaluations, traitement de la difficulté des élèves".


A plusieurs reprises, depuis 1993, des embryons de socle ont commencé à s’élaborer, rencontrant l’opposition des ministres. L’histoire s’accélère avec la commission Thélot, qui voit converger ceux qui pensent que c’était la seule façon de « sauver le collège unique » (Dubet)  et le « coup d’état » de Thélot qui pense que les instances habituelles n’étaient pas en capacité de faire avancer le socle (création du Haut Conseil de l’Education qui échappe au ministère). C’est une lutte féroce entre acteurs. "Nous avons constaté les insuffisances, voire l’inculture du ministère sur les questions essentielles, l’absence de la recherche en éducation qui n’a pas été un moteur du socle, ou a été instrumentalisée. Le mot « commun » fut le socle de leur sagesse, avant de se dessaisir de la définition concrète du Socle. Ce qui reste à faire est redoutable à construire, maintenant qu’on semble plus assuré que les acteurs sont à l’œuvre".



Régis Dupré : questions de terrain sur le socle…


De son point de vue de responsable de formation au Rectorat de Lyon, Régis Dupré, IA-IPR, estime que les enseignants et les chefs d’établissements se posent des questions, pour comprendre l’articulation entre socle et programmes, entre compétences et connaissances, entre l’articulation des différentes disciplines, identifier la progressivité de la maîtrise des compétences aux différentes étapes du socle, modifier les modalités d’évaluations et revoir la place des notes, utiliser des outils harmonisés nationalement ou conserver


"On ne constate pas d’opposition majeure au socle, parce que les enseignants semblent avoir compris ce qu’il voulait dire. Mais le socle demande de repenser l’activité de l’élève, l’organisation de la classe, les liens entre disciplines, les modalités d’accompagnement individualisé, l’articulation entre le premier et second degré,  des axes stratégiques dans les projets d’établissements, qui demandent de l’impulsion de la part des corps d’inspection."



Jean-Michel Zakharchouk : "se servir des tensions comme leviers"


Assumant sa position de « militant du socle », le responsable des "Cahiers Pédagogique" refuse de mettre en opposition des tensions qui peuvent devenir fécondes : connaissances et compétences, individuel et collectif, disciplinaire et transversal, norme nationale et appropriation locale. "Les incontournables du socle, ce sont les compétences, l’activité des élèves, le travail métacognitif, l’oral, le tri d’information, la pédagogie active, une autre évaluation que la seule note… L’élève qui apprend au centre : un cours, c’est savoir à la fin ce que les élèves ont appris, comme le dit Prost. La manière dont évoluent les contenus et les moyens de formation initiale et continue, le manque de recherche ne semblent pas aller dans le bon sens. Entre le courage et la ruse, soyons stratégiques."



Denis Paget : "Trois risques, une question et une considération sur la culture"


Pour l'ancien co-secrétaire général du SNES, redevenu enseignant de plein exercice, l’Education est un champ à haut risque, que l’institution peut amplifier ou diminuer. Pour lui, le Socle n’est pas parti d’une réflexion sur la culture, ni sur la culture scolaire, mais d’une recommandation de la commission européenne. "Ce ne serait pas dérangeant en soi, si nous avions pris le temps du débat. La France a francisé le Socle en refusant de prendre en charge la situation de tous ceux qui sortent sans qualification : nous sommes juste avant le Mexique ou la Turquie, avec 15% de jeunes qui ne sont ni en situation d’emploi, ni en situation de formation. La « culture humaniste" est évidemment plus présentable que l’esprit d’entreprise, mais ce n'est pas une compétence parmi d’autres, c’est une attitude fondamentale. Et de quel humanisme parle-t-on quand l’homme devient la première menace de la planète : quelques repères historiques, les droits de l’homme et quelques autres broutilles ?"


Le risque lui semble être le clivage dans les ambitions scolaires : pour quels élèves enseignera-t-on le socle, et pour quels élèves enseignera-t-on les programmes, dans une société qui clive l’espace social, comme vient de le préciser la Cour des Comptes ? "Le risque est d’avoir un curriculum pour les pauvres, et un autre pour ceux qui continueront les études".


Il ne nie pas que les compétences existent. Mais pour les plus en difficultés, qui se fixent sur la tâche plus que sur l’objet d’apprentissage, le risque est grand de n’apprendre plus que des procédures. La surcharge évaluative sur le collège, lieu de tension du système éducatif avec le lycée professionnel, lui semble grave. "L’augmentation des évaluations charge la coupe pour les élèves et pour les enseignants, alors que j’aspire à des établissements qui passent plus de temps à enseigner qu’à évaluer."


L’identité nationale du Socle, est-ce un programme pour élèves en difficulté, ou un standard pour tous ? "L’échec d’un grand nombre de jeunes vient d’un décalage grandissant entre leurs pratiques culturelles et les pratiques scolaires. Ce qui pouvait s’identifier comme des pratiques culturelles est aujourd'hui beaucoup plus diffus, troublé par l’usage des nouvelles technologies, sur lesquelles il faudrait sérieusement réfléchir pour les années à venir. Dans notre école, toute une série de jeunes ne se sentent pas à l’aise parce que l’école ne leur envoie jamais de clins d’œil, que les disciplines soient de plus en plus hiérarchisées, que nous continuons à nous penser comme « universalistes » face à des élèves de plus en plus singuliers."


Pour résoudre les contradictions, et que l’école soit commune à tous, "il faut que l’école soit humaine, et ce qui transpire dans le socle, c’est davantage la performance que l’humanisme…"


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Par fjarraud , le mardi 15 décembre 2009.

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