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Entretien avec François Dubet 



FJ- Pouvez vous expliquer le sens de vos recherches ?

FD - C'est difficile en quelques mots. Disons que j'ai essayé de comprendre l'école à partir de l'expérience qu'en ont ses acteurs, notamment ses élèves. Je pars de l'idée selon laquelle la manière dont les acteurs construisent leur expérience scolaire, se motivent, donnent du sens, se sentent humiliés ou enthousiastes, nous informe sur la nature du fonctionnement et des "lois" de l'école.

FJ- en quoi vos recherches peuvent-elles aider les enseignants dans leurs pratiques ?

FD - Mes recherches ne sont pas pédagogiques et ne visent pas à donner des conseils. Elles indiquent seulement comment se passent les choses, comment pensent les autres et en ce sens, elles peuvent les aider en leur montrant dans quel ensemble ils vivent et surtout, en faisant la part des mécanismes objectifs qui conditionnent leur action. J'aimerais qu'ils se sentent moins coupables et plus libres.

FJ- quel doit être le rôle du chercheur dans le débat sur l'éducation ?

FD - Le chercheur doit donner des faits qui participent d'une connaissance et d'un débat dans un monde où les rumeurs et les idées toutes faites ont souvent force d'évidences. Par exemple : il est bon de redoubler, le niveau baisse, les écoles étrangères sont très faibles ou très inégalitaires ... Il est évident qu'il arrive, qu'il m'arrive, que le chercheur soit débordé par son rôle et s'engage directement dans un débat. D'abord on combat des idées fausses,
puis on finit par penser que l'on a des idées justes, mais peut-être
n'est-ce-pas très prudent !

FJ- Il y a 10 ans , votre livre sur les lycéens a marqué. Quelles évolutions avez vous constaté depuis ?

FD - Les lycéens que j'ai étudiés entraient dans la seconde phase de massification, celle des 80% d'une classe d'âge au niveau bac. Je ne suis pas certain que les choses aient beaucoup changé depuis cette époque, les grandes ruptures avaient eu lieu avant. Mais il clair que quelques difficultés ont pu s'accentuer notamment pour ceux que j'appelais alors "les nouveaux lycéens" et qui peuvent avoir le sentiment d'être dans une sorte de piège.

FJ- Aujourd'hui vos travaux portent principalement sur le collège. Pourquoi ?

FD - Après le lycée, il fallait bien voir le collège, ne serait-ce que dans la mesure où c'est là que les contradictions sont les plus fortes.

FJ- Quelles orientations souhaitez-vous pour le collège ?

FD - Le collège unique construit en 1975 a été conçu comme le prolongement de la scolarité jusqu'à seize ans pour tous les élèves, mais aussi comme la généralisation pour tous du modèle scolaire du lycée d'enseignement général longtemps réservé aux élites sociales et scolaires. Durant vingt ans, par un jeu de filières et sélections, ce modèle a longtemps été détourné. Mais aujourd'hui, ce modèle ne peut plus tenir et le travail des enseignants est écartelé entre le modèle du lycée et celui de l'école commune. Quant aux élèves, ils sont nombreux à décrocher de manière plus ou moins violente. Il faut donc choisir entre le maintien d'un collège conçu comme un premier cycle de lycée d'enseignement général, et un collège pour tous centré sur l'apprentissage d'une culture commune. Je milite pour cette seconde solution qui semble en mesure d'accroître l'efficacité du système et d'assurer une plus grande équité. Ceci dit, cette solution ne sera pas facile car elle implique la capacité de définir une culture commune et de dire exactement quels doivent être les services et les objectifs des enseignants.

FJ- Pour vous, quelles sont les connaissances de base que le collège devrait transmettre et tous les jeunes acquérir ?

FD - Je n'ai pas de réponse à cette question parce que ce ne peut être uniquement une affaire de spécialistes et de pédagogues. C'est aux responsables politiques de dire ce que la nation attend que l'école donne à chacun et c'est aux professionnels, aux enseignants, de proposer des manières de faire. Mais ceci est toujours douloureux car la définition d'une culture commune imposera fatalement des sacrifices dans les programmes et les cadres disciplinaires qui se sont cristallisés au fil des décennies. Il faut se poser la question de savoir ce que doit être le bagage attendu de tous les élèves de tous les citoyens avant que les collégiens s'engagent dans des études plus longues. Mais cette culture commune ne peut pas être définie seulement par l'aval, par les programmes du lycée, des classes préparatoires, des concours et des universités. Il faut se poser la question du collège unique de la même manière que les fondateurs de l'école élémentaire s'étaient demandés, à la fin du XIXème siècle, ce que devaient savoir tous les citoyens de ce pays.

FJ- Finalement, travailler à l'école , ça sert à quelque chose ?

FD - Ca sert à condition que ce travail ait du sens pour les élèves et c'est là la grande difficulté pédagogique. Mais il est clair que le travail scolaire est de plus en plus utile parce que les diplômes jouent aujourd'hui un rôle essentiel dans l'entrée dans la vie professionnelle. D'ailleurs, ceux qui n'ont pas de diplômes apparaissent comme véritablement handicapés.

Quand la moitié des élèves n'avaient pas le Certificat d'Etudes Primaires, ils pouvaient cependant devenir paysans et ouvriers. Aujourd'hui ce n'est plus le cas et le travail scolaire devient indispensable. C'est pour cette raison que l'on ne peut accepter que se constitue un stock d'élèves en échec, ou se consoler par le fait heureux, que bien des individus échappent à leur destin social grâce à leur travail et à leurs succès scolaires.

Mais, faire travailler les élèves est une chose difficile car il faut que ce travail ait, pour eux, du sens intellectuel, et qu'ils en perçoivent l'utilité. Ce qui nous renvoie aux problèmes de la culture commune et à celui de la nature de l'orientation au terme du collège. Comment rompre avec une tradition de sélection par l'échec vers l'enseignement professionnel.

FJ- Quelles responsabilités ont les profs dans la crise du système éducatif
?


FD - Tous les acteurs sont responsables, y compris les parents, les élèves, les hommes politiques et les chercheurs. Mais ils préfèrent souvent une logique d'accusation des autres. Il faudrait que nous acceptions d'être responsables, ce qui ne veut pas dire coupables devant expier des fautes. Mais on ne peut imaginer que les manières de travailler, la cohésion des équipes, l'engagement des individus soient sans conséquence sur le travail effectué par l'école.

FJ- Il est frappant de constater aujourd'hui la fréquence et l'importance des rumeurs dans le milieu enseignant. Par exemple sur le fait que l'éducation n'est plus "nationale", sur les directives qui seraient données aux jurys d'examen, sur la fermeture des maternelles. Comment interprétez vous ce phénomène ?

FD - Tous ces phénomènes de rumeur sont d'abord l'expression d'une crise profonde plus que de stratégies conscientes et concertées. Les enseignants ont l'impression de ne plus contrôler leur espace de travail, ils sentent que l'alliance entre l'école et la société se défait, ils voient bien que l'école n'atteint pas les objectifs qu'elle se fixe ... Alors tout apparaît comme le fruit de machinations visant à détruire l'école : les bonnes comme les mauvaises mesures, les plus innocentes comme les plus lourdes de conséquences. Il faut absolument sortir de cette situation et construire des débats et des conflits rationnels car autrement c'est l'éducation-même qui est menacée.


François Dubet

Entretien : François Jarraud

François Dubet est l'auteur de nombreux ouvrages sur l'école.
Sur son dernier livre "Le déclin de l'institution" (Seuil), voir le compte-rendu des Cahiers Pédagogiques :
http://www.cahiers-pedagogiques.com/livres/fiches/liv206.html
Il a participé au rapport 2000 sur le collège
http://hebergement.ac-poitiers.fr/college/etudes/rapports/dubet/dubet.htm


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