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La Rubrique Juridique : La diffamation et l'injure  

La rubrique juridique de ce mois sera, une fois encore, consacrée à la question d'une enseignante concernant l'agression verbale dont elle a été l'objet dans cadre d'un cours de ses cours : un de ses élèves, vraisemblablement influencé par certains discours ambiants, a vertement critiqué les enseignants en soutenant que ceux-ci ne faisaient que relayer des discours mensongers tenus par les médias lors des évènements qui ont ensanglanté Paris.

Sa question était donc : diffamation, injure ou outrage et que faire ?



I) La diffamation et l'injure


Ces infractions sont prévues par les articles 29 à 35 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.


Article 29 Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l'identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés.

Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure.


Article 31 Sera punie de la même peine, la diffamation commise par les mêmes moyens, à raison de leurs fonctions ou de leur qualité, envers le Président de la République, un ou plusieurs membres du ministère, un ou plusieurs membres de l'une ou de l'autre Chambre, un fonctionnaire public, un dépositaire ou agent de l'autorité publique, un ministre de l'un des cultes salariés par l'Etat, un citoyen chargé d'un service ou d'un mandat public temporaire ou permanent, un juré ou un témoin, à raison de sa déposition.

La diffamation contre les mêmes personnes concernant la vie privée relève de l'article 32 ci-après.


Article 35 La vérité du fait diffamatoire, mais seulement quand il est relatif aux fonctions, pourra être établie par les voies ordinaires, dans le cas d'imputations contre les corps constitués, les armées de terre, de mer ou de l'air, les administrations publiques et contre toutes les personnes énumérées dans l'article 31.

La vérité des imputations diffamatoires et injurieuses pourra être également établie contre les directeurs ou administrateurs de toute entreprise industrielle, commerciale ou financière, dont les titres financiers sont admis aux négociations sur un marché réglementé ou offerts au public sur un système multilatéral de négociation ou au crédit.

La vérité des faits diffamatoires peut toujours être prouvée, sauf :

a) Lorsque l'imputation concerne la vie privée de la personne ;

b) (Abrogé)

c) (Abrogé)

Les deux alinéas a et b qui précèdent ne s'appliquent pas lorsque les faits sont prévus et réprimés par les articles 222-23 à 222-32 et 227-22 à 227-27 du code pénal et ont été commis contre un mineur.

Dans les cas prévus aux deux paragraphes précédents, la preuve contraire est réservée. Si la preuve du fait diffamatoire est rapportée, le prévenu sera renvoyé des fins de la plainte.

Dans toute autre circonstance et envers toute autre personne non qualifiée, lorsque le fait imputé est l'objet de poursuites commencées à la requête du ministère public, ou d'une plainte de la part du prévenu, il sera, durant l'instruction qui devra avoir lieu, sursis à la poursuite et au jugement du délit de diffamation.

Le prévenu peut produire pour les nécessités de sa défense, sans que cette production puisse donner lieu à des poursuites pour recel, des éléments provenant d'une violation du secret de l'enquête ou de l'instruction ou de tout autre secret professionnel s'ils sont de nature à établir sa bonne foi ou la vérité des faits diffamatoires.


Et première remarque d'importance : le délai de prescription de ces délits étant de trois mois, il est donc nécessaire qu'un acte juridique intervienne tous les trois mois pour qu'un tel délit ne soit pas prescrit.



1) La diffamation


C'est l'allégation ou l'imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne à laquelle le fait est imputé. L'action en diffamation civile ou pénale est prescrite trois mois après la découverte des éléments diffamatoires par le diffamé.


Quatre éléments caractérisent la diffamation :

-          l'allégation d'un fait précis ; ces faits peuvent être expressément décrit, être sous-entendus ou encore être inhérent aux termes qualifications employés.

-          la mise en cause d'une personne déterminée qui, même si elle n'est pas nommée, est clairement identifiable. Ainsi, même dénommé par un pseudonyme, une personne physique peut faire l'objet de propos diffamatoire, dès lors qu'elle est identifiable ; vus rencontrerez souvent cette situation sur les blogs ouverts par des élèves ;

-       une atteinte à l'honneur ou à la considération par un fait précis; ainsi l'imputation de fait susceptible d'entraîner une condamnation pénale peut suffire à diffamer ;

-          l'éventuel caractère public de la diffamation.


La diffamation est un délit ou une contravention suivant qu'elle est exprimée respectivement en public ou en privé. Cela étant, des propos diffamatoires tenus devant un groupe de personnes partageant une même communauté d'intérêts, comme c'est le cas de collègues d'un établissement scolaire, sont généralement considéré comme une diffamation privée.


La diffamation publique est réputée commise le jour où l'écrit est porté à la connaissance du public et mis à sa disposition et le délai de prescription d'un an commence à courir à compter de cette date.

Dans le cas d'une diffamation par Internet, la loi a prévu un droit de réponse en ligne qui ne prive pas le diffamé de ses possibilité d'action en justice mais qui peut constituer une première réponse à des propos diffamatoires tenus sur un blog d'élèves par exemple.

Le préalable à toute action sera d'informer le responsable du blog ou du site pour qu'il fasse cesser cette diffusion des propos diffamatoires au plus vite afin de ne pas voir sa responsabilité civile et pénale engagée et de ne pas être accusé de complicité. Le responsable du blog ou du site devra aussi conserver les données permettant l'identification des personnes auteurs de propos illicites ainsi que les informations et le contenu des messages pour ensuite les transmettre au Juge.

Le diffamé ou l'injurié devra ensuite agir très rapidement, en faisant immédiatement constater les propos par un huissier ou par l'Agence pour la Protection des Programmes. Ils établiront la preuve et la conserveront. En effet, si l'enregistrement de la page Internet par vos propres moyens pourra constituer un commencement de preuve, elle n'aura pas de force probante, une page Web enregistrée sur support électronique ou imprimée pouvant être très facilement modifiée.

Dans tous les cas, même si la procédure en diffamation est rapide, une assignation en référé permettra de faire cesser le trouble en urgence.

Néanmoins, l'accusation de diffamation peut être parée par l'exception de vérité ou l'exceptio veritatis

L'auteur de la diffamation qui veut invoquer cette exception dispose de dix jours pour le faire après la signification de la citation en faisant connaître au Juge les faits pour lesquels il entend prouver la vérité, les copies des pièces qu'il entend produire et les noms des témoins qu'il entend faire citer.

Le plaignant dispose ensuite de 5 jours pour fournir les pièces, et les noms des témoins, grâce auxquelles il compte réfuter ces preuves.

Cependant, l'exception de vérité ne pourra pas être invoquée quand :

-          les faits touchent la vie privée de la personne ;

-          les faits se réfèrent à une infraction amnistiée ou prescrite ;

-          les faits remontent à plus de 10 ans.


De plus, en matière de diffamation, l'intention coupable est présumée, il appartient donc à l'auteur des propos prétendument diffamatoires d'apporter la preuve de sa bonne foi.


La démonstration de la bonne foi, parfois difficile, exige la réunion de quatre critères :

-          la légitimité du but poursuivi : les propos visaient à informer en toute impartialité et non à nuire au diffamé ;

-          la sincérité : le diffamateur croyait vrai le fait diffamatoire ou disposait d'élément suffisant pour croire à la vérité des faits qu'il a relatés ;

-          la proportionnalité entre le but poursuivi et le dommage causé : la fin ne justifie pas tous les moyens ;

-          la prudence et la mesure dans l'expression qui dénotaient le souci d'une certaine prudence dans le propos.



2) L'injure


C'est l'invective ou l'expression outrageante qui ne renferme l'imputation d'aucun fait alors que la diffamation invoque un fait qui peut être, ou non, prouvé.


Quatre éléments caractérisent l'injure :

-          l'injure doit s'adresser à une ou plusieurs personnes désignées ; à nouveau, même si elle n'est pas nommée, cette personne doit être clairement identifiable (même dénommé par un pseudonyme) ;

-          elle doit manifester une volonté de nuire ;

-          elle doit consister en des propos ou invectives injurieux ou outrageants ;

-          elle doit faire l'objet d'une certaine publicité si elle est publique.


A l'inverse de la diffamation, l'injure ne repose donc sur aucun fait. Celui qui a diffamé ne peut s'exonérer en arguant l'exception de vérité puisqu'il ne peut pas prouver la véracité de ses propos injurieux.

En revanche, il peut invoquer l'excuse de provocation qu'il devra prouver par tout moyen. La jurisprudence reconnaît et définit cette notion de provocation comme un fait accompli volontairement par la personne injuriée pour provoquer une réaction qui est alors intervenue sous la forme de l'injure.

Mais attention, même si la jurisprudence n'exige pas de concomitance entre l'attaque et la riposte, l'excuse de provocation ne sera retenue par le Juge que si celui-ci considère que celui qui a proféré l'injure peut être raisonnablement considéré comme se trouvant encore sous le coup de l'émotion que cette provocation a pu lui causer.



II) L'outrage


Il est défini par l'article L 433-5 du code pénal.

Constituent un outrage puni de 7 500 euros d'amende les paroles, gestes ou menaces, les écrits ou images de toute nature non rendus publics ou l'envoi d'objets quelconques adressés à une personne chargée d'une mission de service public, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de sa mission, et de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont elle est investie.

Lorsqu'il est adressé à une personne dépositaire de l'autorité publique, l'outrage est puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende.

Lorsqu'il est adressé à une personne chargée d'une mission de service public et que les faits ont été commis à l'intérieur d'un établissement scolaire ou éducatif, ou, à l'occasion des entrées ou sorties des élèves, aux abords d'un tel établissement, l'outrage est puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende.

Lorsqu'il est commis en réunion, l'outrage prévu au premier alinéa est puni de six mois d'emprisonnement et de 7500 euros d'amende, et l'outrage prévu au deuxième alinéa est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.


Trois éléments caractérisent donc l'outrage :

-          il doit s'adresser à une personne ou un groupe de personnes chargées d'une mission de service public ;

-          il doit être commis dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions ;

-          il doit manifester une volonté de porter atteinte à la dignité ou au respect dû à la fonction ;

Mais une dénonciation à une autorité compétente de faits délictueux ou répréhensibles commis par un fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions n'est pas qualifiable d'outrage si la dénonciation se limite à décrire et qualifier les faits. De ce fait un rapport de Chef d'établissement se limitant à décrire des faits qui vous sont imputables n'est pas outrageant.


Enfin, un message apparaissant sur un forum de discussion n'est pas un outrage, en raison de son caractère public. En effet, étant publiés, ils relèvent de la diffamation ou de l'injure.


On en conclura que les propos tenus durant ce cours par cet élève relèvent de la diffamation puisque ces propos de « collaboration » des enseignants à ce qui serait une entreprise d' « enfumage collectif » de la part d'un parti politique d'extrême droite portent atteinte à l'honneur ou à la considération de cette enseignante et des corps enseignants en général.


Cela étant, considérant, l'âge de l'élève (17 ans), il sera sans doute plus sage de lui administrer un rappel à la loi, de lui recommander de choisir ses lectures avec un peu plus de discernement et de conseiller à ses parents de surveiller un peu plus ses lectures…

Et je rappelle que la claque n'est pas permise…



Laurent Piau


Laurent Piau, juriste, est l'auteur de l'ouvrage Le Guide juridique des enseignants aux éditions ESF

Sur cet ouvrage :

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Pour commander :

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Par fjarraud , le mercredi 20 janvier 2016.

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