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La Rubrique juridique : Harcèlement moral et responsabilité des personnels 

Quoi que l’on pense du dernier clip vidéo du ministère de l’Education nationale sur le harcèlement moral en milieu scolaire, il faut bien reconnaître que cette violence morale peut avoir de graves conséquences sur les enfants et les adolescents qui en sont victimes.


Et, dans un environnement scolaire de plus en plus judiciarisé, il apparaît légitime de s’interroger sur les éventuelles conséquences pénales, civiles et disciplinaires que l’abstention d’action des personnels de la communauté éducative pourraient entraîner pour ces derniers.


C’est pourquoi, dans cette rubrique juridique du numéro 165 du Mensuel, nous allons revenir sur la responsabilité pénale et civile des personnels de l’Education national.



I) Le harcèlement moral


Il apparaît, au préalable, utile de revenir sur les définitions juridiques des diverses formes de harcèlement.


Il est tout d’abord bien évident que l’on ne saurait trouver d’application aux dispositions de l’article 222-33 qui réprime le harcèlement sexuel défini comme « le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. » au harcèlement moral scolaire.


Tout comme, dans le même contexte, on ne saurait trouver matière à condamnation sur le fondement des dispositions de l’article 222-33-2-1 qui réprime « Le fait de harceler son conjoint, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale »…


Ce ne serait donc, éventuellement, qu’aux termes des dispositions de l’article 222-33-2 du code pénal, pour lequel le harcèlement moral est « Le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (…) » que la répression serait possible.


Mais ce serait oublier que, à l’évidence, cette forme de harcèlement moral professionnel ne saurait concerner les enfants et adolescents qui sont confiées à l’Education nationale.


Ce qui nous amène à un premier constat : il n’existe pas, en France, de qualification juridique du harcèlement moral hors les trois cas précités, et nul ne saurait être condamné pour une quelconque forme de harcèlement moral à l’encontre d’un élève dans le cadre scolaire…


Doit-on alors en déduire qu’il n’existe pas de risque juridique pour les personnels de l’Education national qui, témoin d’un harcèlement moral, n‘agirait pas ?


Non, bien évidemment, même si précisons-le d’emblée, le risque est très faible.


II) Sur le plan pénal


L’article 40 du code pénal dispose :


« Le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner conformément aux dispositions de l'article 40-1.


Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs. »


A priori, cet article pourrait s’appliquer.


Mais, ce serait oublier que, ainsi que nous l’avons vu, le harcèlement moral n’est pas réprimé pénalement et que, dès lors, il ne peut s’agir d’un crime ou d’un délit dont tout fonctionnaire, serait tenu de donner avis sans délai au procureur de la République.



Une certaine ambiguïté existe également en ce qui concerne les dispositions de l’article 223-6 du code de procédure pénale qui dispose :


« Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l'intégrité corporelle de la personne s'abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.


Sera puni des mêmes peines quiconque s'abstient volontairement de porter à une personne en péril l'assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours. »


Le premier alinéa de cet article visant explicitement la notion d’ « intégrité corporelle », ce qui n’est pas le propre du harcèlement moral, ce ne serait donc, éventuellement, que sur la base du second alinéa de cet article, et la notion de « péril », que vous pourriez être inquiété.


Mais, encore faudrait-il qu’il soit démontré que la victime du harcèlement moral ait été en situation de « péril » et démontré que vous aviez connaissance ou conscience de ce péril.



Restent, enfin, les dispositions du premier alinéa de l’article 434-3 qui impose la dénonciation de faits commis sur les mineurs de moins de 15 ans ou les personnes vulnérables :


« Le fait, pour quiconque ayant eu connaissance de privations, de mauvais traitements ou d'atteintes sexuelles infligés à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d'une maladie, d'une infirmité, d'une déficience physique ou psychique ou d'un état de grossesse, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. (…) »


Vous l’avez, sans doute, remarqué, cet article ne mentionne pas les termes « crime », « délit », « intégrité corporelle » ou « péril » des articles 40 et 223-6 du code pénal mais il fait mention explicitement des termes « mauvais traitements » et « en raison de son âge », ce qui le rend, à mon sens, plus applicable aux non dénonciation des cas de harcèlement moral scolaire.


C’est donc, à mon sens, sur la base des dispositions de cet article 434-3 du code pénal que des poursuites pénales pourraient éventuellement être engagées contre un membre de la communauté éducative qui aurait connaissance du harcèlement moral d’un élève mais qui s’abstiendrait de le dénoncer.



III) Sur le plan civil


On peut imaginer que des poursuites en réparation pourraient être engagées contre des personnels de l’Education nationale par les parents d’un élève victime de harcèlement moral.


En effet, l’enseignant assume une responsabilité délictuelle qui découle de son obligation de surveillance de ses élèves.


Mais, ainsi que nous l’avons étudié dans une rubrique juridique précédente (125), la loi du 5 avril 1937 exige la preuve d’une faute de l’instituteur pour engager sa responsabilité et celle-ci ne sera retenue que s’il existe un lien de causalité suffisant entre le dommage causé par l’élève ou subi par lui et la faute reprochée à l’enseignant.


Par ailleurs, je vous rappelle que l’article L 911-4 du Code de l’éducation (article 2 de la loi précité) édicte un principe de substitution de responsabilité de l’État au profit des membres de l’enseignement public et que c’est donc l’État qui, in fine, assume les conséquences financières du comportement fautif de l’enseignant.


Une fois encore le risque est donc minime.



IV) Sur le plan disciplinaire


Théoriquement, une sanction disciplinaire pourrait être infligée à un enseignant qui aurait eu connaissance d’une situation de harcèlement moral mais qui se serait abstenu d’agir pour la dénoncer ou y mettre fin.


Les cas d’application me semblent, néanmoins, extrêmement limités et les sanctions fort peu souhaitables.



En conclusion, ainsi que nous venons de la voir, le risque pénal, civil ou disciplinaire pour les enseignants de ne pas mettre fin ou de ne pas dénoncer un harcèlement moral est très faible…ce qui n’est pas une raison pour s’en abstenir.


PS : Quelques numéros verts utiles :


119 : Allô enfance maltraitée

3020 : Non au harcèlement

0800 200 000 : Non au harcèlement



Laurent Piau


Laurent Piau, juriste, est l'auteur de l'ouvrage Le Guide juridique des enseignants aux éditions ESF

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Par fjarraud , le samedi 07 novembre 2015.

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