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Alain Chaptal : Numérique : un plan qui n'a pas de mémoire 

"On agit comme si on avait oublié tout le passé". Chercheur au LabSic de Paris 13, Alain Chaptal observe depuis des années la place des technologies dans les systèmes éducatifs en France et à l'étranger et spécialement dans le monde anglo-saxon. Il réagit à l'annonce du plan Hollande. Pour lui, ce plan remet dans l'actualité des problématiques du passé, parfois avec vantardise.


François Hollande a annoncé un plan ambitieux pour le numérique à l'École avec des moyens importants. Le saut de l'École vers le numérique va-t-il se produire ?

En positif je veux souligner le fait qu'on s'intéresse à nouveau vraiment au numérique après des années où on l'a traité avec désinvolture. Mais il faut aussi dire qu'on ne sait pas grand chose de concret sur ce plan Hollande. Et on a connu tellement de plans numériques que cela incite à la prudence...


Sur quoi se fonde cette prudence ?


D'abord sur la façon dont s'est faite cette annonce. J'y vois beaucoup de naïveté. On a l'impression que le numérique va être la potion magique qui va régler les problèmes de l'École. La prétention de faire de la France le premier pays pour le numérique éducatif est déraisonnable partant d'où on est. C'est de la vantardise. On aurait pu avoir cette place en 1985 lors du plan Informatique pour tous. Ou en 1997 avec le plan Allègre. Mais pas aujourd'hui.


On ignore avec ce plan tout ce qui s'est passé. On relance ce qui n'a jamais marché. On élabore un plan Top Down avec de la concertation a postériori. Et l'optimisme qui est affiché ne se justifie pas. Qu'est ce qui fonde cette idée que le numérique va régler tous les problèmes de notre système éducatif ? L'expérience finlandaise, où on utilise le numérique de façon assez traditionnelle devrait faire réfléchir.


Le numérique ne peut pas régler la question des inégalités sociales à l'École ?


Il peut corriger certaines inégalités par exemple réduire la fracture numérique, ce qui n'est pas rien. C'est ce qu'on a vu aux Etats-Unis ou en Angleterre. Mais rééquilibrer les résultats scolaires c'est une autre affaire. D'autant qu'on a du mal à évaluer les apports du numériques. Par exemple le fait qu'avec le numérique on développe le sens critique des élèves n'ets pas évalué dans le système éducatif. On met en jeu des compétences à long terme.


Le plan repose sur les tablettes. Qu'en pensez-vous ?


Quand on parle des tablettes, on met l'accent sur les contenus et l'enjeu économique important dans la production de contenus pédagogiques. Mais je crois que F Hollande parle de tablettes parce qu'il se base sur son expérience au Conseil général de Corrèze. Or elle n'était pas très positive si on en juge par le rapport de l'inspection générale. On sait depuis l'étude de F Villemonteix que les tablettes sont orientées vers la consommation plus que la création de contenus. Elles sont donc compliquées à utiliser en classe dans des activités de création. On connait aussi d'autres limites. Il faut se rappeler le scandale des tablettes Ipads aux Etats-Unis. Le district scolaire de Los Angeles a lancé un grand pan d'équipement de tablettes pour un montant de 1,3 milliard de dollars qui a été un fiasco complet. Le rapport d"évaluation montre que les machine sont peu utilisées car les contenus sont très critiqués. Or ce sont eux qui comptent. C'est la faillite d'un plan venu d'en haut et imposé au terrain.

 

Le plan Hollande contient aussi une généralisation de l'apprentissage du codage. Qu'en pensez-vous ?


C'est incroyable qu'on puisse tenir les mêmes discours qu'à la fin des années 1970. C'est comme si on n'avait rien appris de l'échec du Logo dans les petites classes. Il est normal que l'on apprenne le codage dans des filières scientifiques. Mais on revient à une vieille guerre de religion qui oppose partisans du codage et partisans des réseaux et de la communication. On a vu l'Angleterre aller de l'u à l'autre. Il y a deux ans elle a fait un virage à 180° sous l'influence d'un lobby d'universitaires et d'informaticiens associés à des industriels. Au bout de 2 ans on peut dire que l'enseignement du codage n'est pas un succès. Il se heurte à la question de la formation des enseignants. On devrait s'éviter de relancer ce genre de guerre de religion et en pas s'enfermer dans une de ces deux positions.


Un bon plan numérique ce serait quoi ?


Je crois qu'il faut jouer sur le volontariat. Il faut éviter el systématique mais miser sur les initiatives de terrain. Utiliser les moyens pour les soutenir. Deux points doivent avoir un appui important. D'abord la formation des enseignants. Ensuite le développement de contenus pédagogiques. Enfin on devrait s'intéresser à la question de l'exploitation du Big Data éducatif. Il ya urgence sur ce point.


Propos recueillis par François Jarraud


La révolution pédagogique ne peut pas être déclenchée par une technologie

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2013/09/12092013Article6[...]

C'est retour vers le futur !

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2013/09/25092013Article6[...]

Étude Villemonteix

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/07/29072014Article6[...]

Ordicollège 19 : L'Inspection note Hollande

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2013/02/11022013Article6[...]



Numérique : Jacques-Olivier Martin : Mettre la pédagogie d'abord

Comment rendre un plan numérique utile aux enseignants ? Jacques-Olivier Martin fait partie des enseignants qui réfléchissent en lien avec une pratique réelle sur le terrain. Il enseigne le français au collège Leonard de Vinci à Saint-Brieuc, un des 23 « collèges connectés » et forme les enseignants dans l’académie de Rennes aux usages du numérique. Il occupe ainsi un poste privilégié pour éclairer les spécificités, les intérêts, les difficultés d’un enseignement réinventé par le numérique en général, par les tablettes en particulier. Plutôt qu'attendre "le grand soir numérique", il invite à se concentrer sur les apports pédagogiques du numérique au plus près du terrain.


Le président de la République a annoncé un vaste plan numérique basé sur la généralisation des tablettes dans un premier temps en 5ème. Quels points positifs y voyez-vous ?


Ce plan marque un effort, une volonté de faire avancer le numérique. Il y a un intérêt pour développer une filière productrice de contenus éducatifs numériques. Mais je suis sceptique sur la généralisation de la tablette pour chaque élève, ce qu'on appelle le 1 to 1. D'après mon expérience d'enseignant dans un collège connecté où nous avons 100 tablettes pour 600 élèves, ce n'est pas une bonne idée.


Pourquoi ?


Ce qui me vient tout de suite à l'idée ce sont les problèmes de maintenance que cela va générer. Quand on confie une tablette à chaque élève il faut s'attendre à de la casse, des problèmes logiciels. Ca se répercute en classe avec des élèves qui n'ont plus d'outil de travail. Pour le moment on ne sait pas comment la maintenance sera effectuée. A coup sur, il faudra embaucher de la main d'oeuvre...Mais l'essentiel n'est pas là. L'essentiel est dans les contenus des tablettes. Je crains que les contenus installés d'office sur les tablettes brident l'expérimentation.


Comment cela ?


On va installer sur les tablettes des manuels numériques et cela va pousser les enseignants à "faire" du manuel. Or je ne vois pas beaucoup de supériorité du manuel numérique sur le manuel papier. Certes il y a des séquences vidéo, des exercices. Je ne crois pas que le numérique apporte quelque chose de très intéressant quand il est utilisé comme le papier. C'est la même chose pour les exerciseurs. Où est la supériorité sur les exercices faits avec du papier ? On nous dit qu'ils permettent de différencier davantage les élèves par exemple parce qu'ils avancent à leur rythme. Mais c'est souvent parce qu'on se désintéresse de la correction. L'élève réussit l'exercice par répétition pas parce qu'il a  compris. 


Alors quels usages sont efficaces ?


Le numérique peut aider les élèves à résoudre des situations complexes. Par exemple, pour un travail sur l'argumentation orale, en français, on peut demander à un groupe de 2 ou 4 élèves de construire une argumentation vidéo avec la tablette. Un groupe va se faire l'avocat d'une cause et apprendra à anticiper sur les remarques d'un groupe opposé. Avec la tablette il pourra réaliser quelque chose de qualité, une vidéo par exemple, rapidement au terme d'un vrai apprentissage de l'argumentation. Mais dans ce cas là on n'a pas besoin d'une tablette par élève. Inversement la tablette en 1 to 1 va rendre plus urgente des évolutions de l'École.


Lesquelles ?


Je pense à l'éducation au numérique. Aujourd'hui 70% de mes collégiens ont un smartphone. L'école se satisfait du filtrage et ne veut pas voir quels usages les jeunes font d'internet hors du cadre scolaire. Le plan devrait mettre l'accent sur les usages des élèves. On ne les accompagne pas assez.  Il faudra bien leur donner une véritable formation. La généralisation des tablettes rendra cette position intenable. Il va bien falloir s'intéresser enfin aux usages des élèves et leur apprendre à utiliser Internet avec prudence.


Un plan numérique efficace devrait avoir quelles caractéristiques selon vous ?


Je suis convaincu de l'intérêt du numérique. Mais je ne crois effectivement pas au plan rigide qu'on n'arrivera pas à gérer. Le numérique ne répondra pas à toutes les difficultés pédagogiques.  La bonne démarche ce serait de soutenir les projets des équipes pédagogiques de terrain. Et ainsi de permettre une diffusion par capillarité de pratiques qui utilisent vraiment les apports du numérique. Le plan Hollande est trop pyramidal.


Propos recueillis par François Jarraud


Des couteaux suisses dans un collège breton

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2013/11/07112013Article63[...]




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Par fjarraud , le samedi 22 novembre 2014.

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