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Peut-on changer l'évaluation ? 


Les pratiques d'évaluation sont-elles contestables ? Sans aucun doute. D'ailleurs elles sont de plus en plus souvent mises en doute par les enseignants eux-mêmes. Une véritable révolution silencieuse a eu lieu déjà au primaire et des pratiques nouvelles apparaissent au collège. La machine politique lancée par B. Hamon et reprise par N Vallaud-Belkacem est-elle capable de guider des évolutions dans l'évaluation ? On peut en douter. En faisant de l'évaluation un enjeu politique rend-on réellement service à l'éducation ? L'art d'accompagner le changement a-t-il atteint la rue de Grenelle ?


En proposant une "conférence de consensus" sur l'évaluation des élèves, Benoît Hamon savait-il qu'elle a déjà eu lieu ? En décembre 2011, déjà l'évaluation faisait l'actualité et les IUFM de la région parisienne avaient organisé une conférence de consensus sur ce sujet. Sa conclusion mérite d'arriver jusqu'au ministère : les incantations officielles ne sont rien sans effort de formation. La remarque est particulièrement valable pour une activité enseignante aussi basique et identitaire que l'évaluation.


Une activité identitaire


Parce que la correction de copies est l'activité qui identifie le mieux le métier d'enseignant. Quand on entend les enseignants on pourrait croire que c'est la part la moins appréciée du métier. En fait c'est celle où ils se retrouvent. En salle des profs on parle plus volontiers du dernier paquet de copies et des notes du petit Z que de pédagogie ou d'avenir de l'École. C'est aussi l'activité la plus chronophage après les cours et leur préparation. Les enseignants lui consacrent en moyenne 3h36 par semaine dans le premier degré et 5h48 dans le second. La durée des corrections a à voir avec la hiérarchie symbolique des métiers enseignants. Le certifié corrige 6h40 par semaine, le professeur des écoles 4h09. Evidemment le professeur de français y passe plus de temps que celui de mathématiques. Mais l'essentiel c'est qu'aucun corps d'enseignant n'y échappe. Ainsi la maitresse de maternelle passe 1h43 à corriger les travaux de ses élèves. Le professeur d'EPS 1h49. Pas de correction, pas de professeur... En s'attaquant directement à l'évaluation, la ministre attaque le coeur du métier.


Quelles sont les pratiques d'évaluation des enseignants ?


Mais quelles méthodes d'évaluation sont utilisées aujourd'hui par les enseignants ? Permettent-elles de faire progresser les élèves ? L'Inspection générale a publié en juillet 2013 un rapport sur "la notation et l'évaluation des élèves " coordonné par Alain Houchot et Frédéric Thollon. Il dresse un état des lieux des pratiques d'évaluation de l'école au lycée. Son principal apport c'est de montrer un système éducatif coupé en deux par l'évaluation. A l'école primaire l'évaluation chiffrée a pratiquement disparu même si le Livret personnel de compétences n'a pas trouvé sa place. Par contre dans le secondaire, les notes sont toujours là et ce sont les autres modes d'évaluation qui dérogent. Le rapport souligne que toute modification de l'évaluation a des conséquences sur l'organisation des établissements et la charge de travail. Au final, les inspecteurs généraux estiment que "dans la plupart des écoles et des collèges, la réflexion sur l'évaluation n'a guère abouti... Le constat d'une absence d'objectivité est quasi constant : on ne sait pas ce qu'on évalue". Des tentatives ont eu lieu pour faire avancer les choses.


Des tentatives antérieures


Une réforme aboutie de l'évaluation a eu lieu au début des années 1970. Initiée par le terrain dans la foulée de mai 1968, elle s'est traduite par une évaluation sur 5 (ABCDE) qui a duré un certain temps avant un retour aussi tendanciel que son arrivée à la notation sur 20.  En 2000, l'évaluation est revenue dans l'actualité avec une circulaire de Claude Allègre. Le texte s'aventurait sur un terrain clandestin : la fonction répressive de l'évaluation. Le ministre entendait qu'on distingue bien évaluation des travaux et sanction disciplinaire. Sa circulaire, qui est toujours en usage, a été immédiatement présentée en salle des profs   comme "interdisant le zéro".  En se focalisant sur le zéro, le débat a illustré que l'évaluation renvoie aussi au pouvoir du professeur et pas uniquement à sa mission. En 2008, 2009 et 2011, c'est l'évaluation au bac qui ramène le thème dans l'actualité. Là aussi rien n'est sorti de cette agitation.


Le projet ministériel


A vrai dire tout est déjà dans la circulaire de rentrée. Elle fixe clairement comme objectif de "faire évoluer les pratiques d'évaluation des élèves". Elle explique qu'il "s'agit d'éviter que l'évaluation ne soit vécue par l'élève et sa famille comme un moyen de classement, de sanction, ou bien réduite à la seule notation... Il ne s'agit, en aucun cas, d'abaisser le niveau d'exigence requis par les prescriptions des programmes d'enseignement, mais de faire de l'évaluation une démarche, et non seulement une mesure, afin que l'élève se sente valorisé et encouragé à prendre confiance en ses capacités et puisse progresser". Elle rappelle que la loi d'orientation "appelle à faire évoluer les modalités d'évaluation des élèves vers une évaluation positive, simple et lisible, valorisant les progrès, encourageant les initiatives et compréhensible par les familles, pour mesurer le degré d'acquisition des connaissances et des compétences ainsi que la progression de l'élève." Selon le texte ministériel, les contenus évalués devront être " précisés à l'avance, les objectifs et les critères de l'évaluation sont énoncés et explicités". La communication des résultats de l'évaluation devra être "accompagnée de commentaires précis mettant en évidence non seulement les erreurs, les insuffisances, les fragilités, mais aussi et surtout les réussites et les progrès de l'élève afin de lui permettre d'en tirer le meilleur profit". A l'école comme au collège l'évaluation s'appuiera sur les compétences du socle commun. "Dans cette perspective, la notation chiffrée peut jouer tout son rôle dans la démarche d'évaluation dès lors qu'elle identifie les réussites comme les points à améliorer et indique à l'élève les moyens pour améliorer ses résultats", précise la circulaire. C'est dire qu'elle n'est plus jugée suffisante. La circulaire invite fermement les enseignants à associer note et évaluation des compétences. "Au collège, les évaluations sont restituées sous deux formes compatibles et complémentaires : notation chiffrée et renseignement des compétences".


Et puis arrive le projet Hamon qui sera repris par N. Vallaud-Belkacem. Selon un schéma peu original, une commission impartiale mais nommée par le ministre prépare des recommandations. La ministre les suit. Les corps d'inspection sont mobilisés pour faire la chasse aux contrevenants.


Ce beau scénario imaginé rue de Grenelle est il susceptible d'impulser un changement ? On peut en douter. D'abord parce que tout ce qui se passe dans la classe est pris au sérieux par les enseignants. Or il n'y a pas consensus dans la profession sur la question de l'évaluation. Pour que de réelles évolutions existent il faudrait qu'il y ait une demande sociale. Celle-ci n'existe pas d'une façon générale chez les enseignants. Il n'y a pas plus de consensus et de demande chez les parents. La prise de décision par en haut sur des sujets qui tiennent au coeur du métier c'est probablement ce qu'on peut faire de pire en terme d'accompagnement du changement.


Derrière la note la question du socle


Il y a pourtant deux bonnes raisons de changer les modes d'évaluation. La première c'est que la notation ne récompense pas le mérite mais participe au maintien des inégalités sociales à l'École. Les études docimologiques le montrent. Mais la croyance dans le mérite est un des derniers ciments qui tiennent l'École et son rapport avec les parents. Qui osera s'y attaquer ? Qui réussira à rendre crédible une politique éducative en faveur des plus démunis ?


La seconde c'est qu'il n'est pas possible d'installer le socle commun sans introduire l'évaluation par compétences. Or l'expérience du Livret personnel de compétences a laissé un souvenir inoubliable aux enseignants... Il faudrait de la finesse, de l'accompagnement aux équipes qui s'emparent de la question sur le terrain, de la formation continue pour que l'évaluation sur le terrain aille dans le sens du législateur. Moyens de formation, humilité, patience, soutien : l'Éducation nationale a-t-elle cela ?


François Jarraud


La conférence de consensus

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2011/12/16122011_consen[...]

Le rapport de l'inspection

http://cache.media.Éducation.gouv.fr/file/2013/98/7/Rapport-IGEN-2013-[...]





Le débat sur l'évaluation déjà lancé

La visite de la ministre de l'éducation à Vic Fezansac (32) le 14 novembre relance la question de l'évaluation des élèves. N Vallaud Belkacem veut mener une conférence de consensus sur cette question en décembre. Mais déjà les arguments s'échangent...


Venue de Paris voir un collège qui a supprimé les notes, N Vallaud Belkacem explique dans La Dépêche son objectif. "Je suis convaincue qu'il faut faire évoluer les modalités d'évaluation des élèves", dit-elle. "Mais il ne s'agit pas pour moi d'imposer la suppression des notes dans tous les collèges de France. Ce qui marche à Vic-Fezensac peut ne pas être aussi efficace dans d'autres établissements. Je crois qu'il faut bien comprendre que le problème aujourd'hui ne vient pas des notes, mais de ce que l'on en fait. Les notes sont d'abord des repères qui doivent aider les professeurs, les élèves et leurs parents à se situer dans leurs apprentissages. L'expérience du collège de Vic-Fezensac introduit ainsi d'autres modalités d'évaluation et surtout, associe l'élève à la mesure de ses résultats et des moyens qu'il a engagés pour les obtenir".


Sur son blog, Claude Lelièvre rappelle que la réforme de l'évaluation est dictée par la loi d'orientation et que la décision passera par le Conseil supérieur des programmes. Il s'appuie justement sur la réflexion de Roger-François Gauthier " En première approche, le système éducatif français peut sembler idéaliser et même sacraliser les savoirs. Pourtant, il se montre étonnamment léger […] en se fondant sur cet objet étrange et complaisant qu’est le calcul de la moyenne. Et pas seulement à l’intérieur d’une discipline, mais entre toutes les disciplines, quelques disparates qu’elles soient. La non-maîtrise d’une compétence fondamentale dans une discipline disparaît dès qu’on  »compense » ladite discipline par une autre.. ". Pour C Lelièvre, le système évaluation français "se comprend si l’essentiel, en réalité, est de  »classer » ( socio-scolairement). Mais cela révèle, in fine, une indifférence extraordinaire (et généralement inaperçue) aux acquis réels des élèves, à leurs maîtrises de tel(s) ou tel(s) savoir(s), savoir-faire ou savoir-être" .


Interrogé par La Dépêche, Philippe Meirieu va en ce sens. " L'évaluation est une chose, la notation en est une autre. Concernant cette dernière, on connaît son caractère extrêmement arbitraire et laxiste depuis près de cent ans. On sait que selon que la copie se trouve au-dessus ou au fond du paquet, il peut y avoir un écart de 4 à 6 points sur 20. On sait que la note reproduit toujours dans la tête de l'examinateur ce que l'on appelle la courbe de Gauss, c'est-à-dire une cloche qui fait que dans presque tous les cas, chaque examinateur met un tiers d'élèves entre 6 et 8, un tiers entre 8 et 12 et un tiers entre 12 et 16". Il propose d'autres exigences. " Je proposerai qu'à la fin d'un cycle, jusqu'au baccalauréat, chaque élève ai pu réaliser un certain nombre de chefs-d'œuvre : un dossier, une pièce de théâtre, un objet technologique, etc. qui attestent de l'acquisition de ses connaissances et que c'est cet ensemble d'unités de valeur qui constitue le niveau exigible."


N Vallaud Belkacem La Dépêche

http://www.ladepeche.fr/article/2014/11/14/1990850-najat-vallaud-belka[...]

Meirieu La Dépêche

http://www.ladepeche.fr/article/2014/11/14/1991078-pour-ou-contre-l-ev[...]

Claude Lelièvre

http://blog.educpros.fr/claudelelievre/2014/11/14/levaluation-une-vrai[...]





L'Apel soutient la remise en question des notes

Alors que N Vallaud-Belkacem s'apprête à réunir une conférence de consensus sur l'évaluation des élèves, elle reçoit un renfort inattendu des parents de l'enseignement catholique. En s'appuyant sur les analyses de spécialistes et un sondage réalisé auprès de parents, l'Apel demande une évaluation "partagée" et "un dialogue régulier" entre enseignant,  élèves et parents". Un soutien pour la ministre ?


Les biais de la notation rappelés par Pierre Merle


En 2007, Pierre Merle a publié aux PUF "Les notes secrets de fabrication", un ouvrage qui étudie la notation et en dénonce tous les biais.  Invité par l'Apel, l'association unique des parents d'élèves de l'enseignement catholique, le 18 novembre il reprend quelques une de ses analyses. Les études de docimologie ont bien démontré que l'évaluateur est guidé par les stéréotypes quand il note et que la notation souffre de biais sociaux. P Merle a surtout mis l'accent sur l'incohérence qu'il y a entre la notation, qui trie et sélectionne, et l'ambition affichée de faire atteindre par tous le socle commun. "La notation n'est plus en accord avec la situation actuelle" dit-il.  Il insiste aussi sur les conséquences d'une évaluation par notes : elle dévalorise les élèves faibles et diminue leur attention en classe. "Il faut comprendre ce qu'on construit avec les notes", dit P. Merle. "On construit de la distance dans une société où il y en a déjà beaucoup".


Janet Looney, directrice de l'Institut européen d'éducation et de politique sociale, insiste sur la nécessité de créer des grilles d'évaluation et d'accompagner l'évaluation de pistes données aux élèves pour améliorer leur niveau. Personne ne relève que l'évaluation par compétences elle aussi souffre des mêmes biais.


Les français sont-ils attachés à la note ?


Réalisé par Opinion Way pour l'Apel, un sondage montre à la fois un attachement à la note chez les parents et une peur de ses effets. 76% des Français jugent que l'usage de la moyenne est positif. Ils sont même 85% au lycée. Contrairement à ce qu'on sait des biais de notation, ils estiment que la note permet de mesurer les résultats des  élèves et de vérifier les acquis. Pour 86% d'entre eux la note sanctionne le travail. Si la notation est très majoritairement reconnue, la "mauvaise note" pose problème aux parents. 75% des parents jugent qu'elle fragilise l'estime de soi de l'élève et qu'elle décourage et au final 73% des parents souhaitent "que les notes aient moins d'importance", un taux qui atteint 87% en Zep. Le sondage est donc ambivalent. Les parents affirment leur soutien à une évaluation par notation mais en craignent les conséquences. En juillet 2014 un sondage du Parisien montrait que seule une minorité des Français étaient favorables à une réforme de l'évaluation.


A vrai dire le principal enseignement du sondage n'est pas mis en avant par l'Apel. Si les parents jugent la notation indispensable, 35% des parents rapportent que leur enfant a eu des mauvaises notes injustifiées. Ce taux monte à 54% en zep, ce qui renvoie à une critique de l'École chez ces familles. A noter que la notation est jugée plus injuste par les parents du privé que du public...


Les propositions de l'Apel


En concluant le débat Caroline Saliou, présidente de l'Apel avance 5 propositions. L'Apel se prononce pour une évaluation par compétences "qui valorise les qualités de l'élève et ses progrès". Elle demande "une évaluation partagée entre l'enseignant, l'élève et les parents" et une évaluation "argumentée" permettant aux parents de l'accompagner. L'Apel souhaite "un dialogue régulier " concrétisée par "des  rencontres régulières entre les enseignants, les élèves et les parents". Elle demande que les pratiques d'auto évaluation soient développées.


L'impuissance du politique


Oui mais comment satisfaire ces demandes ? Pour Pierre Merle, interrogé par le Café pédagogique, "si demain la ministre décidait de noter par couleurs elle n'irait pas loin". Pour lui, le changement par en haut ne peut pas réussir. Le changement ne peut que se diffuser. "Chacun est important pour le changement". Pas sur que les idées de l'Apel se diffusent chez les enseignants de l'école laïque...


François Jarraud


Pierre Merle : Les notes sont-elles justes ?

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/laclasse/pages/2007/86_lesnote[...]

F Butera : Les notes, une violence sociale

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/laclasse/Pages/2011/126_4.aspx

L'évaluation par compétences est-elle juste ?

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2012/02/03022012_Compete[...]




Sur le site du Café

Par fjarraud , le samedi 22 novembre 2014.

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