Le mensuel Imprimer  |  Télécharger nous suivre sur Twitter nous suivre sur Facebook

Numérique : L'enseignant ingénieur et les ressources 

L'autonomie de l'enseignant (loi d'orientation de 1989) puis la liberté pédagogique (loi d'orientation de 2005) sont les deux noms d'un pilier essentiel du métier. Malheureusement des lectures divergentes de cette reconnaissance officielle d'une "liberté" qui est en débat depuis la révolution française (Condorcet, « 5 mémoires sur l'instruction publique ») amène à de nombreuses incompréhensions de cette profession. Nous nous contenterons ici de montrer qu'elle est une nécessité absolue dès lors que les technologies, récentes ou anciennes, prennent une place de plus en plus importante dans la salle de classe. La preuve en est l'idée que le manuel scolaire était à l'origine un manuel de l'enseignant destiné à formater l'action de celui-ci, sorte de livre de catéchisme pédagogique et didactique.


Le déploiement des appareils numériques reliés à Internet, à la suite du développement de toutes les possibilités de reprographie présentes massivement dans les établissements depuis le début des années 1970, a transféré à l'enseignant la possibilité de plus en plus grande de créer lui-même des supports pour son enseignement. Ce transfert a rapidement intéressé certains mais aussi rebuté d'autres. Nous avons tous eu l'occasion de voir ces supports numériques de grande qualité réalisés par des enseignants passionnés. Ces supports nécessitent un investissement en temps et en moyens, le plus souvent, qui est très éloigné de ce que la plupart des enseignants peuvent donner dans le cadre de leur travail. Malgré de nombreuses initiatives, il reste un long chemin à parcourir pour transformer (si cela est pertinent) des enseignants en leur permettant d'intégrer ces compétences d'ingénierie.


De quoi parle-t-on quand on parle d'ingénierie : de conception, de réalisation, de mise en oeuvre et d'évaluation. Ces quatre piliers de l'ingénierie méritent qu'on les interroge en regard du métier d'enseignant.


- Concevoir un cours, c'est aller de l'analyse du besoin jusqu'à la rédaction avancée du projet de cours. Or l'enseignant est contraint dès le début de son travail par un cadre formel constitué par les programmes, l'organisation scolaire (temps, lieux, élèves, collègues, voire niveaux...). Quelle partie est imposée, quelle partie est à concevoir ? A cette possibilité de marge de manoeuvre, s'ajoute la propre culture de l'enseignant, des enseignants. On n'efface pas d'un trait de plume une forme culturelle établie sur au moins deux siècles d'expérience marquée par l'usage de produits pré-fabriqués par des éditeurs et recommandés par la hiérarchie. Un enseignant peut-il devenir un concepteur de manuels scolaires ? La question se pose au regard des pratiques d'associations enseignante et de certains éditeurs qui associent les enseignants à leur instance de conception.


- Réaliser ce que l'on a conçu c'est évidemment la phase concrète de fabrication du produit. Dans le monde enseignant, cela peut se traduire de plusieurs manières : soit il s'agit d'une réalisation complète d'un cours (type EAO par exemple) soit il s'agit de concevoir quelques supports spécifiques. La technicité liée au multimédia a complexifié ce travail, mais dans le même temps les logiciels et matériels permettant d'en concevoir sont de plus en plus faciles à utiliser, comme on peut le voir au travers des productions avec certaines applications pour tablette. Mais ces produits sont souvent "localisés", tant sur le plan technique que sur le plan pédagogique, ils sont contextualisés. Cela signifie qu'ils sont peu diffusables. D'ailleurs la mise en ligne de nombreux "scénarios pédagogiques" ne se traduit pas par des usages nombreux et tels quels.


- La mise en oeuvre d'un produit est la phase la plus captivante, car c'est celle dans laquelle on observe les effets du produit réalisé. Que ce soit un dispositif, un cours, un support, passer à la mise en oeuvre c'est vérifier la pertinence des hypothèses faites dans la phase de conception. Toutefois, cela amène parfois à des déceptions : tant de travail pour un désintérêt des élèves ! En fait il est très difficile d'isoler le produit du contexte dans lequel il s'insère. Plusieurs facteurs peuvent rendre un produit utile ou pas selon les contextes.


L'évaluation se situe à plusieurs niveaux : qualité du produit, qualité de l'utilisation, qualité du résultat de l'utilisation. L'enseignant est en constante évaluation de ses produits, mais souvent de manière implicite tout au long de la séance de cours, en particulier au travers de l'activité des élèves. Mais l'évaluation, elle, se fait dès le début de la conception et elle se termine bien longtemps après la mise en oeuvre. Evaluer un produit, c'est donc s'engager dans un processus dans lequel on reconnait ses limites de concepteurs et pour lequel on accepte l'idée qu'il sera amélioré.


La possibilité de créer des livres numériques, des supports numériques, des produits audio, visuels, etc., est de plus en plus à portée de clic de chaque enseignant. Penser qu'il suffit d'avoir la compétence technique pour tout faire est vain, dans la plupart des cas. Soit on accepte la modestie du produit, soit on le fait élaborer par des spécialistes en équipe. Les pratiques de montage avec le photocopieur ont montré que les enseignants souhaitent pouvoir personnaliser les supports en les concevant eux-mêmes. Dès lors que l'on entre dans le monde du numérique multimédia interactif, on peut rapidement se heurter à de réelles difficultés si l'on veut avoir un produit suffisamment élaboré. Contrairement à des grosses structures, comme en disposent certaines universités, les établissements scolaires n'ont pas les moyens d'apporter aux enseignants les accompagnements suffisants pour réaliser leurs propres produits. C'est pour cela que ceux qui veulent le faire s'adressent à des structures externes qui sont capables de les accompagner. Mais ces structures peuvent être tentées de proposer une conception déjà faite (à l'instar de logiciels auteurs), et ainsi de contraindre l'enseignant à se couler dans un moule avec lequel il n'est pas complètement d'accord, renonçant ainsi à la part de conception, et donc à une partie de sa liberté.


Il y a encore du chemin à parcourir, mais plusieurs exemples nous montrent que, sans aller jusqu'à des produits diffusables, nombre d'enseignants commencent à proposer des productions qui vont pouvoir, comme on le voit avec la Khan academy, peupler des supports qui rejoindront des bibliothèques partagées encore à créer. Souhaitons que cette possibilité soit ouverte rapidement et avec les outils ad hoc pour que l'on puisse voir évoluer le rapport qu'entretiennent les enseignants avec les supports numériques.


Bruno Devauchelle


Les chroniques de Bruno Devauchelle

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2012_BDevauchelle.aspx



Différencier avec le numérique ?

La différenciation est à la mode ? Le numérique est-il la nouvelle clé pour faire avancer le système éducatif sur de nouveaux chemins éducatifs qui prennent davantage en compte les personnes ? Les scientifiques qui se penchent sur la sociologie de l'école montrent pourtant que c'est d'abord l'individualisme qui émerge avant le souci de la différenciation. A l'instar de Robert Ballion qui dès les années 1980 le mettait en évidence (stock 1990), les consommateurs d'école sont devenus de plus en plus nombreux. Plusieurs chercheurs ont mis en évidence le fait qu'à la persistance des inégalités de trajectoire scolaire s'ajoutait désormais un individualisme de compétition, de concurrence. L'individualisme, porté par le numérique, l'informatique, serait-il le creuset de la différenciation ?


La montée en puissance du "souci de soi" a en tout cas fait émerger une demande de prise en compte des différences qui semble aller à l'encontre de l'idéologie égalitariste, fondatrice de l'école républicaine. Dans cette évolution, le numérique est en train d'y prendre place justement parce que l'équipement personnel des jeunes est aussi bien le symbole de l'individualisme que la potentialité de différencier.


Dans l'histoire de l'informatisation de l'enseignement scolaire, on a vu progressivement monter une vague qui appelait de ses voeux qu'il y ait un appareil par élève. Combien d'entretiens, de revendications, de propositions de personnels enseignants déclarant qu'il n'y avait pas assez de machines par rapport au nombre d'élèves. Quand dans un établissement, les matériels ne sont accessibles que sur réservation de la salle dans laquelle ils sont installés, on s'aperçoit rapidement qu'il y a un goulet d'étranglement des usages : passer par une réservation suppose une forte programmation en amont, de plus les salles équipées ne sont pas forcément adaptées aux pédagogies souhaitées. Ajoutons à cela que de nombreuses défaillances techniques amenaient les salles à ne pas être totalement opérationnelles. En d'autres termes, il y a longtemps que l'idée d'une machine par élève est dans l'arrière-plan de la réflexion sur l'utilisation du numérique à l'école, mais qu'elle ne se traduit pas dans la réalité du quotidien. Aujourd'hui ce vœux est en voie de se réaliser mais pas vraiment comme on l'a prévu, du moins dans nombre de lieux dont certains n'ont tout simplement pas les moyens de s'équiper. C'est de plus en plus souvent l'équipement personnel des élèves qui vient installer cette possibilité, remplaçant ainsi la faiblesse des financements collectifs.


En 2003, lors d'une émission sur France Culture, nous avions émis l'idée de "l'ordinateur à portée de la main" comme levier primordial des usages dans la classe par les élèves. Derrière cette proposition, déjà engagée à l'époque dans des initiatives comme celle des Landes, il y avait la conviction que cette proximité permettrait aux enseignants de mieux prendre en compte le numérique en se débarrassant de cette organisation lourde de la salle informatique. Malheureusement cette idée qui peut sembler évidente ne l'est pas pour plusieurs raisons. La première est qu'il faut toujours distinguer équipement, dispositif et usage. La deuxième c'est que nous vivons dans un contexte dans lequel la forme de la scolarisation est très ancrée dans l'esprit de tous, parents, élèves, enseignants... S'en remettre aux machines, aux artefacts techniques, pour envisager de transformer la forme scolaire, c'est s'illusionner, car le changement ne peut être que "culturel" d'abord avant d'être matériel.


Le changement culturel suppose un changement dans les représentations sociales du monde scolaire. Il s'opère d'abord de manière implicite La montée de l'individualisme et du libéralisme dans la conception de l'école au détriment de l'égalitarisme semble être un indicateur de ce changement. La différenciation pédagogique avec le numérique serait-elle alors l'habillage d'apparence et d'apparat de l'individualisme ? Cette question mérite d'être confrontée à des pratiques de classe observées, vécues. Si l'on se place du côté de la salle de classe, on observe que l'utilisation de la tablette ou de l'ordinateur portable à disposition de chaque élève rend beaucoup plus aisées les pratiques de différenciation et plus complexes les pratiques traditionnelles centrée sur le pilotage de l'enseignant, tous les élèves avançant en même temps, au même rythme. Mettre entre les mains des élèves un terminal personnel mobile connecté (TPMC) est un élément de distraction (au sens noble du terme) qu'il faut petit à petit situer dans le cadre existant, même si celui-ci n'est pas satisfaisant (locaux, mobilier, organisation temporaire etc.). Le potentiel de différenciation risque de venir davantage des initiatives des élèves que de celles des enseignants. Cela passe d'abord par une déstabilisation de l'organisation traditionnelle. Un enseignant du supérieur face à un mur d'ordinateurs et de tablettes s'interroge sur son travail. Dans l'enseignement scolaire, les choses semblent plus cadrées et le contrôle par l'enseignant de la séance reste une dominante, du moins apparente. La différenciation reste sous le contrôle de l'enseignant qui peut, s'il le souhaite et se sent à l'aise, alors modifier les pratiques pour aller vers des pratiques davantage basées sur des activités rythmées par la vitesse des apprentissages et non par l'organisation du seul enseignant. Les TPMC sont des auxiliaires précieux de ces pratiques, pour peu que l'enseignant prenne conscience de leur potentiel.


Si la différenciation c'est la prise en compte du rythme de celui qui apprend alors la forme scolaire doit évoluer. Si le numérique, personnel, facilite la différenciation, comme nous avons pu l'observer alors il faut que l'institution invite les enseignants à penser des pratiques pédagogiques qui la favorisent. Différencier n'est pas individualiser avons nous dit plus haut. De même ce n'est pas parce que les élèves ont chacun leur TPMC qu'ils doivent travailler sur un mode individuel. Bien au contraire même, il est souhaitable d'encourager les travaux a plusieurs, quitte à permettre à un groupe d'élève de disposer de moyens pour partager les écrans et logiciels des TPMC. Mais ces évolutions supposent une réflexion de fond sur les découpages de toutes natures qui sont la marque de fabrique de notre système : discipline, classe, âge, temps, lieux... Sortir de l'a priori de ces contraintes c'est donner une chance aux jeunes pour qu'ils découvrent que le matériel numérique n'est pas un simple outil, mais un véritable instrument au service de leurs apprentissages, de leur développement. Ni rupture, ni continuité entre l'école et le monde extérieur, cela n'est pas le coeur du problème, c'est plutôt la personne de l'élève du jeune qui est en fait un "intégrateur" contraint par la structure, le système en place et qui s'y reconnait moins du fait des ouvertures dont il dispose désormais et qu'il n'avait pas avant l'arrivée de ces machines connectées. Mais dans un monde ouvert, l'individualisme risque de le gagner sur la différenciation. Entre un égalitarisme forcené et un individualisme systématique, il y a un chemin à trouver pour un système scolaire renouvelé dans une société marquée par l'omniprésence du numérique dans la sphère sociale.


Bruno Devauchelle


Les chroniques de B Devauchelle

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2012_BDevauchelle.aspx



Des projets à foison pour les twittclasses

Plusieurs dizaines de classes en France ont développé des usages pédagogiques du réseau Twitter : ces « twittclasses » veulent stimuler l’écriture, développer les capacités d’expression, favoriser par le partage l’appropriation des connaissances, éduquer aux bons usages du numérique …


En ce début d’année 2014-2015, des « twittconseils » ont permis à de nombreux enseignants de tous niveaux et de toutes disciplines d’échanger leurs idées sur des projets à venir. Quelques exemples : « dictées négociées collaboratives », « quizz musical », « le petit chaperon rouge tweete », « petits problèmes de mathématiques », « décrire les coutumes de sa région », « date et météo en langue étrangère », « jouer au Cluedo en anglais », « rendre compte de la météo sous forme poétique », « grammaire : trouver le nom, l’adjectif, le verbe… », « écrire une phrase avec contraintes de construction », « petites énigmes », « étude de paysages via géolocalisation », « échange de haïkus avec contraintes », « atelier philo : je pense donc je tweete »… A suivre sur le réseau !


Le « twittconseil » comme si vous y étiez

https://storify.com/animeducaction/twittconseil

Le site des twittclasses

http://www.twittclasses.fr/

Dans le Café

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2012/09/11092012Article6[...]



Sur le site du Café


Par fjarraud , le samedi 18 octobre 2014.

Partenaires

Nos annonces