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La Rubrique juridique : Les recours devant les juridictions administratives 

Depuis quelques années, nous assistons dans l’Education nationale, à une multiplication des recours contentieux devant les juridictions administratives.


C’est pourquoi, nous allons étudier en ce mois de mars, la procédure à suivre devant les juridictions administratives si vous décidez de vous lancer vous-même dans cette aventure.



I) Organisation et compétences de la justice administrative

      1) L'organisation


Elle est de forme pyramidale.


A la base, on trouve les Tribunaux administratifs qui sont les juridictions de première instance. Ce sont eux qu'il faut saisir en cas de conflit avec l'administration. Ces juridictions examinent la légalité interne et la légalité externe d'une décision c'est-à-dire le respect de la procédure par l'administration pour prendre sa décision et la base légale de cette décision. Les Tribunaux administratifs rendent des jugements.


Au niveau intermédiaire, on trouve les Cours administrative d'appel qui vérifient que les Tribunaux administratif ont, tant sur le fond que sur la forme, correctement jugés l'affaire. Si besoin, ces juridictions rejugent le fond et la forme de l'affaire. Les Cours administratives d'appel rendent des arrêts.


Enfin, au sommet on retrouve le Conseil d'État qui lui ne se prononce, en cassation, que sur la forme les jugements ou les arrêts que les juridictions inférieures ont rendus sauf s'il a été saisi en première instance pour des décisions administratives dont la portée dépasse la compétence territoriale d'un seul tribunal administratif.


      2) Compétences


La compétence du Juge administratif se limite aux champs d'action de l'administration ; le Juge administratif se prononce donc principalement en application du droit administratif c’est-à-dire de l'ensemble des règles juridiques distinctes de celles du droit privé qui régissent l'action administrative des personnes publiques. Il apprécie peu en fonction des circonstances, se bornant à vérifier que la règle de droit a été correctement appliquée.



II) La procédure devant les juridictions administratives

La procédure devant les juridictions administratives est gratuite et essentiellement écrite. En général, elle prend de 2 à 3 ans devant les tribunaux de province et jusqu'à 5 ans devant les juridictions d'Ile-de-France. La procédure d'appel devant les Cours prend de 2 à 4 ans et la procédure devant le Conseil d'État de 1 à 2 ans. Patience donc…


Le recours à un avocat n'est pas obligatoire devant le Tribunal administratif ni devant la Cour administrative d'appel quand les agents publics font appel d'un jugement statuant sur les recours pour excès de pouvoir relatifs à leur situation personnelle. En revanche, dans les pourvois devant le Conseil d’État, la représentation par un avocat au Conseil d’État ou à la Cour de Cassation est obligatoire y compris quand c’est le Ministère qui fait appel.


Le requérant saisit le Juge administratif directement par deux types de recours :


  • Le recours en annulation : ce recours vise à faire annuler une décision supposée illégale de l'administration. Le Juge est saisi dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir par toute personne physique ou morale qui a un intérêt à l'annulation de cette décision illégale. C'est le recours le plus fréquemment utilisé.
  • Le recours de pleine juridiction : ce type de recours vise à faire reconnaître un droit à une personne physique ou morale. Le Juge, qui est saisi par celui dont le droit a été violé, et seulement par lui, vérifie tout d'abord que le requérant peut effectivement se faire reconnaître ce droit, puis il constate qu'il a été irrégulièrement porté atteinte à ce droit et enfin il prend les mesures utiles au rétablissement de ce droit dans la situation qui lui est soumise.

Ces deux recours peuvent être exercés indépendamment ou en parallèle mais le recours de pleine juridiction étant peu fréquent et nécessitant le recours à un avocat, il ne sera pas étudié.


Tout recours suppose une décision préalable faisant grief au requérant. C'est ce qui constitue son intérêt à agir. Cette décision est soit explicite, soit implicite. Il faut noter que l'appréciation de la notion de décision est très large puisque même un ordre oral peut être considéré comme une décision.


Le recours doit être formé dans les deux mois qui suivent le refus explicite ou implicite si les délais légaux vous ont été signifiés. Dans le cas contraire, ces délais ne vous sont pas opposables. Mais, même dans ce cas, ne tardez pas à agir en justice.


Le recours en annulation peut être doublé d'un référé suspension qui vise à faire suspendre en urgence l'application d'une décision de l'administration en attente de la décision sur le fond.


      1) Le recours en annulation


Le recours est déposé ou envoyé au greffe du Tribunal administratifs en autant d'exemplaires qu'il y a de parties à l'affaire plus un. Si vous le déposez, faites tamponner une copie de la première page par le greffe. Si vous l'envoyez par courrier, il se peut qu'il ne soit pas enregistré par le greffe le jour de son arrivée ce qui peut être ennuyeux si vous êtes un peu juste sur les délais.


Dans les quelques jours qui suivent l'introduction de votre recours, ce dernier est transmis à l'administration qui a généralement deux mois pour produire un mémoire en réponse. Mais, il se peut que l'administration choisisse de ne pas produire de mémoire dans le délai imparti. Dans ce cas, soit le Juge la mettra, de lui-même, en demeure de le produire, soit ce sera à vous de demander au Juge, par un courrier libre, de bien vouloir mettre la partie adverse en demeure de produire ce mémoire.


Une fois le mémoire de l'administration reçu par la Juridiction, il est enregistré puis une copie vous est transmise. Vous avez alors le choix de laisser la discussion en l'état ou bien de répondre si une omission ou une erreur grossière s'est glissée dans ce mémoire. Une fois encore, vous transmettrez votre éventuelle mémoire en réplique en plusieurs exemplaires au greffe en lettre recommandée avec accusé de réception.


Éventuellement, l'administration pourra, sur la base de votre mémoire en réplique, produire un mémoire en duplique auquel vous ne devrez, en principe, pas répondre. Mais si aucun mémoire n'est produit par l'administration, ce qui est peu probable, le Juge se prononcera sur la seule base de vos arguments.


L'échange des mémoires terminé, le Juge clôturera la procédure écrite, ouvrira la procédure orale et fixera une date d'audience dont vous serez prévenu par LR avec AR. La procédure administrative étant essentiellement écrite, il ne sera pas utile de vous rendre à l'audience si ce n'est pour écouter les conclusions du rapporteur public.


Le rapporteur public est un fonctionnaire indépendant qui est chargé de proposer en toute indépendance une solution du seul point de vue du droit. Ses conclusions, en principe éclairées, sont dans leur grande majorité suivies par les juridictions. Lors de l’audience, vous pouvez répondre par oral à ses conclusions après qu’il ait exprimé son point de vue.


Cette audience tenue, la Juridiction délibèrera et rendra une décision dans un délai qui va de 24 heures pour les référés suspension à plusieurs mois dans les affaires délicates. Cette décision sera signifiée, par le greffe, à toutes les parties à l'affaire par LR avec AR.


En cas d'annulation de la décision par le Juge, l'administration pourra soit faire appel, soit se pourvoir en cassation, soit exécuter le jugement.


Si votre recours est rejeté, vous aurez la possibilité de faire appel si la décision contestée concerne votre entrée dans la carrière, une sanction disciplinaire ou votre sortie de carrière, ou bien de vous pourvoir en cassation pour toutes les autres situations.


      2) La procédure de référé


Si vous avez déposé un recours en référé suspension, vous serez peut être convoqué à une audience dix à quinze jours après le dépôt de votre dossier.


Vous devez vous y rendre par respect pour le magistrat qui veut vous entendre mais également parce que vous aurez l'occasion d'exposer directement vos arguments au Juge.



III) le dossier de recours contentieux

      1) Composition


Le dossier déposé devant la Juridiction comporte le recours, le bordereau de productions jointes et les productions jointes.


Le recours est organisé en trois parties :


1) "Les faits" qui relate les circonstances dans lesquelles la décision est intervenue. Vous serez précis et concis, cette partie tenant en une page dans une affaire normale.

2) La "discussion" qui organise l'argumentaire du demandeur. Généralement, la "discussion" est regroupée en deux chapitres : la légalité externe et la légalité interne.

-   La légalité externe recouvre l'incompétence, c'est-à-dire la situation dans laquelle l'auteur d'une décision n'a pas la capacité légale de la prendre, et le vice de forme, qui est la situation dans laquelle une décision a été prise sans que soient respectées la procédure et la forme de l'acte qui porte décision.

-   La légalité interne regroupe le détournement de pouvoir, c'est-à-dire la situation dans laquelle l'administration a poursuivi un autre but que la satisfaction de l'intérêt public, et la violation de la loi, qui est en fait la violation d'une des règles de droit écrites.

3) Les demandes regroupées sous le titre "Par ces motifs". Il s'agit généralement de la demande d'annulation de la décision et d'une demande de remboursement des frais engagés pour défendre sa cause devant le Tribunal.

Le recours en référé suspension comporte un argumentaire supplémentaire visant à démontrer l'urgence qu'il y a à suspendre la décision. Dans cet argumentaire, vous insisterez sur l'atteinte qui est faite à vos droits fondamentaux ou patrimoniaux et l'urgence qu'il y a donc à suspendre la décision. Cet argumentaire, qui sera aussi développé lors de l'éventuelle d'audience de référé, est très important.


Chaque recours est accompagné d'un "bordereau des productions jointes" sur lequel vous listerez l'ensemble des copies des pièces que vous joignez à l'appui de votre recours. Chaque pièce sera numérotée et le numéro de ces pièces sera rappelé entre parenthèses dans le texte du recours à chaque fois qu'il y sera fait référence. La décision contestée figurera impérativement parmi ces pièces.


Enfin, le référé suspension sera accompagné d'un exemplaire du recours sur le fond.


      2) Quelques conseils.


D'une façon générale, n'oubliez pas que vous faites du droit. Donc, restez sobre et concis, la charge émotionnelle de l'affaire ne doit pas vous influencer.


Evitez de citer les avis soi-disant éclairés de collègues ou d'amis, et les détails ou les faits divers qui n'ont d'importance que pour vous.


Ne mettez pas le fonctionnement de l'administration ou les compétences des fonctionnaires en cause ; c'est un acte portant décision que vous attaquez, pas le système.


N'encombrez pas votre dossier de pièces inutiles ou à l'origine douteuse. Dans la plupart des affaires, cinq à six pièces suffisent au dossier.


Restez sobre dans les formules de politesse à l'adresse du Juge, trop de déférence pourrait agacer. N'oubliez pas que c'est l'application du droit que vous demandez, pas une faveur.


N'oubliez pas qu'un témoignage n'est recevable que s'il est manuscrit et accompagné de la photocopie recto-verso de la carte d'identité.


Indiquez sobrement au magistrat les éléments qui vont l'aider dans sa recherche du véritable but poursuivi par l'administration si vous alléguez le détournement de procédure.


Enfin, soignez la présentation mais ne faites pas de votre recours une enluminure.


Si vous comptez utiliser une décision de jurisprudence, plusieurs précautions sont à prendre.


Une décision de jurisprudence doit s'apprécier dans le cadre particulier et inédit qui a conduit le Juge à la rendre et seules des situations analogues peuvent se réclamer de la règle créée par le Juge. C’est pourquoi, il est impératif de bien analyser et comparer la situation qui a conduit à la décision faisant jurisprudence et la vôtre.


Toute utilisation d'une décision jurisprudentielle suppose aussi une étude comparative préalable entre les textes éventuellement applicables dans la situation de la décision qui fait jurisprudence et les textes applicables à la date d’introduction du recours. Si aucun texte applicable n'existait à l'époque, il est possible que ce ne soit plus le cas, comme il est aussi possible que les textes qui existaient aient été modifiés depuis. Or, dans les deux cas, il y a fort à parier que la jurisprudence risque d’évoluer.


Enfin, une telle décision doit s’apprécier dans le cadre de la compétence territoriale de la juridiction qui la prise. Ainsi, la décision d’un Tribunal administratif ne fait jurisprudence que dans les quelques départements du ressort de ce Tribunal, de même qu'une décision prise par une Cour d’appel ne s’impose qu'aux Tribunaux dans le ressort de cette Cour d’appel.


C'est pourquoi, seule une décision du Conseil d'État, a fortiori si elle est publiée aux tables du recueil Lebon, s'impose à l'ensemble des Juridictions administratives françaises et peut être utilement citée au cours d'une affaire dans laquelle les textes de référence et les circonstances sont analogues.


Laurent Piau


Laurent Piau, juriste, est l'auteur de l'ouvrage Le Guide juridique des enseignants aux éditions ESF

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Par fjarraud , le mardi 25 mars 2014.

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