La rubrique juridique 

Par Laurent Piau



Pour ce numéro 100 du mensuel, je vous propose de tirer les enseignements de deux jugements récents de Tribunaux administratifs portant, l'un, sur le défaut de surveillance et, l'autre, sur le devoir de protection des fonctionnaires par l'Etat.

Eviter la condamnation pour négligence de surveillance


Le Tribunal administratif de Lille a récemment eu à traiter le cas d'un professeur contractuel qui s'est vu infliger, par l'administration, la sanction disciplinaire du licenciement, sans préavis ni indemnité, pour avoir manqué à son obligation de vigilance, de prudence et de précaution et n'avoir pas accompli les diligences inhérentes à ses fonctions.


Ce professeur avait la charge du suivi du stage de découverte en entreprise d'élèves de troisième d'une section d'enseignement général et professionnel adapté (SEGPA). Lors de cette séquence éducative, l'un de ces élèves a été l'objet de brimades humiliantes et avilissantes par les ouvriers de l'entreprise.


Averti indirectement puis directement de ces faits, ce professeur contractuel avait immédiatement informé son supérieur hiérarchique direct, le directeur adjoint de la SEGPA, et avait obligé ce dernier à se déplacer sur les lieux lors du second incident. Il avait aussi évoqué la situation en réunion de synthèse devant ses collègues et sa hiérarchie.


On peut donc considérer qu'il avait fait ce que la majorité des professeurs aurait fait dans les mêmes circonstances.


Mais, malgré ces précautions, ce professeur contractuel, par ailleurs très bien noté, a été licencié par le Recteur de l'Académie de Lille.


Certes, devant l'évidence, le Tribunal administratif a considéré que cette sanction du licenciement était manifestement disproportionnée et l'a annulée.


Mais il a aussi considéré qu'une sanction disciplinaire à l'égard de ce collègue était justifiée puisque "les faits reprochés à M. D. sont de nature à justifier légalement une sanction disciplinaire pour n'avoir pas réagi assez fermement vis à vis des ouvriers."


On peut s'étonner de la motivation de ce jugement qui reproche, de fait, à un agent public qui n'a pas d'autorité sur des ouvriers d'une entreprise privée d'avoir fait preuve de négligence et de ne pas avoir réagi assez fermement face à leur comportement.

Et ce d'autant plus, que la solution qu'il aurait fallu envisager en la circonstance n'est nullement donnée par le Tribunal qui se contente d'une motivation plutôt vague.


Certes, il est rare que la faute de négligence soit discutée par les juridictions administratives et, de ce fait, la jurisprudence administrative est très limitée sur ce point.


Mais, devant le risque de condamnation que de telles situations peuvent entraîner, il est indispensable d'envisager ce qu'assez fermement peut bien vouloir signifier dans de telles circonstances.


Pour ce faire, revenons tout d'abord sur ce qui était reproché à l'enseignant : le défaut de surveillance par négligence. L'appréciation de cette faute involontaire est faite par les juridictions pénales sur la base des dispositions de l'article 121-3 du code pénal :


Article 121-3 Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d'autrui.

Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.

Dans le cas prévu par l'alinéa qui précède, les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer.

Il n'y a point de contravention en cas de force majeure.


Fort heureusement pour les agents publics, ces dispositions générale du Code Pénal sont en partie limitées par les dispositions de l'article 11 bis A de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant statut général de la fonction publique qui dispose que les fonctionnaires et agents publics ne peuvent être condamnés pénalement ".


Un professeur qui a commis une faute involontaire ne sera donc pénalement condamné, et sera seul à supporter les condamnations (amendes ou emprisonnement avec ou sans sursis) prononcées contre lui, que s'il est établi qu'il a exposé la victime à un risque particulièrement grave qu'il ne pouvait ignorer ou qu'il a violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement.


Dans la situation qui nous occupe, il est fort probable que la condamnation pénale n'aurait pas été prononcée, l'enseignant ayant pris certaines précautions.


Mais, ce n'est pas le cas en droit administratif puisque le tribunal a considéré que les précautions étaient en nombre insuffisant et que ce manquement justifiait une sanction disciplinaire.


Alors que faut il faire lorsqu'on est professeur et confronté à ce genre de situation ?


          Faut il expédier un courrier en Lettre Recommandé avec Accusé de Réception ou un fax au chef d'entreprise pour l'avertir et lui demander de prendre les dispositions qui s'imposent pour la préservation de l'intégrité physique et moral de l'élève ? C'est prendre le risque de s'attirer les foudres de son Chef d'établissement soucieux de préserver ses prérogatives ou ses bonnes relations avec les entreprises locales et se voir accusé de dénonciation calomnieuse de faits imaginaires par les ouvriers de l'entreprise si le courrier est rédigé en des termes trop précis ou trop accusateurs.


          Faut il intervenir par écrit auprès du tuteur de stage ou du représentant du personnel s'il y en a un ? C'est prendre les mêmes risques que ceux évoqués ci dessus plus celui de voir l'affaire se régler à l'interne et les brimades sur l'élève continuer de manière plus pernicieuse mais tout aussi traumatisante pour lui.


          Faut-il informer par écrit le Chef d'établissement des faits qui ont été rapportés par l'élève et le laisser régler seul cette affaire ? C'est à l'évidence une situation qui se rapproche trop de celle jugée par le tribunal de Lille pour que le risque d'une condamnation pénale ou d'une sanction disciplinaire soit écarté.


L'attitude à adopter est plutôt la suivante :


1.         Veiller à la rédaction des conventions de stage signées entre l'entreprise et l'établissement, au besoin en demandant au Chef d'établissement et au Conseil d'Administration de les reprendre avec l'aide d'un juriste. Ces conventions doivent clairement préciser les modalités du transfert de la responsabilité de surveillance, ainsi que les obligations qui en découlent pour l'entreprise, et définir les responsabilités du tuteur de stage et celles de l'enseignant chargé du suivi de cette période en entreprise.


2.         Informer les élèves, avant leur départ en stage, de la conduite à tenir en cas de maltraitance par des membres du personnel. La distribution d'une fiche sur les comportements à adopter dans de telles circonstances et les personnes à contacter laissera une trace de cette démarche.


3.         Se déplacer dans l'entreprise dès que les faits de maltraitance sont connus et faire rédiger un rapport circonstancié par l'élève.


4.         Contacter immédiatement par téléphone le Chef d'établissement pour lui exposer la situation et lui demander la conduite à tenir.


5.         Résumer cette conversation téléphonique dans un mail ou un fax adressé le jour même à ce supérieur hiérarchique surtout s'il omet de donner des consignes claires et/ou de réagir immédiatement.


6.         Extraire sans délai l'élève de l'entreprise en l'absence de réaction immédiate du Chef d'établissement. Contacter les parents pour leur demander de venir chercher leur enfant et, s'ils ne peuvent se déplacer, demander à l'élève d'utiliser son moyen de transport habituel pour rentrer chez lui après s'être assuré qu'il est en état de le faire.


7.         Transmettre par écrit votre rapport et celui de l'élève au Chef d'établissement au plus tard le soir même par mail, fax, lettre recommandée avec accusé de réception ou au moyen du courrier interne (penser à exiger un accusé de réception sous la forme du timbre de l'établissement sur une photocopie de votre rapport).


8.         Prévenir le Procureur de la République si les faits sont constitutifs d'un crime ou un délit comme en dispose l'article 40 du code de procédure pénale "Le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner conformément aux dispositions de l'article 40-1.

Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs."


En l'absence de jurisprudence, ces quelques précautions devraient vous permettre d'échapper à une mise en cause de votre responsabilité que ce soit pénalement ou administrativement.

Les enseignements de la condamnation de l'Etat dans l'affaire Karen Montet-Toutain


La multiplication des agressions dont sont victimes des professeurs de l'Education Nationale ces derniers temps m'amène à revenir sur l'affaire Karen Montet-Toutain et les diverses condamnations qui ont été prononcées.


Rappelons les faits en préalable :


          Octobre 2005, un élève s'adresse à Karen Montet-Toutain, puis à un de ses camarades en ces termes "Madame, j’ai envie de vous..." et "T’en fais pas, je te la prête après ! ".


          Le 5 décembre 2005, un élève lui tient ces propos "T’inquiète pas, Madame, on trouve ton adresse, et une balle dans la tête. Si t’es avec ton mari, tes enfants, vous y passerez tous.". Elle alerte les responsables du lycée, d’abord la conseillère principale d’éducation par un rapport et, à plusieurs reprises, la Proviseur, par oral.


          Le 6 décembre, elle s’adresse par mail à l’Inspectrice de sa discipline pour lui écrire qu'elle ne se sent "plus en sécurité"


          Le 7 décembre, au cours d’un conseil de classe auquel participent les élèves concernés, Karen Montet-Toutain relate les menaces qui ont été proférées à son encontre.


          Le 9 décembre, Elle croise l’Inspectrice de sa discipline dans une réunion mais n'obtient pas de réponse à sa demande d'aide.


          Le 16 décembre 2005, elle est poignardée en plein cours par un élève au lycée Louis-Blériot d'Etampes.


Deux condamnations ont été prononcées dans cette affaire : une par la justice pénale, l'élève a été condamné à treize ans puis dix ans de prison en appel, et une autre par la justice administrative qui a condamné l'Etat à verser 15 000 € de dommages-intérêts à Karen Montet-Toutain en considérant que "l'indifférence" de la hiérarchie de l'enseignante à ses "appels au secours" avant l'agression constitue une "faute".


Nous ne reviendrons pas sur la condamnation de l'élève qui ne présente pas de caractère exceptionnelle au regard de la jurisprudence dans ce genre d'affaire.


Par contre, il est plus intéressant de revenir sur la condamnation de l'Etat par le Tribunal administratif de Versailles puisque ce dernier a retenu le caractère fautif du comportement de l'Etat en se basant sur l'article 11 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires (dite loi Le Pors) qui dispose :


Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions, d'une protection organisée par la collectivité publique dont ils dépendent, conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales.

Lorsqu'un fonctionnaire a été poursuivi par un tiers pour faute de service et que le conflit d'attribution n'a pas été élevé, la collectivité publique doit, dans la mesure où une faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions n'est pas imputable à ce fonctionnaire, le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui.


La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté.

La collectivité publique est tenue d'accorder sa protection au fonctionnaire ou à l'ancien fonctionnaire dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle.


La collectivité publique est subrogée aux droits de la victime pour obtenir des auteurs des menaces ou attaques la restitution des sommes versées au fonctionnaire intéressé. Elle dispose, en outre, aux mêmes fins, d'une action directe qu'elle peut exercer au besoin par voie de constitution de partie civile devant la juridiction pénale. Les dispositions du présent article sont applicables aux agents publics non titulaires.


Relevons tout d'abord que le montant des dommages-intérêts est tout à fait exceptionnel.


En effet, l'indemnisation, par les Juridictions administratives, de la perte d'un proche (conjoint, ascendant, descendant) à la suite d'une erreur médicale dans un hôpital public dépasse rarement les 20 000 €.


Mais, il est vrai que le préjudice subit par Karen Montet-Toutain est d'importance, qu'il perdure encore, et que la faute de l'Etat était patente et démontrée.


Ce dernier point est extrêmement important puisqu'il a permis au Tribunal d'établir l'absence de protection malgré les demandes répétées. Si Karen Montet-Toutain n'avait pas écrit ses demandes, nul doute que la réalité de celles-ci aurait été sujette à caution et que les dommages-intérêts aurait été moindres voir inexistants.


C'est pourquoi, il me semble utile de rappeler les précautions générales à prendre quand on communique avec son administration.


          Si vous faites remonter vos documents et vos courriers par la voie hiérarchique, prenez la précaution de faire une copie de la première page et d'y faire apposer le timbre de l'établissement ainsi que la date de remise au secrétariat. N'hésitez pas à demander une copie du bordereau d'envoi du courrier de l'Etablissement sur lequel figure votre courrier pour avoir la preuve de dépôt et de l'envoi de votre courrier.


          Si vous devez faire un envoi en recommandé, oubliez l'enveloppe. En effet, rien ne prouve qu'une enveloppe contient tel ou tel document, voire qu'elle en contient un. En revanche, si un courrier est pliée en quatre, qu'il porte l'adresse du destinataire et que le bordereau de recommandé y est collé, il sera impossible à votre destinataire de prétendre qu'il n'a pas reçu ce que vous lui avez envoyé. C'est ainsi que procède l'administration avec certains de ses courriers types, alors pourquoi faire autrement ?


          Si vous communiqué par mail, et si votre service mail permet les accusés de réception, utilisez-les. N'hésitez pas à utiliser le webmail académique. Gardez une version électronique des mails envoyés à votre hiérarchie et faites en une version papier. A ce propos, l'extrait suivant d'un arrêt de la Cour de cassation en date du 4 décembre 2008 (deuxième chambre civile, , Z 07-17.622 - AT-MP) n'est pas dénué d'intérêt "Vu les articles 1334, 1348 et 1316-1 du code civil ; Attendu qu'il résulte des deux premiers de ces textes que lorsqu'une partie n'a pas conservé l'original d'un document, la preuve de son existence peut être rapportée par la présentation d'une copie qui doit en être la reproduction non seulement fidèle mais durable ; que selon le troisième, l'écrit sous forme électronique ne vaut preuve qu'à condition que son auteur puisse être dûment identifié et qu'il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l'intégrité ;". Pensez donc à faire une copie papier de vos messages envoyés et à les archiver.


          Si vous êtes convoqué dans le bureau de Chef d'établissement pour un entretien que vous pressentez difficile, n'hésitez pas à vous faire accompagner d'un représentant du personnel au Conseil d'Administration ou d'un délégué syndical. Non seulement il aura un effet rassurant ou apaisant selon les parties en présence, mais il saura, en principe, éviter que l'entretien ne dérape. De plus, son témoignage vous sera utile au besoin.


          Relisez avec attention le rapport écrit qui est fait de tout entretien et demandez, sans tarder et par écrit, la correction des erreurs qu'il pourrait comporter. Si vous essuyez un refus sur ce point, établissez sans tarder un contre-rapport et faites éventuellement établir un contre-rapport par la personne qui vous a accompagné.


          Enfin, ne permettez pas qu'un document important soit mis dans votre casier de professeur sans que vous en soyez avisé mais exigez que les documents tel l'emploi du temps, les convocations, les courriers de l'inspecteur ou du Chef d'établissement vous soient remis en mains propres avec la mention "remis en main propre le JJ/MM/AAAA à H/MN". Ceci évitera les mauvaises surprises, telle une inspection annoncée tardivement…ou pas du tout.


Voilà quelques précautions simples qui vous permettront le moment venu de faire valoir vos droits et, éventuellement, de faire indemniser un éventuel préjudice.




Laurent Piau


Laurent Piau, juriste, est l'auteur de l’ouvrage Le Guide juridique des enseignants aux éditions ESF



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Par fgiroud , le dimanche 15 février 2009.

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