Plus de 200 chercheurs dénoncent les "diagnostics" langagiers posés sur les jeunes de banlieue 

Par François Jarraud


"On lit beaucoup depuis quelque temps que des difficultés d’insertion sociale seraient dues à des difficultés de maîtrise de la langue française. Ces discours trouvent un écho important dans la presse, même sérieuse et toutes tendances confondues, et dans des recommandations remises aux ministres successifs de l’éducation nationale à propos par exemple de la lecture, de la grammaire ou de l’école maternelle". Plus de 250 chercheurs (par exemple F. Lorcerie ou F Demaizière) s'insurgent contre les pseudo diagnostics qui trouvent place dans les rapports officiels.

 

"Nous avons en effet tout lieu de penser que les « diagnostics » ainsi posés sur les compétences linguistiques de populations dites en difficulté d’insertion et sur l’enseignement du français, sur leurs difficultés elles-mêmes, sont pour le moins discutables. Les recommandations qui en découlent nous paraissent non seulement erronées, mais dangereuses car conduisant à l’inverse du but recherché. Que disent ces « diagnostics » ? D’une part, que les « jeunes des banlieues et des cités » souvent « d’origine immigrée » seraient enfermés dans des milieux sociaux où l’on parle peu et mal, ce qui les limiterait à un vocabulaire très restreint et imprécis (le chiffre de « 400 mots en français du ghetto » a été avancé dans Le Monde du 19/03/2005), à une syntaxe « approximative », qui ne permettrait qu’une communication limitée de « proximité et d’extrême connivence » (Le Monde du 20/12/2007). Cela les empêcherait de développer une « pensée précise », une « intelligence collective », et « d’entrer en relation avec des gens qu’ils ne connaissent pas » (ibidem). D’autre part, l’école serait en partie responsable de ces difficultés car on y aurait lancé des démarches exagérément expérimentales privilégiant la mise en contexte, la pratique, l’autonomie et les pédagogues, chercheurs et autres « apprentis sorciers », ne se seraient pas rendu compte que cela ne fonctionnerait que pour des enfants privilégiés. Ces « diagnostics » révèlent une ignorance stupéfiante, voulue ou non, de la diversité des situations dans les « quartiers populaires » et les milieux scolaires, ainsi que des connaissances à ce sujet produites par les professionnels et les nombreux chercheurs en sciences humaines et sociales".

 

Sans qu'il soit nommé, l'allusion aux rapports d'A. Bentolila semble s'imposer. "Nous croyons urgent de dénoncer vigoureusement ces « analyses »" continuent les chercheurs, "qui rappellent les théories depuis longtemps réfutées du « handicap linguistique des enfants d’ouvriers » et du « handicap cognitif des Noirs » que contredisent toutes les enquêtes de terrain : ils relèvent de préjugés, de stéréotypes et de poncifs… Les études nombreuses et approfondies réalisées avec des personnes dites « défavorisées » et/ou « issues de l’immigration », y compris en milieu scolaire, révèlent des rapports aux langues fins et conscients, des compétences linguistiques complexes et souples, souvent plurilingues, et variées en français… Sauf cas pathologique gravissime, les « jeunes » en question n’ont jamais un français limité à si peu de mots et à une seule sphère sociale. Un enfant de trois ans, quelle(s) que soi(en)t sa ou ses langue(s), a un vocabulaire déjà riche d’au moins un millier de mots : on mesure le caractère fantaisiste et la manipulation alarmiste qui résident dans les 400 mots annoncés, comme dans beaucoup d’autres chiffres (par exemple ceux sur l’illettrisme)…"

Les chercheurs à l'origine du texte

http://rfs.univ-tours.fr/

Sur le Café, sur le dernier rapport Bentolila

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/[...]

 

 

 

Sur le site du Café
Par fjarraud , le vendredi 15 février 2008.

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