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Un élève, c'est aussi une personne 

 

 

Transcription libre des propos de Gabriel Cohn-Bendit, par Françoise Solliec

 

Une profession socialement dévalorisée, des professeurs qui se cantonnent volontiers dans leur rôle magistral, qui s’intéressent peu à leurs élèves en dehors de la classe et qui ne sont pas forcément très impliqués dans la vie de l’établissement, tels sont quelques-uns des propos tenus par les lycéens quand ils parlent de leurs enseignants, qui soulignent pourtant tous qu’ils ont rencontré des professeurs qui les ont marqué et ont fait changer leur regard. Nous avons demandé à Gabriel Cohn-Bendit ce qu’il en pensait, vingt cinq après l’ouverture du lycée expérimental de Saint-Nazaire, qui inscrivait dans son projet une nouvelle organisation pédagogique et un fonctionnement cogéré par les élèves et la communauté éducative.

 

Je ne vois pas beaucoup de différences dans les réactions des élèves, ni d’ailleurs celles des enseignants, par rapport à cette époque nous dit Gabriel Cohn-Bendit. Nous aussi, quand nous étions élèves, nous avons connu 3 profs qui nous ont marqué et 50 qui nous ont ennuyé. Pourtant le monde a terriblement changé dans ce laps de temps et dispose désormais de moyens technologiques tout à fait différents. L’école était autrefois l’unique lieu d’apprentissage. Elle ne donne aujourd’hui plus toutes les compétences, ni même toutes les connaissances. Le rôle des enseignants a changé par rapport à la transmission des savoirs et un professeur doit apprendre à assumer un rôle de médiateur et d’expert critique. On lui demande, dans son contact avec les élèves, de leur donner envie apprendre des savoirs qu’on trouve partout sur Internet ou dans les medias et qui commencent à être validés. Or, les enseignants ont très peur de sortir de leur rôle sécurisant de passeur magistral du savoir.

A ‘ouverture du lycée expérimental, la première demande des élèves était d’avoir des profs à l’écoute, ils ne pensaient même pas qu’on puisse avoir une organisation pédagogique différente, cela a mis du temps à s’installer. Au début, ils acceptaient avec difficultés que les enseignants puissent tenir des réunions entre eux, car ils avaient soufferts de leurs relations antérieures avec les enseignants et de la manière dont ils étaient considérés.

C’est vrai que les enseignants ne montrent pas toujours de respect aux élèves. C’est d’ailleurs une des raisons de ma rupture avec le corps enseignant, qui s’est prononcée sur trois points, la notation (que de temps passé à corriger des copies pour distribuer des notes sans que la correction ne profite aucunement à l’élève), sur l’orthographe (avec toutes ces règles imbéciles qui se prétendent immuables alors que la langue a terriblement évolué) et les relations maître élèves. Les professeurs ne s’adressent qu’à l’élève et laissent soigneusement la personne ne dehors des murs de la classe. Certes, des enseignants expérimentés savent mettre dans leur propos la dose de théâtre qui convient et les élèves accrochent bien, mais j’ai toujours du mal à comprendre qu’il n’y ait pas de vraies relations de personnes, dans un respect mutuel qui n’exclut pas les différends.

Je crois aussi que les élèves expriment, dans la relation à leurs enseignants, le besoin d’une rencontre avec des adultes. Mais il est rarement satisfait car les enseignants ne parlent pas, ou alors de manière peu naturelle, de leurs engagements personnels et craignent de se révéler trop à jouer ce rôle auprès des adolescents que sont avant tout les élèves.

Pour moi, l’école devrait être centrée sur la rencontre élèves, adultes, savoirs et apprentissages. Le développement d’Internet devrait faciliter un travail plus interactif et une relation plus chaleureuse. Je comprends combien il peut être pénible pour les profs d’aller en classe et de répéter souvent les mêmes choses : le dialogue avec les élèves n’est pas toujours drôle. Pourtant, les enseignants ont de nombreuses ressources à leur disposition qu’ils n’utilisent pas assez. Les notions philosophiques en primaire, vrai, faux, bien, mal, vie, mort sont l’occasion d’établir une première relation jeunes – adultes. Les ouvertures rendues possibles par les TICE, l’accumulation des savoirs disponibles, vont obliger les enseignants à se positionner dans un rôle davantage d’accompagnateur. Mais les bons profs seront toujours ceux qui arriveront à faire aimer les apprentissages aux élèves : la pédagogie, ça existe !

 

La société entend mal les plaintes des enseignants à propos de la pénibilité et de la difficulté du métier. Elle préfère leur reprocher ce qui est considéré comme des privilèges : les vacances, le temps de présence dans l’établissement. Les parents estiment que les rendez-vous proposés ne tiennent pas compte de leurs contraintes horaires et l’image renvoyée par leurs enfants est souvent celle d’enseignants qui aiment peu les élèves. Comme l’école n’est pas très efficace pour une moitié des élèves, c’est l’image des profs en général qui en pâtit. Mais, personnellement, je n’ai jamais été choqué par cette hostilité. Si les enseignants s’investissaient davantage dans la relation aux élèves et moins dans la correction des copies, ce serait mieux. Si les enseignants prenaient effectivement à bras le corps la réussite de leurs élèves, ils auraient une meilleure image auprès de la population. C’est bien ce qui se passe dans d’autres pays.

 

 

 

Sur le site du Café
Par fsolliec , le mardi 15 janvier 2008.

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