Pratiques vidéo en L.P. : Entretien avec Stéphane Deshayes 

Par François Jarraud


Scénariste, militant pédagogique, titulaire d’un DEA en Sciences de l’Education, prof de lettres et d'histoire-géographie dans un lycée professionnel de Morteau (Doubs), Stéphane Deshayes réussit à tenir toutes ces identités ensemble. C'est là qu'il puise la créativité qui justifie cet article. Avec ses classes,S. Deshayes s'appuie, dans le cadre du cours d'ECJS, sur la vidéo pour faire vivre leur citoyenneté à ses élèves.

 

 

Je vous ai connu au départ par la création de la liste de discussion plp lhg. Quels liens faites vous entre elle et vos pratiques vidéo  ?

 

Il me semble nécessaire d’explorer les différentes perspectives de mon métier, d’en avoir une pratique globale, d’où mon implication dans tout ce qui me semble propice à stimuler et améliorer mon action auprès des élèves. Je participe au groupe de travail d’Histoire de l’académie, je forme également les stagiaires PLP-LHG à l’IUFM IUFM notamment aux TICE, ce qui ne m’empêche pas parallèlement d’avoir un engagement syndical, de participer quand je le peux aux réflexions du GFEN ainsi que d’avoir écrit pour la revue Dialogue.

 

Quant à la liste plp-lhg je la trouve indispensable et rafraîchissante, aussi quand Laurent Martin son créateur n’a plus donné signe de vie, absorbé sans doute par ses tâches d’écrivain, je « passais » par là et  c’est donc tout naturellement que j’ai accepté de modérer la liste pour qu’elle survive…

 

A priori rien n'associe l'ecjs et la vidéo. Quels rapports voyez vous entre eux ? Et déjà pensez vous qu'un projet tel que le vôtre soit plus en adéquation avec l'ecjs qu'avec l'histoire ou le français ?

 

Stéphane DeshayesJe dirais qu’a posteriori non plus, rien n’associe l’ECJS et la vidéo… la vidéo au même titre que l’informatique, la photo, la musique, l’écriture, n’est qu’un media parmi d’autres servant de support et de diffusion à des idées préalablement délibérées, mûries … pesées de manière tout à fait « traditionnelle » , ce n’est qu’une question de forme, le fond lui, demeure : il faut réfléchir dans tous les cas !  On peut posséder un robot mixeur turbo des plus sophistiqués doté de douze programmes et ne produire qu’un brouet insipide…

 

Là où il y a adéquation avec l’ECJS c’est par rapport à l’esprit même de cet enseignement qui n’est pas une discipline (« L’'éducation civique, juridique et sociale n'est donc pas, parmi d'autres enseignements, une discipline nouvelle. » B.O. HS N°6 du 31 août) : je n’ai pas souvenir que l’Education Nationale ait produit un texte officiel aussi novateur (révolutionnaire ?) que celui qui préside à cet enseignement !

 

Dans le même B.O. H.S. N°6 on peut lire « Le dossier documentaire sur lequel se fonde le débat est le témoin de la progression de cette démarche. Il peut prendre des formes variables : présentation de textes fondateurs ou de textes de loi, sélection d'articles de presse, collecte de témoignages, recherche ou élaboration de documents photographiques, sonores ou vidéo. » Ma démarche est donc actée. Si l’on ajoute à cela la possibilité de grouper cet enseignement de quinze heures annuelles sur trois jours par exemple, l’ECJS me permettait de réaliser concrètement ce projet : les référentiels de français ou d’histoire ne sont pas aussi « larges d’esprit », cependant ma qualité de professeur bivalent me permet bien entendu de lier le tout.

 

Qu'apporte la vidéo à l'ECJS ?

 

Plutôt que de vidéo tout court je parlerai d’ « atelier vidéo » , et je dirai que l’ECJS, c’est du moins comme cela que je l’envisage, est une pratique plutôt qu’un « savoir » et encore moins un « savoir-être » (j’ai beaucoup de mal avec cette notion qui est trop souvent réduite à sa plus simple expression : « une bonne manière de se comporter » , par exemple : dire bonjour à la dame, dire merci et s’il vous plait à la boulangère… la citoyenneté me semble mériter une autre définition…). Une pratique donc, parce qu’il faut s’entendre à quinze sur une idée et une seule et qu’il faut que ces quinze s’impliquent pour que le projet aboutisse. Rien que cela exige des comportements on ne peut plus citoyens : écouter l’autre, respecter son avis, ne pas empiéter sur le territoire de chacun, critiquer sans offenser… et j’en passe.

 

 

Voyez-vous des liens avec les deux autres disciplines ?

 

Les liens sont aussi multiples que variés et c’est même là que le projet prend tout son sens et sa valeur : se documenter, élaborer un synopsis, construire un scénario sont des objectifs de français et c’est d’ailleurs sur les heures de français en lien avec la documentaliste (ah le bonheur d’avoir une Vraie documentaliste « sous la main » !) que nous travaillons. Le lien avec l’Histoire est plus occasionnel, il est flagrant dans la dernière vidéo parce que le thème choisi y incitait plus ou moins (« mémoire »), il est beaucoup plus diffus quand le thème est « l’intolérance », la « maltraitance » ou « l’environnement »…

 

 

Comment organisez vous la réalisation ?

 

Pour la réalisation proprement dite nous ne disposons que de deux jours et demi, soit une quinzaine d’heures : les heures d’ECJS annualisées (ce n’est pas toujours un gros mot !). Autant dire qu’il n’y a pas vraiment le temps pour changer de scénario ! Tout doit être rassemblé en vue du jour J, le « petit » matériel (ciseaux, cartons, polystyrène, colle, scotch…), les costumes, les caméras, les batteries en nombre suffisant et rechargées, les lampes… TOUT !

 

Durant ces quinze heures finalement je n’ai qu’un seul rôle : entretenir la motivation des « troupes » en ne laissant personne inactif. Les élèves se répartissent les tâches en fonction de leurs intérêts et de leurs savoir-faire, et cela va de l’élève qui s’occupe du café (il en faut bien un-e !) à ceux qui réalisent les décors… Une véritable ruche et je peux vous assurer que c’est sans doute le moment le plus passionnant de l’opération (en tout cas pour moi) : voir s’activer avec plaisir, dans un même but, une classe entière constitue déjà en soi un motif de satisfaction !

 

 

On est frappé de la qualité graphique des vidéos par exemple les animations à la gouache, les photos numériques. Ce sont des techniques que les élèves ignorent généralement. Comment faites-vous ?

 

Oui : dans bon nombre de domaines, l’élève dépasse le maître ! Très souvent, c’est cette idée-force qu’il faut, en évitant toute démagogie, mettre en avant. Cela peut permettre à certains élèves d’oser, d’entreprendre et au bout du compte de révéler des capacités quelques fois inconnues d’eux-mêmes.

 

C’est pourquoi je ne suis pas tout à fait d’accord sur la soi-disant « ignorance » des élèves : les générations montantes ont une réelle propension à développer une connaissance intuitive de la « technologie de l’image » ainsi qu’une compréhension empirique de l’image elle-même.

 

Cette inclination pour la vidéocommunication est beaucoup plus marquée que celle que j’avais à leur âge en tout cas. De plus, on rencontre beaucoup « d’adolescents »  (davantage en LP ?) qui font preuve, hors contexte scolaire, de dextérité et d’aisance dans l’exécution de nombreuses activités. Cela va du bricoleur de mob au « fou » de modélisme. Il y a là de véritables savoirs à faire valoir et à utiliser.

 

Je me souviendrai longtemps de Redouane et  Abdelkader reproduisant un stade de foot à l’échelle pour « Tête de bille » ! Ou bien, pour ce même court-métrage de Caroline et Laetitia fabriquant minutieusement, et ce une journée entière, dix-huit trousses et autant de cartables de deux cm environ ! Ou encore d’Emilie et Angélique ayant passé l’après midi à régler l’éclairage afin que dans « Mise en boîte » les photos soient réalistes ! Et je ne parlerais pas des crampes de David qui a du prendre des positions invraisemblables pendant plusieurs heures pour avoir le bon angle de vue… Le professeur, que je suis, ne possède pas toutes ces aptitudes. Il ne sait  pas (il ne sait vraiment pas !) utiliser un pinceau, c’est tout juste s’il sait découper droit… Il sait ordonner le travail, il sait comment organiser des recherches, il sait améliorer l’écriture du scénario (…)  mais il ne sait pas utiliser la gouache ou faire des trousses en pâte à modeler !

 

En outre, il serait malhonnête de ma part de ne pas dire que mes élèves sont de « bons » élèves de LP, plutôt motivés pour la plupart par leur orientation positive, alors sans doute  les mêmes résultats seraient plus difficiles à obtenir ailleurs, dans d’autres circonstances. Mais pour l’avoir expérimenté dans d’autres situations plus délicates je reste persuadé que ce genre de travail est toujours positif, que l’engagement, la volonté de l’enseignant porte toujours ses fruits d’une manière ou d’une autre. Je ne pense pas que l’on puisse s’épanouir dans ce métier sans cette croyance…

 

 

Pensez vous que les élèves sont fiers de leur travail ? Qu'est ce que cela leur apporte finalement ?

 

En tous cas moi je suis fier de leur travail…  et si eux ne l’étaient pas je ne continuerai pas !

Alors qu’ils venaient collectivement de recevoir le deuxième prix du Festival de Montceau pour « La liberté (selon) le peuple », prix tout de même attribué par des professionnels de l’image, de vrais cinéastes dont c’est le métier, ils se sont quasiment tous tournés vers moi et m’ont demandé si je n’étais pas trop déçu qu’ils n’aient pas obtenu le premier prix…

 

Humour ? Mésestimation feinte ? Cela pose question et c’est dire combien la considération et le crédit que l’on porte à soi-même revêtent une importance non négligeable ! J’espère que ces réalisations participent au moins à leur construction identitaire. Il est en tout cas essentiel de valoriser leur ouvrage car c’est l’aboutissement du travail fourni par chacun d’eux coordonné au sein du groupe classe. A cet effet, nous diffusons aussi les films dans le lycée afin qu’ils aient la reconnaissance directe de leurs pairs et des autres enseignants.

 

Je pense aussi qu’ils ne regarderont peut-être pas Schrek 4 comme ils ont vu les précédents, qu’ils évaluent mieux la somme de travail que demande toute création de ce genre… ce n’est pas un regard si anodin, il est peut-être même déjà critique… En deçà de ces finalités il y a, de toute façon, tous les objectifs sous-jacents, pour produire ce travail il a fallu se documenter, se concerter, réfléchir, produire…

 

 

Et les parents, les collègues ? L'institution ?

 

Je ne sais pas si c’est « un mal ou un bien », et ce n’est pas à débattre ici, mais toujours est-il que les parents en LP sont globalement absents… Je ne crois pas, contrairement à ce qui peut être entendu ici ou là, « qu’ils se fichent de leurs enfants ou de ce que ceux-ci font à l’école ». Je pense que beaucoup, par déterminisme social,  « s’excluent naturellement » et, qu’en fin de compte, ils nous font confiance. De toute façon ils n’ont pas trop le choix ! A quelques exceptions près, les seuls parents qui sollicitent un rendez-vous sont ceux dont les enfants « réussissent ».  Les autres évitent le contact comme pour échapper à une situation honteuse. De fait, cette attitude de retrait ou de fuite me paraît justifiable : il n’est  jamais agréable en effet d’entendre dire, pour quiconque, que son enfant est « faible », « médiocre », « sous la moyenne » ou pire encore… d’autant plus que parfois ces appréciations viennent raviver pour certains  ce qu’ils ont déjà vécu étant élève…  En tout cas je n’ai pas encore rencontré de parents qui m’aient reproché ces ateliers vidéo, dois-je en conclure qu’ils approuvent ?

 

Quant aux collègues il y a ceux qui sont enclins à travailler dans le même sens … et les autres ! Parmi ces derniers, certains réprouvent cette perspective de travail : une fantaisie démagogique conforme au goût du jour… et surtout irresponsable car engendrant une perte de temps manifeste par rapport aux « bouclages des programmes »…  Il est clair que je rencontre plus de résistances en terminale BAC pro qu’en CAP… Mais je trouve suffisamment d’encouragements et de soutiens pour persister dans cette voie, heureusement ! 

 

Quant à l’Institution, je crois avoir un soutien sans faille de mes inspecteurs qui m’ont au final paru beaucoup plus ouverts que certains collègues… Par contre  quelle n’a pas été ma surprise quand j’ai découvert que nos travaux vidéo en ECJS avaient été inscrits, sans que l’on ne m’en ait fait part, dans le projet d’établissement ! L'institution sait récupérer ce qui peut lui être utile… mais peut-être est-elle réceptive à l’épanouissement des élèves durant ce type d’activités ou bien  reconnaît-elle les progrès qu’ils font… Mais peu importe tant qu’elle cautionne, cela fonctionne ! Au moins n’ai-je aucun remords à demander des subventions…

 

Parce que c’est aussi un aspect qu’il faut mentionner : si ces films sont réalisés avec une telle qualité, c’est en grande partie parce qu’un intervenant extérieur indispensable, Lars Beierbach, graphiste réalisateur, nous prête main forte notamment au niveau du montage et que, bien sûr, cette aide a un prix. J’espère que je pourrai longtemps continuer à financer ce genre de projets, parce que j’en ai plein d’autres …

 

Stéphane Deshayes

 

Entretien François Jarraud

 

Les courts-métrages sur le site académique

http://artic.ac-besancon.fr/lp_lettres/ecjscourtmetrages/la_liberte.htm

 

Films et Prix obtenus :

1) THEME : tolérance / intolérance

Mise en boîte, film réalisé par les deuxièmes années CAP Bijouterie en 2006 :

- Sélectionné au festival des Lumières de Luxeuil-les-Bains

- Prix spécial du Jury du festival de Montceau-les-Mines

http://fr.youtube.com/watch?v=CQx20Fz0fYg

 

Tête de bille, film réalisé par les deuxième année CAP Horlogerie en 2006 :

- Prix du meilleur film d’animation au festival des Lumières de Luxeuil-les-Bains

http://fr.youtube.com/watch?v=HzSH7mcnr-w

 

2) THEME : Mémoire

La liberté (selon) le peuple, film réalisé par les Terminales Brevet Métiers d’Art Bijouterie en 2007 :

-           Prix du Conseil général de Saône et Loire du festival de Montceau-les-Mines

-           Prix du thème (meilleur film sur le thème « mémoire » au festival des Lumières de Luxeuil-les-Bains

http://fr.youtube.com/watch?v=iCB9MEyR5JM

 

 

 

Sur le site du Café
Par fjarraud , le jeudi 15 novembre 2007.

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