"Travailler le noyau fondamental qui nous institue professeur : organiser pour tous les élèves, la rencontre avec la culture". Rencontre avec Frédérique Landoeuer, Prix de l'innovation pédagogique 2007 

Par François Jarraud

 

Souvent nous présentons dans le Café  des projets qui se situent  dans une certaine tradition éducative. Votre projet s'adresse bien à  des publics scolaires mais il sort des usages habituels du monde  scolaire. Depuis 1998, vous recevez hors locaux scolaires des élèves décrocheurs pour un travail sur les origines. Des jeunes exceptionnels puisque par exemple déjà décrocheurs à l'école primaire. A quel courant le rattacheriez-vous ?

 

clas6.jpgDe même que je travaille à partir de ce que m'ont transmis les générations précédentes, dans ma classe nous travaillons toujours à partir des textes des grands précurseurs et des grands récits qui ont fondé l'humanité: philosophie, sciences, arts, mythologies, croyances....Ces choix illustrant les progrès de la pensée, vont aboutir à  faire progresser mes élèves, dans leur propre élaboration d'une pensée et les aider dans la construction d'un modèle du monde et dans leur capacité à faire des choix. Avec des élèves « décrochés » du savoir, il est important pour ne pas  perdre de vue l’essentiel, de travailler le noyau fondamental qui nous institue professeur : organiser pour tous les élèves, la rencontre avec la culture en créant des projets pédagogiques suffisamment ambitieux et cohérents, pour pouvoir porter notre désir d’enseigner et aussi le désir d’apprendre des élèves.

 

 

Vous souhaitez "faire parler pour chasser la violence et ramener à  l'école". Pourtant pour beaucoup de parents ou d'élus même il suffit  de réprimer pour atteindre ce résultat... Et parfois le dialogue  semble impossible.  Qu'en pensez-vous ?

 

Dans cette optique, il est devenu fondamental afin de générer du sens de redonner une vraie place à la parole moins limitée que l’unique parole codifiée que l’école tend à proposer. Chaque être de parole étant en quête d’identité, il s’est agi d’effectuer une recherche commune et individuelle, que j’ai définie autour du concept des origines. Nous avons eu recours aux grands récits que l’homme s’est forgés au cours du temps pour tenter de trouver des réponses à ses questions : la religion, l’art, la philosophie, la science, les mythes fondateurs. Partant des grandes questions, j’ai institué des ateliers dans chaque domaine, afin de trouver des réponses. Chacun d’eux permettant de faire travailler la pensée de différentes manières, l’exigence de vérité étant différente selon les domaines, les élèves prenaient l’habitude d’exercer une gymnastique d’esprit dans un va-et-vient où des déplacements s’opéraient entre le symbolique et le réel. Ainsi, ils ont pu acquérir une mobilité de pensée, et  « agrandir » leur espace mental, le rendant plus mobile par des confrontations avec des nouvelles frontières, de nouveaux espace-temps, afin qu’un ancrage dans le monde, puisse être possible.

 

Il s’agit de substituer à leur hyper mobilité physique, un travail sur la pensée qui autorise une mobilité psychique. Ici le langage prend une dimension réflexive, car il permet de développer la capacité des élèves à réfléchir, à faire des choix et à renvoyer des représentations à l’oral et à l’écrit. Le langage permet au sujet de se construire un point de vue par rapport à un référent, aux Autres, à un contexte, aux relations engagées, aux codes imposés ou pas, son rôle, les sujets d’étude et ce que l’élève en comprend. Il permet d’exercer une activité critique et de résoudre des problèmes, de se représenter toutes les expériences des hommes et par là même conduit à la rencontre avec le monde et les savoirs. Cette construction du sens dans différents contextes, réorganise en permanence leur vision du monde et permet l’appropriation des normes de pensée et de langage en fonction de la discipline dans laquelle on travaille. Dans tout ce cheminement, je les ai aidés à naviguer dans le labyrinthe culturel, à discerner les enjeux essentiels, à chercher en permanence leur propre vérité sans jamais se satisfaire de ce que d’autres veulent qu’on trouve vrai.

 

 

Et ça fonctionne ?

 

clas5.jpgCe long parcours initiatique les touche, car il revêt une finalité supérieure, qui est la capacité des hommes à toujours progresser en s’appuyant sur des savoirs anciens pour les dépasser.  Cette construction symbolique interpelle, elle redonne du sens, le sens qui a pu rendre le recours à la violence dérisoire. Dans cette perspective, la matière fait autorité. Durant ce travail, les tensions et les passages à l’acte ont diminué. Les élèves ont accepté progressivement les contraintes liées aux situations d’apprentissage. Ce travail n’est pas magique et ne  produit pas d’effets immédiats. Certains jours, j’ai eu l’impression de ne pas avoir accès à eux mais, ce qui m’a toujours mobilisé, était l’entière confiance en mes sujets d’étude. Peu à peu, après avoir tâtonné, ils ont vérifié que pour être compris des autres, il faut enrichir et soigner le plus possible l’outil communication.  Ils ont tous gardé à l’esprit, l’exigence que nécessite le fait de devoir être lus. C’est dans ce cadre que les savoirs utilitaires comme l’orthographe se sont imposés. Ce travail permet d’intégrer le vide car les élèves ne sont pas obligés de trouver des réponses immédiates. Je prends en compte que le processus d’apprentissage est discontinu et a besoin de temps. Ce temps est offert en classe relais et le pari étant qu’à un moment donné dans le cheminement, les élèves pourront trouver un point d’accroche car au travers des savoirs fondateurs, je leur parle d’eux et de toutes les questions existentielles qui traversent leur pensée.

 

 

Un autre aspect du projet c'est l'importance du lien collectif et de ses rituels. Peut-on enseigner par le collectif ?

 

L’idée était d'instaurer une communauté de recherche, permettant les échanges, la coopération (qu'ils deviennent donneurs / preneurs), le rapport au langage, au temps, aux savoirs. Par le biais de cette communauté, les élèves ont pu apprendre à se connaître, à trouver les bonnes distances. Le dispositif relationnel, mis en place dans le groupe au travers du conseil, des débats, des cours de sciences, des ateliers d'art et d'écriture, permet d'apprendre à se maîtriser, à être solidaire, à communiquer, à comprendre les autres.

 

 

Du coup ça vous amène à chercher des lieux différents pour ce projet. Où travaillez-vous ? Pourquoi le lieu a-t-il de l'importance ?

 

Je n’ai  personnellement pas choisi le lieu, de même qu’ils n’ont pas choisi de vivre dans la cité attenante à l’école. Par contre, ce travail qui abolit les frontières dans le temps et l’espace nous permet ensemble d’abolir les frontières du ghetto dans lesquels ils sont tenus. Ma classe ne se transporte pas ailleurs, mais les contenus de mon enseignement les amènent à la sublimation, c’est dire à accepter de dépasser la frustration et accepter les contraintes inhérentes à tout apprentissage.

 

 

Vous touchez donc les enfants et même leur famille indirectement au coeur. Quels gardes fous avez vous institué pour tenir la distance et éviter les dérapages ?

 

Votre question telle qu’elle est formulée pourrait sous entendre que mon travail se résumerait à des recettes affectives, Or quand les élèves me renvoient qu’ils sont heureux d’exister à mes yeux comme des sujets capables d’élaborer, de communiquer c’est à leur dignité que j’aspire et à ce qu’ils retrouvent l’estime de soi.

 

 

Comment votre projet est-il perçu par les équipes pédagogiques "normales" de ces jeunes ? Et par l'institution ?

 

J’ai toujours défendu l’idée que mon travail n’était pas un travail cantonné  à la marge, expérimental et à côté de la « norme », si norme il y a.

 

 

C'est pas trop lourd à porter parfois comme projet ? Dans quelle mesure le Prix de l'innovation pédagogique peut-il vous aider ?

 

clas4.jpgLe métier de professeur en classe relais requiert de multiples missions qui sont en tension voir en contradiction entre elles : coordonner et travailler en équipe, élaborer un projet pédagogique, faire toutes les demandes de financement,  participer au projet d’établissement, travailler en réseau, préparer sa classe, ses cours, instruire et socialiser,  être garante du cadre, de la sécurité des personnes, signaler certains élèves à l’assistante sociale, à l’infirmière, au conseiller d’orientation psychologue, aux éducateurs, faire divers  rapports, organiser des équipes éducatives, des concertations d’équipe, des  régulations d’équipe, gérer les locaux….

 

Si on se laissait envahir par le flot des demandes et des tâches, qui sont le plus souvent très déconnectés les unes des autres, le fonctionnement de la classe relais pourrait vite devenir une sorte « de self service » ou les élèves seraient pris en charge par des intervenants extérieurs, placés devant des fiches scolaires toutes faites, devant les ordinateurs…..le professeur devenant un administrateur de tâches.

 

Pour ne pas  perdre de vue l’essentiel, il est important de travailler le noyau fondamental qui nous institue professeur : organiser pour tous les élèves, la rencontre avec la culture en créant des projets pédagogiques suffisamment ambitieux et cohérents, pour pouvoir porter notre désir d’enseigner et aussi le désir d’apprendre des élèves. Cette perspective de travail fait surgir de véritables moments magiques où survient l’acte pédagogique. De plus, je ne reste pas isolée, je travaille avec un réseau de chercheurs et je soumets ma pratique à la discussion, aux échanges et même à la critique.

 

 

Qu'il y a t-il de transférable dans ce projet ?

 

Certains questionnements émanant des pratiques développées « à la marge » pourraient être valables au collège : comme, comment opérer dans la tête des élèves un déplacement vers une éducation du sens, qui  tend à donner à tous les élèves les moyens de comprendre le monde afin de pouvoir y agir et y trouver une place ? Dans ce même mouvement, il serait important de se demander «  ai-je mis en œuvre les moyens nécessaires pour que tous les élèves apprennent, et acceptent d’aller à la rencontre de la culture des hommes ? ». Ma réponse ci dessus en vient à répondre à votre première question à propos du courrant dans lequel je me situerais : s’il fallait le définir par un mot, je dirais humaniste.

 

Frédérique Landoeuer

Enseignante.

 

Entretien : François Jarraud

 

Films documentaires dans lesquels le travail décrit dans cet article apparaît :

Meirieu, P.(juin 2001) Rabindranath Tagore : Apprendre à faire la paix avec soi-même. Film diffusé sur la 5 dans le cadre des émissions l’éducation en question.13 mn

 

Frapin, M. (2005). Les enfants du big-bang. Production du grain de sable. Paris. 56 mn.

Sur le site du Café
Par fjarraud , le lundi 15 octobre 2007.

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