Editorial : Changer les cuisiniers 

Il y a un an, l'éditorial du Café mensuel soulignait les "mouvements désordonnés voire incohérents" qui, pour l'équipe du Café, agitaient le système éducatif. Un an plus tard, il faut bien dire que voilà un domaine où l'éducation nationale a fortement progressé.


L'actualité de ce numéro manifeste ces "progrès". Le summum du modèle gestionnaire se manifeste sans doute dans le rapport Breton-Durand sur les rythmes scolaires, présenté dans ce numéro. Partant d'une réelle impasse où on a enfoncé l'école, sans jamais rendre l'hommage qu'ils méritent aux auteurs de cette triste manoeuvre qui a consisté à sacrifier les conditions d'apprentissage des enfants pour pouvoir supprimer quelques milliers de postes, la commission fricasse l'Ecole à la pure sauce gestionnaire. Cours devant 80 élèves, "maxima horaires" d'enseignement imposés, semaine de 35 heures pour les enseignants, suppression des "activités de découverte" (EPS, arts etc.), évaporation des disciplines, toutes les recettes que les toqués de la RGPP ont imaginées en dix ans se conjuguent dans cette mémorable ratatouille. La cuisine semble tellement difficile à faire avaler que l'on a assisté,  le 15 décembre, à un bel exercice de rotation des plats entre députés. Personne ne voulait goûter en premier. N'empêche ! Aux fourneaux, les responsables (maîtres queux ou galopins ?) représentaient la majorité (Breton) et l'opposition (Durand).


Il serait facile de montrer comment en une année l'obsession d'économies a pesé sur l'école et les conditions de réussite des élèves. On pourrait rappeler qu'on a vu, pour la première fois dans une période ordinaire de croissance des effectifs, de nouveaux enseignants envoyés en classe sans formation professionnelle. Ou encore parler des suppressions de postes. Ou encore évoquer l'enquête menée par le Café sur la réforme du lycée. Il semble bien que l'ouverture de l'accompagnement personnalisé et la mise en place de nouveaux programmes encyclopédiques résultent en un enseignement plus transmissif, séparant savoir-faires (confiés à l'accompagnement personnalisé) et connaissances dictées. 


Mais le signe le plus évident de cette évolution, c'est que nous avons laissé disparaître l'innovation. Il faut lire, dans ce numéro, l'article de Thierry Lacheray. Il analyse l'évolution d'un projet pédagogique innovant sur 12 ans. Et on retrouve ce qu'a été l'Ecole (un soutien officiel à l'innovation, des crédits et des postes) et ce qu'elle est devenue. "Dans les classes, l'ordinateur devient l'instrument de l'institution (évaluations, tableaux, « mail » pressants et envahissants, gestion de « Base Elèves »....) et me semble perdre son rôle d'outil pédagogique innovant", écrit Thierry Lacheray.


A juste titre, on nous dira que l'Ecole sans innovation, ça n'existe pas. Que les profs inventent au jour le jour pour faire cours; Que l'innovation colle aux semelles du métier. Et c'est vrai. On le voit bien chaque année au Forum des enseignants innovants. On le voit aussi dans ce numéro par la réflexion sur l'architecture scolaire ou sur les réseaux sociaux. Ou encore par les multiples initiatives que vous retrouverez dans les rubriques disciplinaires. Par exemple l'article sur les iPad en rubrique documentation. Mais cette capacité à inventer reçoit-elle encore l'intérêt que l'institution devrait lui porter ?


Les résultats de cette politique se lisent dans Pisa. L'école française se divise entre un pôle d'excellence composé d'élèves vraiment forts et une base de plus en plus lourde et de plus en plus faible.  Pendant que les premiers s'envolent des nids du 16ème vers les perchoirs des grandes écoles, l'école globalement s'enfonce. "Il faut stopper la logique de ghettoïsation qui s’est développée depuis plusieurs années, qui s’est accélérée récemment avec la suppression de la carte scolaire et à laquelle nous semblons résignés : la dérive des continents scolaires est aujourd’hui complètement mortifère pour notre société", écrit Philippe Meirieu dans une tribune accordée au Café. "Rien n’est plus illusoire de croire que, s’agissant des élèves en grande difficulté, on peut pratiquer la politique du coût constant. Plus notre ambition nous amène à vouloir faire réussir les élèves les plus fragiles, plus cela demande d’efforts et coûte cher. Or, cela la France semble ne plus en vouloir. On veut bien, à la rigueur, payer pour que “les pauvres” fassent des études, mais à condition que cela ne coûte pas plus cher (et, si possible moins) que les études des “riches”. Et nous  continuons ainsi à arroser là où c’est mouillé".


Une bonne nouvelle. Philippe Meirieu a peut-être tort sur un point. Un récent sondage des Echos montre que la majorité des Français, après des années de demande de moins d'impôts, est maintenant favorable à l'idée de payer plus pour l'éducation. Voilà qui vient saper la base même de la RGPP et des politiques qui en sont issues. C'est notre bonne nouvelle pour 2011.


François Jarraud



Par fjarraud , le dimanche 19 décembre 2010.

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