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Le 24 septembre, une journée nationale du refus de l'échec scolaire

Chaque année, 150 000 jeunes quittent l'école sans qualification.
Faire reculer l'échec scolaire, c'est une urgence !


Mobilisation nationale
le 24 septembre 2008

>> Plus d'infos sur : http://www.refusechecscolaire.org


En partenariat avec le Café pédagogique, Curiosphère France 5, la FCPE, l'ANLCI, l'INJEP, l'OZP, l'AFEV organise le 24 septembre à Paris la 1ère Journée du refus de l'échec scolaire.

Cette journée sera un moment d'information et de réflexion en commun pour pour qu’enfin la lutte contre l’échec scolaire devienne une priorité nationale pour l’opinion et les pouvoirs publics.

A Paris, cette manifestation sera placée sous le parrainage de Gabriel Cohn-Bendit, fondateur du lycée expérimental de Saint-Nazaire et militant de l’éducation alternative. De nombreuses personnalités du monde de l’éducation ont souhaité s’y associer, tels que les chercheurs Jacques Pain, Stéphane Bonnery ou Philippe Meirieu.

D’autres événements seront organisés en province.

Consultez le site réservé à cette journée et inscrivez-vous pour la manifestation parisienne :

http://www.refusechecscolaire.org

Nous vous invitons également à consulter le dossier de presse relatif à cette journée, accessible dans la rubrique "Liens" du bandeau de gauche de la page d'accueil.

Pour contribuer à ce blog
 
 
Nous souhaitons que vos contributions à ce blog reflètent la richesse de vos réflexions et la diversité des actions que vous menez dans vos classes avec vos élèves pour améliorer leur réussite scolaire.
 
Ces contributions seront reprises dans la journée organisée à Paris, le 24 septembre mais, au-delà, elles peuvent aussi alimenter la communauté qui perdurera après cet événement.
 
Vous pouvez vous exprimer sur ce blog de deux manières.
 
Au bas de chaque article, un lien cliquable "commentaire" vous permet de réagir directement à un article, de faire part de votre expérience, de poser une question, etc. Cependant ce lien n'est actif que si vous êtes identifié sur la plate-forme du Café. L'identification s'effectue sur la page d'accueil du Café pédagogique, dans le bandeau du haut, vers la droite. Si vous ne disposez pas encore d'un identifiant, vous pouvez utiliser le lien cliquable "Pas encore inscrit ?" pour le demander.
 
Vous pouvez aussi vous exprimer dans le forum de discussion "Comment lutter contre l'échec scolaire ?" en cliquant sur le bouton "Réagissez" dans la partie "Liens" du bandeau de gauche, puis sur le bouton répondre, quand vous entrez dans le forum. la consultation du forum est publique mais vous ne pourrez répondre que si vous êtes identifié.
G. de Vecchi : Echec scolaire… la "faute" à qui… et que faire ?

"Ce n’est pas en recherchant la culpabilité de chacun que nous règlerons le problème de l’échec scolaire ! Et celui-ci n’est pas une fatalité. Mais ce ne sont pas les aides ponctuelles qui allongent encore un peu plus le temps scolaire journalier, déjà bien rempli, qui vont régler le problème. Cela implique non pas une adaptation mais une refondation de tout le système scolaire". Gérard de Vecchi nous y appelle et montre des pistes.



L’échec scolaire, un phénomène insupportable pour beaucoup d’entre nous. Et aussi un épouvantail que l’on ressort à chaque changement de ministre de l’éducation. Xavier Darcos n’a-t-il pas affirmé que « l’Ecole du XXIème siècle », qu’il voulait mettre en place, avait pour objectif la réussite de tous ?


« La "faute" à qui ? » Combien de fois cette question m’a été posée ! Aux élèves qui ne travaillent plus ? Aux parents qui les éduquent mal… quand ils les éduquent ? Aux enseignants, bien sûr, qui ne font plus de grammaire, de dictées, de calcul mental et qui ne proposent aux élèves que ce qui leur fait plaisir ? A l’environnement social, culturellement trop pauvre pour certains ? Au pouvoir économique qui oriente les jeunes vers d’autres motivations ? Aux gouvernements successifs, enfin, qui n’ont pas su mettre en œuvre des politiques adaptées ?  A tous… ou à personne ? Et s’agit-il toujours de fautes ? Certains protagonistes pourraient être considérés comme responsables… mais pas forcément coupables !

Au fond, ne serions-nous pas tous responsables… mais pas pour les mêmes raisons et pas au même degré ? N’oublions pas qu’aucun pays étranger n’a été capable de résoudre totalement ce problème !

Et puis, l’échec scolaire : est-ce l’échec de l’élève ou du "système" ?

Des causes… qui ne peuvent être que multiples

 

Il est remarquable de constater que, face à l’échec d’un enfant, l’habitude veut que l’on recherche une cause… donc un responsable. Mais, dans la plus grande majorité des cas, les raisons sont multiples et interagissent.



L’élève en première ligne !

Si un certain nombre de maladies (par exemple génétiques) peuvent être handicapantes pour certains enfants, cela ne constitue qu’un phénomène marginal. La très grande majorité des enfants naît avec les potentialités d’apprendre… et d’ailleurs tous apprennent… mais pas toujours ce que l’on voudrait !


Donc… la "faute" à l’élève ? Bien sûr c’est à lui que l’on pense en premier ! Les problèmes sociaux ou familiaux seraient secondaires… La preuve ? Dans les mêmes conditions, d’autres réussissent ! Tous n’ont donc qu’à écouter et travailler ! Bien sûr, ce n’est pas aussi simple ! La fainéantise n’est-elle pas le reflet d’autres problèmes ? Les "élèves en échec" sont-ils véritablement coupables… ou plus sûrement  victimes ?


L’origine la plus courante de l’échec d’un enfant est liée à son histoire personnelle.

Et cela vient de très loin, se construit quand il est très jeune. J’ai souvent été frappé, en me rendant dans des classes d’école maternelle, d’entrevoir déjà ceux qui réussiront… et les autres (si on ne s’en préoccupe pas sérieusement !). Une situation sociale difficile, des causes psychologiques, un entourage affectif défavorable, cela engendre, chez l’élève, un recul face à ce qui l’entoure… et un manque de désir d’apprendre.


Quant aux  jeunes, ils ne sont pas souvent le reflet de ce que l’on montre à la télévision. Lorsqu’on parle longuement avec eux, très vite les masques tombent et leur désarroi apparaît. Beaucoup se sentent frustrés, inadaptés, refusés, rejetés par les autres. Pour certains, leur culture d’origine est méprisée et on leur demande de la rejeter. Ils se vivent comme des étrangers dans le regard de nombreux "français de souche" !


Dans un conteste défavorable, un élève pourra ne pas s’intéresser à ce qu’on lui propose.  Il décrochera… ou du moins se laissera distancier, souvent très vite et, même s’il le désire, n’arrivera plus à recoller… donc se découragera puisque cela n’est pas suffisamment pris en compte. Et un cercle vicieux s’installera. A quoi sert de faire quand on sait qu’on n’y arrivera pas ? Mieux vaut refuser l’Ecole (cela a été mon cas). Les élèves, dans leur souffrance, préfèrent trouver d’autres solutions pour exister que de se battre pour acquérir des savoirs émancipateurs qu’ils pensent ne pas être à leur portée. Ils deviennent amorphes ou, au contraire, dissipés, hyperactifs… violents, et tentent de s’exprimer à l’extérieur de l’Ecole, dans leur environnement social où parfois ils réussissent !


L’échec scolaire n’est donc pas un simple arrêt des apprentissages qu’il faudrait relancer. Il est le reflet d’un déséquilibre profond.  Cela nous amène donc naturellement à envisager les responsabilités liées au milieu de vie.



Un certain milieu social

Les raisons socio-économiques défavorables sont très prégnantes. Certains politiques les minimisent… ce qui leur permet de ne pas réellement les prendre en compte !

Souvent, un enfant n’apprend pas parce qu’il n’en éprouve pas le besoin, parce que cela n’a pas de sens pour lui. Dès le plus jeune âge, le fait de vivre dans un milieu culturellement riche est déterminant. S’il ne lit pas, n’écrit pas, c’est parce que la famille ne lit pas, n’écrit pas. S’il comprend mal c’est parce qu’on ne lui a pas appris à discuter, à s’exprimer, à manier les idées… Très vite, à l’Ecole, il se sent exclu ou du moins marginalisé, et il accumule du retard.

Pourquoi certains réussissent tout de même (ce ne sont pas les plus nombreux !) ? Parce qu’ils comprennent vite, sans trop d’efforts, parce qu’ils ont la chance d’être tombés sur des maîtres qui les considèrent, parce qu’ils sont soutenus moralement par leur famille, parce qu’ils sont capables d’avoir un projet… parce que ce sont eux !



Et la famille ?

Les familles, voilà les responsables que l’on cite en second ! Ces parents qui ne prennent pas la peine d’élever leurs enfants ! En fait, la plupart le voudraient bien, mais en sont de moins en moins capables. Outre les problèmes de langue et de niveau d’études qui sont essentiels, ils sont débordés et se sentent souvent décalés, par exemple face à la violence des adolescents.

Et puis, l’échec scolaire ne touche pas que les banlieues ! La pression sur les parents est de plus en plus forte (le chômage et, tout autant, les hommes politiques qui attisent leurs peurs). On oublie un peu facilement que la France est le pays d’Europe dans lequel les enfants sont largement les plus stressés. On est loin des critiques des traditionnalistes qui prétendent que l’on ne fait plus faire aux élèves que ce qui leur fait plaisir (Xavier Darcos n’a-t-il pas dit : " « Il s'agit d'en finir avec 30 ans de pédagogisme qui a laissé croire qu'on pouvait apprendre en s'amusant » ?) !

Enfin, tout le monde ne peut pas payer des leçons particulières à son enfant…



Les politiques

Les politiques justement, de gauche comme de droite, ont laissé se détériorer les milieux défavorisés. Et, malgré quelques efforts financiers pas assez conséquents, ils ne peuvent plus maintenant fournir les fonds qu’il faudrait investir pour changer radicalement de politique scolaire. Nos dirigeants sont tenus par les pouvoirs économiques. Et ce ne sont pas les orientations actuelles (suppression de la carte scolaire, programmes rétrogrades, répression plutôt que formation de la personne, récompenses, rattrapage en dehors de cours…) qui régleront le problème !



Le système économique

Il crée un état d’esprit dont le seul objectif est la croissance, l’augmentation de la consommation, et qui fait croire aux enfants que tout leur est dû, qu’ils n’ont qu’à se servir ! Il habitue les jeunes à être dans l’immédiateté… quand le savoir ne se construit que progressivement, et demande un effort.

Et que dire de la télévision valorisant une "culture-poubelle", qui fait s’intéresser à nombre de choses dérisoires, qui ne donne pas vraiment envie de connaître et ne montre pas ce que peut être une culture en même temps riche et porteuse de plaisir !



L’institution scolaire

Elle n’est pas exempte de toute responsabilité. Même si on a pu le dire ces derniers temps, ce n’est pas l’Ecole maternelle ou élémentaire mais le collège qui constitue le maillon faible du système éducatif. Sa structure est à remettre totalement en cause dans ses fondements (emploi du temps, isolement des professeurs, émiettement des disciplines, répartition des tâches…).

Et comment l’état d’esprit qui est induit dans les programmes n’influencerait pas largement l’apprentissage de certains élèves ? L’Ecole laisse de côté des jeunes qui n’entrent pas dans une culture différente de celle de leurs parents et qu’on leur impose. 

Il en est de même de l’ambiance induite dans un établissement scolaire par l’équipe éducative. On n’apprend pas de la même manière quand un principal pense résoudre ses problèmes par la répression, en installant des systèmes de vidéosurveillance, plutôt que d’ouvrir des lieux le dialogue !



Et même certains enseignants !

C’est ce qui nous touche au premier chef et sur lequel il faut nous pencher plus spécifiquement.

On a tendance à minimiser cette dimension. Pourtant, comment expliquer qu’une année un élève de collège ait une moyenne de 14 en français et 3 en mathématiques quand, l’année suivante, avec d’autres enseignants, il aura de bons résultats en mathématiques... et plus du tout en français ? Enfant, j’étais dans ce cas et cela m’a été très difficile à vivre !

On mesure encore mal l’impact des maîtres et de la relation qu’ils entretiennent avec les élèves. On sait la part de dévouement et de professionnalisme de beaucoup d’enseignants, particulièrement dans les zones difficiles. Mais tous ne sont pas ainsi. Que dire des professeurs qui, encore aujourd’hui, méprisent les élèves qui ne réussissent pas… ou même qui les détestent (cela apparaît nettement dans les conseils de classe !).


Peut-on éduquer… ceux que l’on méprise ?[1] Voici comment quelques enseignants, et auteurs de livres à succès, voient les jeunes… à qui ils seraient susceptibles de faire la classe : « Des moutons, dénués de tout sens critique et au dialecte riche de 50 expressions de verlan (bagage suffisant pour envoyer des textos ou se présenter à un casting de Star Academy) […] des barbares déculturés ainsi que des ignares imbus d’eux-mêmes voués à la consommation à forfait illimité, surfant de rave parties en manifs citoyennes »,  « des ignares arrogants car inconscients de leur propre ignorance qu’ils prennent pour une vertu ou une forme de liberté de pensée. » [2] Et le constat ne suffit pas. Encore faut-il l’injure… « "Ca craint, mec ! beugle le jeune con(temporain). » [3] Quant à la relation que l’on doit avoir avec les enfants en classe, j’ai été particulièrement choqué, moi l’ancien élève en difficulté, lorsque j’ai lu ces quelques remarques de Jean-Paul Brighelli, notre représentant le plus prisé des médias (qui a participé à l’élaboration des nouveaux programmes de l’école primaire !) : « De nombreux élèves, à la fin d’un cours, cernent le professeur pour lui extorquer, sous couleur d’une question sur l’exercice en cours, l’aumône d’une relation personnalisée. » [4] Derrière ces belles formules, une volonté d’éduquer… ou plutôt de l’arrogance et du dédain. Reposons-nous la question initiale : peut-on réellement éduquer… ceux que l’on méprise ?

L’Ecole, par ses méthodes encore trop traditionnelles, plaçant le maître et les savoirs au centre du processus éducatif, ne donne pas assez de sens aux apprentissages et accepte les échecs comme des fatalités en ne faisant pas grand-chose pour les prendre immédiatement en compte lorsqu’ils apparaissent.


Des raisons, il y en a encore beaucoup d’autres ! Mais, le plus important est de savoir qui peut lutter contre l’échec scolaire… et comment !

Alors... que faire ?


Ce ne sont pas quelques affirmations politiciennes et la mise en place d’interventions ponctuelles et isolées qui vont régler l’échec scolaire. Toutes les dimensions du problème doivent être abordées en même temps.


Mais d’abord, quelques illusions dont il faut se débarrasser : « Tout serait affaire de moyens. Comme le monde de l'école est fatigué par les réformes, comme le métier d'enseignant est de plus en plus difficile, on propose de ne rien changer sur le fond et de donner plus de moyens pour faire la même chose. Dans cette perspective, on entend généraliser les systèmes d'aide et de soutien scolaires, comme si, ne pouvant changer l'école, on devait mobiliser les élus locaux, les travailleurs sociaux, les familles et les associations pour qu'ils fassent ce que l'école ne parvient plus à faire. Sans doute faut-il des moyens et faut-il les répartir de manière plus équitable et plus efficace, mais il y a quelque illusion à croire que l'école surmontera ses difficultés de cette manière, surtout quand les comparaisons internationales montrent que l'école française est loin d’être parmi les plus pauvres. »[5]


De même, la "pédagogie du recours" est une condition essentielle pour la réussite … mais un recours à quoi et quand ? L’Ecole doit offrir, à tous les enfants et à leurs familles, des solutions en interne, bien évidemment gratuites. « L'École doit être à elle-même son propre recours. »[6]  Un enseignement démocratique ne peut donc accepter de renvoyer des élèves en difficulté ou en échec vers des structures ou des initiatives privées… et payantes !

Si les dispositifs d'aide et de soutien sont utiles, ils ne dispensent pas d’un effort constant pour améliorer la pédagogie ordinaire dans les classes. Multiplier les soutiens et les remédiations de toutes sortes s’avère vain si l'on ne s'attache pas, d'abord, à faire de l'acte pédagogique un moyen de mobiliser tous les élèves. Un enfant sortant d’un cours devait avoir tout ce dont il a besoin pour apprendre seul ! Et cela c’est aux enseignants d’y veiller ! 


En résumé on pourrait…

* Développer une discrimination positive en adaptant réellement les dotations en postes et en matériel à la situation de chaque établissement.

* Attirer effectivement les professeurs dans les collèges des zones sensibles (traitement, facilités de travail, matériel pédagogique, nombre d’élèves par classe…).

* Développer un état d’esprit valorisant l’entraide, la solidarité entre élèves et développant l’émulation plutôt que la compétition.

* Rendre inutile la "pédagogie du recours" apportée par les initiatives privées et onéreuses.

* Constituer des groupes de besoins permettant de différencier la pédagogie en regroupant les élèves ayant besoin de remédier à certains manques. 

* Améliorer considérablement la formation initiale et continue des enseignants, en insistant sur le travail en équipe, l'aide à l’apprentissage et l'innovation pédagogique.

* Mettre en place une aide à la parentalité, assistant les parents pour qu’ils puissent comprendre et suivre le parcours scolaire de leurs enfants (avec même, si besoin, une alphabétisation). Suivant les niveaux, il s’agirait aussi d’aborder l’entrée dans la lecture, les méthodes de travail, l’aide au travail scolaire et même l’usage de la télévision ou l’implication dans des activités associatives.

Mais le plus important est la relation, l’écoute, le respect et la valorisation. A ce propos, au lieu de se focaliser sur les échecs, pourquoi ne pas demander à chaque élève de construire un portfolio contenant ses réussites… sans refuser celles produites dans le milieu extérieur) ?

 

Mais cela ne sera efficace que si l’ensemble du système est repensé !!! Ce qui est fait à l’Ecole doit être porteur de sens ! C’est une autre culture de l’enseignement qu’il faut instituer. Il ne faut pas adapter… mais impérativement refonder l’Ecole !


Pour cela, voici, en résumé, dix directions que l’on pourrait prendre.[7]


1. Oser penser autrement les structures

* Rétablir la carte scolaire en la modifiant, de telle sorte que chaque secteur comporte des établissements de différentes catégories.

* Construire des établissements à taille humaine ou, pour les anciens, organiser des unités pédagogiques qui auraient une certaine autonomie et une cohérence à travers l’existence d’une l’équipe d’enseignants.

* Réfléchir sur une plus grande autonomie des établissements… tout en prenant soin de ne pas considérer une Ecole comme une "entreprise commerciale" !

* Obliger chaque établissement à élaborer un projet spécifique, véritablement adapté aux besoins de sa population, et mettant en œuvre un type précis de pratique pédagogique. Mais aucun projet d’établissement ne devra contenir, même d’une manière masquée, une forme quelconque de sélection déguisée, préfigurant une orientation positive ou négative.

* Privilégier la nomination des maîtres sur leur profil et non plus sur les seuls critères d’ancienneté, afin de faciliter la constitution d’équipes éducatives solides et cohérentes.

* Valoriser non pas les enseignants dont les élèves ont de bons résultats… parce qu’ils constituent de "bonnes classes", mais plutôt ceux qui s’impliquent fortement dans des projets pédagogiques.

* Instituer des réseaux d’établissements complémentaires, ayant chacun leur spécificité. L’implantation des options doit être définie en commun en ne visant pas la concurrence à l’intérieur du système, mais en offrant un service public diversifié et mieux adapté.

* Repenser les critères de recrutement des chefs d’établissements ainsi que leur mission, en particulier sur le plan pédagogique.

* Mieux les former, non pas en tant que "managers", mais aux fonctions d’organisation de la vie scolaire, aux pédagogies modernes, à la négociation, à la gestion des équipes éducatives, et les choisir en donnant une importance cruciale à ces aspects.

* Développer des procédures d’évaluation dans chaque établissement, non pas pour les classer, du meilleur au moins performant, mais pour les aider à résoudre leurs problèmes, quand c’est nécessaire, et pour utiliser leurs réussites en les diffusant.

* Elaborer des projets éducatifs locaux, définis par exemple au plan municipal, et auxquels les établissements scolaires apporteraient leur concours.

* Favoriser les jumelages entre Ecoles des pays développés et émergents, afin de développer un autre type de solidarité et connaître d’autres cultures.


2. Faire éclater le groupe classe 

* Définir des unités d'enseignement, de 50 à 100 élèves, confiées chacune à une équipe d'enseignants à compétences complémentaires, qui y feraient l'essentiel de leur service.   

* Remplacer les classes de l’Ecole primaire par de véritables cycles de trois ans.

* Faire en sorte qu’à côté de son appartenance à une classe, une section, un cursus, chaque élève ait au moins la possibilité de rencontrer d'autres élèves issus d'autres classes, sections...

*· Créer des groupements d’élèves à composition différenciée. En effet, il est essentiel que chacun puisse, dans sa scolarité, découvrir l'altérité.

* Respecter de plus près les rythmes des élèves, prendre en compte, par exemple, les élèves les plus lents. Permettre à chaque élève, sans redoubler et par contrat, de moduler le temps nécessaire pour atteindre les objectifs spécifiques de chaque enseignement.

* Considérer chacun en fonction de ses besoins particuliers. Ce principe vaut à la fois pour les enfants porteurs de handicaps et pour tous les autres...

* Organiser des modules de temps spécifiques, insérés dans l’emploi du temps et regroupant chaque semaine les horaires de plusieurs enseignants de matières différentes : cette globalisation laisserait aux maîtres la responsabilité de gérer en commun leur capital d’heures et de disposer de durées variées d’enseignement afin d’y aborder, entre autres, les problèmes spécifiques de l’échec de certains.


3. Aborder le problème de l’hétérogénéité des élèves 

* Pour lutter contre les redoublements, organiser les apprentissages en cycles de maturation (d’une durée de 3 ans), et non par année d'âge, ce qui conduit, par exemple, à faire avancer au même pas les jeunes élèves nés en janvier et ceux nés en décembre de la même année.

* Abandonner progressivement les modes d'évaluation traumatisants qui, chez certains enfants, en valorisant l'esprit d'hyper-compétition, détruisent la confiance dans leurs capacités, et éliminent leur désir d'apprendre. Les remplacer par d’autres mettant plus en évidence son évolution.

* Donner à l’erreur un statut positif, en la considérant comme un indicateur d’obstacle à renverser, sans lui faire porter le poids d’un jugement négatif.

Proscrire les notes, et les moyennes qui cachent les véritables raisons des réussites ou des échecs, en les remplaçant par des évaluations différenciées et ajustées à chaque élève pour lui permettre de mesurer ses progrès et le chemin qui lui reste encore à parcourir.

* Associer les élèves à leur propre évaluation par des procédures de co-évaluation avec leur maître, et même d'auto-évaluation qui sont beaucoup plus performantes (métacognition en particulier).

Développer l’émulation à la place de la compétition, en rendant confidentielles les évaluations de chacun. 

* Faciliter l’accès aux C.D.I. ainsi qu’aux moyens informatiques et audiovisuels

* Donner la possibilité à chaque élève de bénéficier du soutien d’un professeur-tuteur ou même d’un moniteur, adulte ou jeune, de son âge ou plus âgé (par exemple élève de troisième pour un élève de sixième, ou jeune étudiant pour un lycéen).

* Permettre à chaque élève de disposer d'un lieu personnel de rangement pour entreposer ses affaires.


4. Valoriser l’Ecole maternelle… facteur de réussite ultérieure 

* Développer la préscolarisation, qui consiste à accueillir les enfants dès deux ans dans certaines zones défavorisées.

* Ne pas détruire ou détourner l’Ecole maternelle de sa mission, dont les enjeux sont considérables pour la formation de la personne et l’acquisition des savoirs ultérieurs. Elle représente encore actuellement le fleuron de l'Ecole française. Elle tente d’éduquer et de socialiser. Elle doit conserver cette mission !

* Organiser une détection précoce des handicaps et des troubles de l’apprentissage, non pas pour ficher les élèves, comme futurs délinquants potentiels, mais pour leur apporter des aides ciblées.


5. Repenser la place des parents dans l'Ecole 

* Favoriser les rencontres entre parents et équipe éducative.

* Donner aux parents la possibilité d’être véritablement partie prenante dans le projet d'école ou d'établissement.

* Définir précisément les droits des parents et leurs limites pour éliminer toute ambiguïté et permettre une relation saine.

* Inciter les parents à donner de leur temps et à faire profiter l’établissement de leurs compétences, sous toutes leurs formes.

* Aménager des espaces de rencontre, dignes de ce nom, pour pouvoir rencontrer les parents et même partager avec eux des activités diverses.

* Accepter que des enseignants volontaires puissent recevoir, à petite dose, des parents dans leur classe, afin de leur faire comprendre le sens de leurs démarches pédagogiques.


6. Viser des contenus adaptés au monde d’aujourd’hui

* Enseigner les fondements de nos valeurs républicaines par un enseignement commun à toutes les classes, séries ou types d’établissements scolaires par une approche de la philosophie et non des maximes expliciter et à retenir par cœur.

* Développer une culture dans toute sa diversité, en conjuguant passé, présent et futur.

* Sortir d’un enseignement essentiellement intellectuel et verbal, en particulier à un âge où les élèves préadolescents et adolescents ont besoin d’agir, de s’exprimer et de vivre en communauté.  

*Limiter le quantitatif, l’encyclopédique, qui l'emporte encore trop sur le qualitatif.

* Elaborer des programmes plus limités, tenant compte des relations entre disciplines ou, mieux, définissant un certain nombre de concepts transversaux et de compétences pour la construction desquels chaque matière pourrait apporter sa contribution.

* Placer au cœur de l'enseignement  les méthodes de recherche et de construction de savoirs dans toutes les disciplines, avec les deux piliers de la pédagogie républicaine et émancipatrice, la recherche documentaire et la démarche scientifique. Réintroduire des activités de recherches comme les IDD (Itinéraires de découverte), TPE (travaux personnels encadrés) et PPCP (projets pluridisciplinaires à caractère professionnel).

* Développer l’utilisation des TIC, non pas pour elles-mêmes, en tant que nouvelle discipline, mais dans chaque matière, comme outils de recherches, de prise d’informations, d’ouverture sur le monde et de remédiation.

* Introduire les bases de certaines disciplines comme le droit, l’économie, la médecine, l’urbanisme…

* Favoriser les approches permettant de développer une transversalité des regards sur les connaissances et le monde. Développer les thèmes transversaux ou de convergence.

* Accepter de faire construire un socle commun de connaissances et de compétences mais en tentant de le dépasser, chaque fois que cela est possible.

* Faire une place essentielle à la construction d’une pensée critique dans toutes les disciplines.

* Privilégier les démarches d’apprentissage abordant la construction de la personne en relation avec les autres et dans le respect de l’environnement.


7. Aller vers un apprentissage de la communication

* Transformer les établissements scolaires en les faisant devenir des lieux de désirs et même de plaisirs (autres que retrouver ses copains) tout autant que de travail. Cela paraît totalement utopique ? Certains pays d’Europe du Nord y sont parvenus, alors pourquoi pas nous ?

* Créer des lieux de rencontres dans lesquels pourront se développer des relations, et permettre d’avoir des temps de partage et de fraternité.

* Faire se développer le respect et l’estime de soi comme celle des autres.

* Permettre à chaque élève de construire son identité pour l’aider à être lui-même au milieu des autres.

* Enseigner les règles d'hygiène relationnelles simples, accessibles à chacun, qui seraient transmissibles en particulier aux copains et aux parents.

* Remplacer la répression en matière d'éducation par la sanction, ajustée à l’acte répréhensible et débouchant sur une réparation.


8. Construire une véritable citoyenneté

* Développer des pédagogies qui s’appuient sur un certain nombre de savoir-être et de savoir-devenir : écoute, décentration, capacité à développer une argumentation, esprit critique, compréhension des autres, acceptation des différents points de vue…

* Intégrer dans le collège et dans les équipes pédagogiques, des personnels spécialisés (éducateurs, infirmière, psychologue, assistante sociale) avec une présence à plein temps.

* Renforcer la laïcité pour développer la résistance du futur citoyen à l'emprise et à la manipulation. Et en même temps, accepter les élèves tels qu’ils sont pour ne pas les voir partir vers des établissements scolaires qui favorisent le communautarisme.

* Enseigner les principes fondamentaux du droit et permettre à chacun de se construire un rapport sain à la loi en participant à l’élaboration de règles qui permettent de mieux comprendre et d’accepter celles qui lui sont imposées.

* Instituer un pacte des droits et des devoirs réciproques des enseignants, des parents et des élèves.

* Donner une véritable valeur à la représentativité : valoriser les élèves qui se présentent aux élections de délégués et  respecter ceux qui sont élus démocratiquement.

* Favoriser les initiatives permettant de développer des associations dans les établissements. 

* Aborder les problèmes d’actualité à travers des connaissances apportées et des débats organisés.

* Apprendre aux élèves, et peut-être aussi au maîtres, à mieux communiquer, à écouter et à respecter chacun, à entrer en empathie. Développer un apprentissage du vivre ensemble : remplacer la logique de la force par la logique des arguments et du raisonnement, passer des relations d’opposition (les uns contre les autres) à des relations d’apposition (les uns à côté des autres) de façon à évacuer le plus possible les rapports de pouvoir.

* Développer la construction d’une identité collective qui n’ouvre pas sur la compétition, le chauvinisme et l’intolérance.

* Vivre pratiquement des moments de démocratie participative (exercer des responsabilités, apprendre à débattre...).

* Intégrer ou renforcer une éducation à l’environnement (et au développement durable), à la santé et à la sécurité.

* Apprendre à distinguer croyances et savoirs, sciences et parasciences, lutter contre le sens commun, l’obscurantisme antiscientifique, le créationnisme, l’astrologie, la voyance, les sectes, les envoûtements…


9. Se pencher sur les problèmes des enseignants

* Redéfinir le service des enseignants en y incluant les activités autres que les cours (entretiens avec les élèves, les parents, concertations avec les autres acteurs de l'établissement, heures de "vie de classe", aides individualisées, évaluations mensuelles ou trimestrielles, conseils de classe, activités culturelles…).

* Accompagner cette redéfinition d’une revalorisation des salaires.

* Uniformiser le nombre d’heures de cours des professeurs certifiés et agrégés qui font le même métier, avec les mêmes tâches.

* Reconnaître ceux qui s’impliquent le plus dans leur établissement (sans pour autant que cela se rapporte obligatoirement à des gratifications financières).

* Faciliter la création de petits groupes d'enseignants, pour constituer de véritables équipes, et même pour assurer les remplacements en cas d'indisposition ou d'absence pour formation, ce qui permettrait de ne plus proposer des cours totalement décalés et qui n’ont aucun intérêt pour les élèves.

* Repenser la tâche de professeur principal et la revaloriser.

* Fournir un bureau personnel (ou au moins pour chaque département disciplinaire), avec téléphone, moyens informatiques et documentaires, ainsi que la possibilité d'accueillir convenablement les élèves et les familles.


10. Mettre en œuvre une autre pédagogie et une véritable formation 

* Privilégier et valoriser :

- une pédagogie du respect et de la relation qui permet d’être mieux avec les élèves (et non de mieux les maîtriser) ;

- une pédagogie du sens qui suscite le désir d'apprendre ;

- une pédagogie de la recherche qui dynamise l’action et construit des compétences multiples ;

- une pédagogie de la liberté qui permet aux élèves de devenir plus autonomes et responsables ;

- une pédagogie différenciée qui s’adapte à chaque enfant ;

- une pédagogie de l’aide et de la remédiation qui soutient ceux qui en ont besoin au moment où ils en ont besoin.

* Repenser, moderniser et professionnaliser la formation initiale… même si cela demande quelques efforts financiers.

* Créer une licence bi-disciplinaire, destinée aux enseignants des collèges et des lycées professionnels, permettant aux professeurs d’avoir moins de classes et plus d’heures avec les mêmes élèves.

* Développer considérablement la formation continuée, et la valoriser. Former régulièrement tous les personnels d’établissement, et pas seulement les professeurs.

* Organiser une formation commune à l'ensemble des enseignants de chaque établissement, se déroulant sur place. Instituer par exemple une semaine de formation continuée obligatoire, en début d’année scolaire, avant la rentrée des élèves… comme cela se fait dans certains pays.

* Inscrire la formation continuée dans le projet d’établissement et dans les obligations de service des enseignants.

* Revoir totalement le rôle des inspecteurs qui doivent devenir des personnes-ressources, des aides, des incitateurs et des coordonnateurs de recherches-actions.

* Lier intimement recherche, innovation et formation.

* Favoriser et valoriser l'expérimentation pédagogique en rapprochant les chercheurs universitaires, les formateurs, les mouvements pédagogiques, mais aussi les praticiens de terrain participant à des recherches-actions.

* Valider les acquis de l'expérience et de la recherche et en diffuser largement les résultats, régionalement et même nationalement et internationalement, avec le soutien des chercheurs.



En conclusion

Ce n’est pas en recherchant la culpabilité de chacun que nous règlerons le problème de l’échec scolaire ! Et celui-ci n’est pas une fatalité. Mais ce ne sont pas les aides ponctuelles qui allongent encore un peu plus le temps scolaire journalier, déjà bien rempli, qui vont régler le problème. Cela implique non pas une adaptation mais une refondation de tout le système scolaire. Qui osera l’entreprendre ? Et aucun changement durable ne sera possible si les enseignants ne sont pas placés dans des conditions leur permettant de devenir les moteurs de ce changement.



Gérard De Vecchi

Maître de conférences en sciences de l’éducation


Voir :   Gérard De Vecchi, Ecole : sens commun… ou bon sens ? Manipulations, réalité et avenir, Delagrave 2007.


Derniers articles de G. de Vecchi sur le Café :

L'enseignement doit être relationnel

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2008/04/devecc[...]

Sur la formation des enseignants

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[1] Extrait de : Gérard De Vecchi, Ecole : sens commun… ou bon sens ? Manipulations, réalité et avenir, Delagrave, 2007.

[2] Claire Laux et Isabel Weiss, agrégées et docteurs, enseignant respectivement l’histoire et la philosophie, interrogées par Christian Authier, L’opinion indépendante, n°2753, Vendredi 05 Janvier 2007.  Auteurs de : Ignare Academy, Nil éditions, 2002.

[3] Jean-Paul Brighelli, La Fabrique du crétin, Editeur Jean-Claude Gawsewitch, 2005.

[4] Jean-Paul Brighelli, ibid.

[5]François Dubet, En finir avec l'élitisme scolaire, Le Monde, 22.01.07.

[6] Formule de Philippe Meirieu, De l'égalité des chances à l'égalité du droit à l'éducation : le rôle des collectivités territoriales. Intervention de Philippe Meirieu au Colloque de l'Association des Régions de France (Lille, 8 juin 2006).

[7] Développées dans un de mes derniers ouvrages, cité précédemment (Ecole : sens commun… ou bon sens ? Manipulations, réalité et avenir, ibid.).

André Giordan : L'échec scolaire

Chaque année, environ 200 000 jeunes sortent du système scolaire sans diplôme, sans qualification ou avec une certification de faible qualité ; soit presque le tiers d’une classe d’âge. Parmi ceux-ci, 30 000 sont pratiquement analphabètes ; ce qui est dramatique dans un monde où le savoir prend une place essentielle. Face à un tel échec, l’institution scolaire ne peut se cacher la face ou dire avec raison qu’« avant c’était pire »…



Certes on pourrait objecter que le problème n’est pas scolaire, mais son origine est profondément sociale ou socio-économique. Il est avéré que les élèves des milieux défavorisés ont beaucoup plus de risques de ne pas réussir à l’école. Mais alors pourquoi prétendre que l’éducation nationale « donne les mêmes chances à tous » ? Certes des moyens supplémentaires ont été mis en place dans les « Zones »[1] dites prioritaires. Sont-ils bien employés ? Sont-ils mis là où il faudrait ? Comment se fait-il alors que malgré ces ressources en sus, les bonnes volontés et l’inventivité de nombre d’enseignants et d’éducateurs, les résultats ne soient pas à la hauteur ? Faudrait-il y voir une fatalité sociologique : la reproduction de l'échec d'une génération sur l’autre. En fait, nombre de dysfonctionnements ont déjà été répertoriés qui annulent ces efforts : de la stigmatisation de certains accompagnements psychologiques à la formation encore trop limitée des divers intervenants, notamment sur les plans anthropologiques et didactiques.


Ce qui pourrait interpeller sur le fait que la question n’est pas uniquement sociologique est que plus du tiers des élèves dits « précoces », donc des enfants qui ont les capacités pour réussir, sont également en échec scolaire. Et nombre d’entre-eux se trouvent face à un insuccès grave, dans des quartiers pourtant favorisés[2]… A contrario, un certain nombre d’enfants de milieux défavorisés s’en sortent, pas toujours facilement, rarement par la voie royale, mais avec une volonté et des capacités autres[3].


Faut-il y voir alors plutôt comme l’avancent certains médecins des causes biologiques ou génétiques. Ces causes sont indéniables dans certaines anomalies chromosomiques (trisomie 21 ou autres anomalies génétiques) ou suite à des atteintes neurologiques du cerveau qui amoindrissent le développement cognitif. Elles sont beaucoup plus contestables lorsqu'il s'agit de difficultés révélées par l'entrée à l’école, comme les difficultés à lire et à écrire ou le manque de désir d’apprendre ou quand elles résultent d’une hyperactivité.


Des causes psycho-affectives sont immédiatement mises en avant par les psychologues et autres cognitivistes. Pour eux, un élève peut se trouver en difficulté d’apprendre à cause d'un entourage affectif peu favorable. Tel peut être le cas quand un drame bouleverse la vie de l'enfant. Le plus souvent, il s’agit d’un événement familial : la séparation des parents, la naissance d'un petit frère, le décès d'un membre de la famille,... Sur ce plan, il n'existe pas non plus de fatalité. Des élèves dont les parents ont divorcé ou qui ont eu une petite soeur n’entre pas automatiquement dans le cercle infernal ; leurs résultats à l’école ne baissent pas forcément.


Lorsqu’un enfant est en difficulté grave à l'école, il n’est ni sain, ni pertinent de vouloir chercher une causalité unique ou linéaire ; chaque fois une multitude de facteurs divers interagissent. Pour autant, pas question de culpabiliser, il est vain de rechercher des responsabilités ; il vaut mieux tenter de comprendre et d’essayer de nouvelles voies. C'est l'attitude la plus positive qui permet, le plus souvent, une bonne évolution. Plus important est sûrement de lutter contre ces échecs au sein de l’institution.


La veille pédagogique sur un plan international n’est cependant pas d’un grand secours : il n’existe pas de solutions dans les autres systèmes éducatifs. La plupart des institutions européennes font face aux mêmes obstacles avec seulement des nuances. Les quelques réussites que nous avons pu constater sont locales ; elles sont le cas d’enseignants isolés à forte personnalité, ou travaillant en équipe en lien avec des structures du quartier. Qu’en tirer qui soit généralisable ? D’entrée, on peut dire qu’il est inutile de vouloir trouver une méthode ! Elle n’existe pas, cela se saurait ! Ces observations et nos propres recherches nous conduisent cependant à avancer quelques hypothèses.


En premier, on constate que le point de départ de toute remédiation à l’échec est la connaissance de l'histoire personnelle de l'enfant[4]. Elle est toujours une histoire singulière. S’il était une mesure à mettre en place est de ne pas laisser l'enfant seul, devant son échec. Il s’agit d’être au plus vite à son écoute[5]. L’écoute est souvent un « débloqueur » en soi. Mais pas n’importe comment ! Le sortir de sa classe et surtout les approches frontales ou systématiques, type entretien clinique par exemple ne donnent pas de bons résultats. Tout est affaire de tact, de reconnaissance et d’apprivoisement progressif dans un vécu. Sans cela, le jeune ne se « livre pas » et la dynamique vertueuse ne s’enclenche pas.


En fonction de cette histoire de vie et surtout de sa façon particulière de réagir aux difficultés, il est nécessaire de s'interroger immédiatement –éventuellement avec un regard extérieur- sur l’environnement didactique à mettre à disposition. Suivant le système éducatif, il existe plusieurs spécialistes pour prendre en charge l’enfant en échec. En France, ce peut être les personnels du Réseau d'Aides Spécialisées pour les Elèves en Difficulté (R.A.S.E.D.). L’enfant peut être mis dans les mains soit d’un enseignant dit de « rééducation » dont l’objectif est de restaurer le désir d'apprendre et l'estime de soi ; soit d’un enseignant spécialisé pour l'aide scolaire. Celui-ci essaie de proposer à des outils méthodologiques : savoir s’organiser, savoir lire une consigne, etc.. Il existe encore le psychologue scolaire qui propose un bilan ou accompagne l’enfant par des entretiens réguliers, l'orthophoniste en matière de difficultés de langage ou la psychomotricienne quand l'enfant est maladroit avec son corps[6].


On constate quelques succès quand ces personnes travaillent en équipe, dans le cadre de la classe et prolongent leur intervention par un suivi sur le travail de l’école, ce qui est malheureusement peu souvent le cas. Pour diverses raisons, chacun de ces spécialistes travaille en dehors de la classe ou de l’école ou reste sur son territoire ; ce qui peut conduire à l’effet contraire, l’enfant se sent tour à tour stigmatisé et écartelé.


La situation la plus favorable se rencontre quand l’enseignant lui-même sait tour à tour jouer ces différents rôles, quand il peut parallèlement impliquer l’enfant dans le travail en petits groupes. A d’autres moments, il doit pouvoir le prendre tout seul. Tout est affaire de sens et de projet à faire émerger chez lui. Certains de ses obstacles ne se dépassent pas sans une relation entre « quatre yeux » où l’accent est certes mis sur le savoir mais où l’enseignant le fait « travailler » sur la personne qu’il est ou voudrait être. Différents objets médiateurs s’avèrent alors très utiles : un objet personnel auquel il tient et qu’il apporte pour parler de lui, une activité non scolaire qui le passionne pour connaître ses ressorts, une approche artistique au travers de laquelle il peut évoquer ses obstacles, ses stress ou ses peurs, etc.. Cela implique évidemment une autre formation de l’enseignant ; à terme il devrait pouvoir devenir un professionnel de l’enfant, au fait des approches transversales -psycho, socio-anthropologiques- les plus pertinentes, et plus seulement des instructeurs…


Enfin tout dépend de la capacité de l’enseignant ou de l’école de sortir de ses rituels scolaires habituels ; un enseignant centré sur son cours et son programme devant sa classe entière n’a aucune chance ! En d’autres termes, il s’agit de repenser l’organisation de l’école pour qu’à certains moments l’enseignant puisse s’occuper d’un ou plusieurs élèves seuls ; pendant que les autres élèves travaillent en autodidaxie, parce que l’ école a su les motiver et leur a fourni les outils pour apprendre à apprendre. Certains « bons » élèves peuvent se voir également confier le rôle de tuteur d’élèves en détresse. Ce n’est jamais une perte de temps pour eux ; bien au contraire, apprendre à d’autres est une autre façon de mobiliser son savoir et donc de l’enrichir.


Dans ce contexte autre, quand l’accompagnement est continu, s’il peut parler de lui, l’enfant se sent reconnu ; peu à peu, il reprend confiance et retrouve le désir d’apprendre. Tout est cependant affaire de détour et d’intuition. Pour chaque enfant en échec, l’enseignant doit encore susciter l’étincelle. Ici également, nous ne connaissons pas de recettes. Nous ne pouvons citer que des approches possibles que nous avons tentées. Par exemple, avec des enfants qui refusaient d’apprendre à lire, nous leur avons proposé de devenir présentateur du journal télévisé ou de la météo. Ils se sont mis à lire au… prompteur ! Chez eux, l’obstacle était le livre, perçu comme ennuyeux ou difficile ; tout fut dans la dédramatisation de ce dernier.


D’autres jeunes ont repris confiance en eux parce qu’on les a remis au travail scolaire à partir de domaines hors-scolaires qui les motivaient. Gonfler un moteur, « bidouiller » un ordinateur furent des points de départ pour reprendre contact avec les sciences, faire du rap pour redonner envie d’écrire. Ce dernier détour permit de les conduire jusqu’à la poésie, tout comme un travail sur les sit-coms permit de décortiquer la trame de pièces de théâtre. Star Academy peut également être un « excellent » point de départ pour redonner envie d’apprendre ! Par la discussion, on peut leur faire prendre du recul sur ce qu’est apprendre à chanter[7] : on peut réfléchir également aux stratégies pour devenir un « héros ». En passant par Zidane, on peut leur donner envie de s’intéresser personnages que l’Histoire a retenu comme héros. Quand l’intérêt « prend », on peut aller très loin dans l’apprendre, jusqu’aux héros de l’Antiquité ou à l’orthographe[8] !.. Encore faut-il accepter pendant une semaine, un mois, parfois plus, de ne pas traiter directement le programme, de ne pas travailler en classe entière, de ne pas découper le savoir en disciplines séparées...


Nous avons également pu remettre au travail des jeunes par le biais de réseaux d’échanges de savoirs. Même si le savoir proposé peut paraître dérisoire, comme apprendre la pêche à la mouche, le dribble ou « booster » un haut-parleur hi-fi,.. peu importe ! Le fait de présenter à d’autres fait prendre conscience que chacun peut être porteur d’un savoir qui peut intéresser. Le désir peut s’enclencher ainsi : le jeune se sent mobiliser pour démarrer de petites recherches pour compléter ses connaissances. Rien n’est jamais figé, la priorité est de trouver une accroche, un filon à exploiter qui correspond à chaque jeune[9].

C’est à ce prix que certains obstacles peuvent être dépassés. Difficile d’avancer de tels propos au moment où les effectifs en personnels sont réduits. Une telle organisation n’est toutefois pas qu’une question de moyens, c’est une autre culture du métier d’enseignant à promouvoir : une culture centrée sur la personne… à faire émerger, et non plus sur l’enseignement ou le programme à faire !



André Giordan


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[1] N’est-ce pas un mot plutôt mal choisi ?

[2] A. Giordan, M. Binda (coord.), Acommpgner l’enfant précoce, Delagrave, 2006

[3] Je pourrais personnellement en témoigner !

[4] L’échec scolaire est surtout l’échec d’une institution qui traite globalement des masses d’élèves et non pas des individus. Le « traitement » de l’échec demande toujours un travail personnel avec un élève dans son parcours.

[5] Nombre d’échecs sont déjà repérables à l’école maternelle.

[6] Les médecins se sont également mis sur le rang, trouvant là un nouveau marché. Plusieurs dizaines de milliers d’enfants français se voient ainsi prescrire du méthyphénidate (Ritaline, Concerta), un dérivé amphétaminique administré pour traiter un supposé « trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (ou TDHA) ».

[7] Ils trouvent leurs enseignants plus « sympas » que ceux de la télévision !

[8] Un héros n’est pas un héraut ! Eros peut-il être un héros ? En tout cas, il peut un s au singulier tout comme lui ou chaos, contrairement à zéro !

[9] Bien sûr ces jeunes ont de gros problèmes d’organisation. Nous avons produit un grand nombre d’outils dans ce sens. Cetains sont actuellement publiés dans Jérôme Saltet et André Giordan, Coach College, Playbac,  2006 ; André Giordan et Jérôme Saltet, Apprendre à apprendre, Librio, 2007

Quand la lecture ne vient pas

Renaud a aujourd’hui presque 20 ans, il rentre cette année en Bac Pro vente. Sa mère, Julie, nous a raconté son parcours scolaire vécu en exil de la lecture.

 

L’étape de la lecture, Renaud semble l’avoir loupée dès son entrée en CP. La faute à la méthode d’apprentissage qui ne lui convenait pas ou alors au déménagement de Paris vers un village de province, ou à un rien qu’on ne décèle pas ; les explications pourraient être multiples, en fin de CP, Renaud ne lisait toujours pas. Il s’intéressait toutefois à beaucoup de choses, avait le sourire, faisait son travail, remplissait son « grand cahier » d’images et de dessins, était un fervent de la transmission orale. Pour l’institutrice, « à un moment donné, il lira, pas cette année mais l’année prochaine ». Peu rassurée, Julie tente bien de reprendre la méthode de lecture utilisée quelques années auparavant par sa fille aînée, mais elle sent qu’elle apporte de la confusion et se résout à la patience. En CE1, elle est alertée par l’institutrice qui décèle chez Renaud une absence de déchiffrage. Le fil de sa lecture tient à sa mémoire visuelle. La classe est à double niveau et les temps autonomes à lire les consignes sont autant de temps à ne savoir que faire. Il se met à détester les livres, les écrits et dévore les documentaires à la télé. Sa scolarité se poursuit ainsi en primaire. Son comportement est apprécié par les autres élèves comme par les enseignants. C’est comme si seule la lecture était restée au point mort, le reste grandit sans histoire et ses qualités relationnelles sont tout à fait remarquables.

En 6e, une déchirure familiale rendra indulgent le regard des enseignants sur les faibles résultats scolaires ; en 5e, il redouble à nouveau. Et les années de collège se suivent jusqu’au brevet des collège, non obtenu puis une orientation vers un apprentissage en pâtisserie. Durant toute ces années, Renaud grandit bien, est un élève agréable. A chaque réunion parents professeurs, Julie entend le même discours : les enseignants sont désolés de ses résultats. Sur ses bulletins, la colonne des notes est désastreuse tandis que la colonne des appréciations est élogieuse. L’histoire géographie est seule sauvée du naufrage par la curiosité et la mémoire d’éléphant de Renaud. Pour Julie, ce qui est le plus remarquable c’est que son fils n’a jamais désarmé, n’a jamais ressenti d’acrimonie ou d’impatience. « Il a vite compris qu’il n’avait pas les mêmes atouts que les autres mais en avait d’autres, la curiosité, la rapidité de compréhension, par exemple. Il communique bien mais pas par les mêmes biais que les autres. Pour lui, l’école n’est pas un gage de réussite dans la vie. Il vaut mieux être armé dans sa tête, savoir saisir des opportunités ». Paroles d’une mère attentive et qui n’a jamais perdu de vue les capacités de son enfant. Parole d’une mère réconfortée aujourd’hui par le parcours de son fils.

Car, l’apprentissage en pâtisserie n’a été qu’un passage, heureux au départ, puis assombri par un changement de patron qui ne porte pas le même regard sur l’apprenti. Une année de déprime et de désœuvrement lui succède, favorisant l’éclosion de questions. Julie s’escrime à le faire scruter son avenir pour laisser émerger un but, un métier. Ce sera vendeur en prêt à porter. Avec l’accompagnement de la mission locale, Renaud obtient une formation BEP ventes. Il décroche son diplôme et se sent prêt pour poursuivre en Bac Pro. Il vient d’effectuer sa rentrée. C’est désormais un adulte qui se lance à la conquête de la lecture.

Monique Royer

Lutter contre l'échec scolaire : pourquoi ? Comment ?

Ancien directeur de l'IUFM de Lyon, co-auteur d'un livre sur l'Ecole avec Xavier Darcos, Philippe Meirieu est un des meilleurs connaisseurs du système éducatif français ; il livre ici aux lecteurs du Café un texte de synthèse sur l’échec scolaire.




L’échec scolaire : où est le problème ?

Socialement, l’échec scolaire n’est un problème que pour une société qui veut que tous ses enfants parviennent, à l’issue de la période de « l’instruction obligatoire », à accéder aux savoirs nécessaires à l’exercice de la citoyenneté. Politiquement, l’échec scolaire est donc insupportable pour une société qui se veut démocratique : il n’y a pas de projet démocratique authentique – même, simplement, comme « utopie de référence » – sans une éducation démocratique à la démocratie. En effet, la démocratisation de l’accès aux savoirs et le développement systématique de la capacité à « penser par soi-même », peuvent, seuls, permettre d’espérer qu’un régime démocratique ne soit pas gangrené par la démagogie et devienne une oligarchie. Économiquement, l’échec scolaire n’est un problème que dans la mesure où l’on exige que les personnes assignées à des tâches d’exécution –  qui ne requièrent pas nécessairement la maîtrise de savoirs de haut niveau – ne soient pas, pour autant, écartées de l’accès à l’intelligence des êtres et des choses, des enjeux de notre société et de notre monde. C’est pourquoi il n’y a pas de dimension exclusivement économique de l’échec scolaire : c’est toujours une question d’éthique.



L’échec scolaire : que met-on exactement sous cette expression ?

L’usage social de l’expression « échec scolaire » est sujet à caution. On désigne, en fait, sous ce vocable, des réalités très différentes. Dans un travail que j’avais effectué en 1985 et 1986, j’avais distingué « élève en difficulté » et « élève en échec ». Ma collaboratrice, Emmanuelle Yanni, avait repris cette distinction en montrant bien son utilité. L’élève « en difficulté » relève, le plus souvent, de procédures de « remédiation » : il a besoin de plus de temps et d’autres explications, de nouveaux exemples ou d’un meilleur entraînement. L’élève « en échec », lui, est en rupture par rapport à l’institution, au travail et aux savoirs scolaires : il requiert une véritable alternative. La question de savoir quelle doit être cette alternative, si elle relève de la « pédagogie ordinaire différenciée », d’interventions ponctuelles de spécialistes, d’une prise en charge différente, voire de la mise en place de cursus spécialisés, est un objet de travail fondamental aujourd’hui. Il est d’ailleurs essentiel que cette question reste ouverte comme question : rien ne serait pire qu’elle soit « tranchée » définitivement. En matière éducative, toute typologie, en particulier quand elle engage des procédures de traitement institutionnel, doit toujours être réinterrogée comme typologie. Cette réinterrogation est, même, la garantie du caractère éducatif de la démarche… Mais cela n’enlève rien au fait que nous vivons aujourd’hui une situation où un nombre significatif d’élèves est « hors-jeu » dans l’École.



L’échec scolaire : pourquoi ce problème émerge-t-il de manière si forte aujourd’hui ?

Nous avons réussi, vaille que vaille, depuis 1959 et la scolarité obligatoire à seize ans, à démocratiser l’accès à l’école en permettant l’accueil de tous les enfants dans les mêmes écoles primaires et l’accès de tous les adolescents au collège. Mais nous avons moins bien réussi la démocratisation de la réussite dans l’école. Certes, le niveau global d’instruction s’est élevé, mais, faute de la mise en place d’une pédagogie différenciée autour d’objectifs communs et d’un accompagnement réellement efficace des élèves dont les situations sociales et personnelles sont les plus difficiles, nous avons laissé se développer un pourcentage important (de 15 à 25%, selon la manière dont on le calcule) d’exclus de l’intérieur. Ces élèves n’ont plus « l’excuse » d’avoir été écartés très tôt du système et il est donc facile de leur imputer, à eux et à leur famille, la seule responsabilité de leur échec. De victimes, ils deviennent coupables, dans une oscillation infernale – toujours très idéologique – qui évite de s’interroger sérieusement sur la complexité des situations.



L’échec scolaire : quels sont les facteurs en jeu ?

Dans le domaine éducatif, nous sommes toujours placés face à la même difficulté méthodologique : tenter de repérer des corrélations monofactorielles pour mieux identifier les responsabilités et trouver moyens d’action… ou bien entrer dans l’analyse fine des situations singulières qui ne permet ni de tenir un discours suffisamment manichéen pour être mobilisateur, ni de repérer facilement des leviers efficaces pour intervenir. Ainsi, sur l’échec scolaire, on peut isoler des facteurs sociologiques, psychologiques, voire physiologiques : on parvient ainsi à identifier, statistiquement, des populations « à risque » sur lesquelles il est possible d’engager des interventions ciblées. Mais, en dépit de son caractère de lieu commun scientiste (mobilisé, à « gauche », par la vulgate sociologique et, à « droite », par l’idéologie libérale des « dons »), la méthode se heurte toujours à l’objection – légitime – des exceptions : comment se fait-il que « certains s’en sortent quand même » ?. Et effectivement, la tentation est forte de confondre prédisposition et prédestination. La réflexion pédagogique, en rupture avec la confusion systématique de la corrélation et de la causalité, s’intéresse, elle, très précisément, aux exceptions : parce que c’est là que, quand on a épuisé les combinatoires d’influences diverses, on peut – et l’on doit – introduire la question des situations capables de mobiliser des sujets sur les savoirs scolaires.



L’échec scolaire : l’école est-elle condamnée à l’impuissance ?

L’ensemble des travaux dont nous disposons, ceux sur « l’effet-maître » de l’IREDU, ceux sur le rapport aux savoirs de l’équipe ESCOL, ceux sur la diversité méthodologique de Marc Bru et de son équipe, comme ceux sur les effets de structuration des groupes à Paris X - Nanterre ou ceux que nous avons pu mener à Lyon sur la pédagogie différenciée et, plus récemment, sur les effets des décisions pédagogiques et didactiques dans les pratiques de classes… tout converge sur le fait qu’il existe bien une efficacité spécifique de ce qui se fait à l’école. Pour le pédagogue, cette efficacité ne peut être pensée en termes de causalité : puisque seul le sujet apprend et que cet engagement nécessite sa mobilisation (à ne pas confondre, bien sûr, avec une motivation préexistante), ce qui est en jeu, c’est la construction de situations qui parviennent à mobiliser les personnes et grâce auxquelles elles peuvent se saisir de ressources, les structurer, se les approprier et les transférer.



L’échec scolaire : les « méthodes actives » sont-elles responsables ?

La question de l’évaluation des « méthodes actives » est complexe. D’une part, parce qu’il est toujours difficile d’isoler la variable « méthode » par rapport à celle de « la personne » de l’enseignant et des effets de la dynamique collective qui s’instaure. D’autre part, il faut savoir ce qu’on entend exactement par « méthode active » : l’important, c’est l’activité intellectuelle de l’élève, la manière dont il établit des connexions mentales, organise et stabilise des connaissances nouvelles. Or, cette activité est évidemment possible aussi bien dans des situations dites « de projet », soutenues par une fabrication encadrée, que dans des situations d’écoute, de lecture, de réflexion. Le problème de tout enseignant est bien de rendre chaque élève mentalement actif, donc de trouver les situations appropriées – avec les consignes et les matériaux requis – pour qu’il apprenne. La nature de « l’objet de travail » (plus ou moins concret) dépend, à la fois, du niveau d’évolution de l’élève et de la nature des objectifs visés. Enfin, il faut souligner que la « pédagogie active » n’a jamais proscrit les temps de présentation systématique (y compris expositifs), ni les exercices d’entraînement. Son principe est d’articuler étroitement finalisation (ce qui mobilise les élèves sur des enjeux) et formalisation (ce qui leur permet de structurer leurs acquis).



L’échec scolaire : qui peut lutter contre ?

Dès lors que l’on admet, à la fois, une interdépendance des différents facteurs et la nécessité d’une mobilisation de l’élève lui-même pour sa propre réussite, la lutte contre l’échec scolaire nécessite le travail de plusieurs acteurs, différents et complémentaires et, pourtant, tous entièrement et pleinement responsables. Ce paradoxe est difficile à accepter car nous fonctionnons souvent en faisant varier la responsabilité en sens inverse : dès lors que les parents seraient davantage responsables, les enseignants le seraient moins, et vice-versa. Dès lors que des structures d’accompagnement scolaire se mettraient en place, cela exonèrerait les uns et les autres… Or, l’important, justement, est de créer des configurations sociales et intellectuelles porteuses, à la fois, de ressources et d’interlocutions structurantes. C’est pourquoi on peut agir contre l’échec scolaire à travers la formation à la parentalité : afin que le comportement familial soit plus stimulant et équilibré. On peut aussi agir contre l’échec scolaire, évidemment, à travers un travail pédagogique et didactique rigoureux. On peut, enfin, agir contre l’échec scolaire en travaillant sur la dimension des écoles et des établissements, sur le contexte institutionnel. Dès lors que l’on a le souci, chaque fois, de créer des situations, à la fois, adaptées aux élèves et exigeantes pour eux.



L’échec scolaire : que peut faire l’Éducation populaire et les dispositifs d’éducation non formelle ?

La famille est le lieu de la construction de l’origine – qui n’a rien à voir avec la simple découverte du « commencement » – et de l’inscription dans une histoire singulière. L’École est le lieu de l’accès structuré à l’altérité et de la transmission des savoirs. Ces deux lieux, traditionnellement en rivalité dans notre histoire éducative, ne peuvent trouver leur articulation que grâce à l’existence d’un « tiers-lieu ». Le tiers-lieu permet un regroupement de pairs et d’ex-pairs. C’est un espace où une parole différente passe dans « l’entre ». C’est un sas entre le monde de l’enfance – où l’enfant est assujetti à ceux qui connaissent « son bien » – et le monde des adultes – où l’on est confronté à une responsabilité sociale irréductible. Socialement, le tiers-lieu est souvent associatif et il permet la rencontre entre des enfants et des jeunes adultes qui jouent le rôle de passeurs. Intellectuellement, le tiers-lieu est un cadre de réajustement linguistique et conceptuel : la reformulation et l’explicitation y favorisent l’appropriation de nouvelles normes culturelles. Psychologiquement, le tiers-lieu permet à quelqu’un en train de se construire de rencontrer d’autres personnes qui sont, à la fois, « du même côté » du savoir et de la vie que lui et déjà, aussi, « de l’autre côté ». Concrètement, l’Éducation populaire, à travers ses initiatives en matière d’accompagnement scolaire, peut jouer un rôle essentiel dans la lutte contre l’échec : sans se substituer aux parents et à l’École, ni les exonérer de leur travail, elle contribue à aider les enfants à rencontrer une interlocution essentielle dans leur développement et pour leurs apprentissages.



L’échec scolaire : peut-on espérer l’éradiquer et à quel coût ?

Éradiquer l’échec scolaire est une finalité consubstantielle de la scolarité obligatoire dans une société qui se veut démocratique. Y parvenir suppose un changement de mentalité radical car, dans l’imaginaire collectif, la réussite des uns n’a de valeur que grâce à l’existence de l’échec des autres : chacun veut que ses enfants réussissent, mais à condition que les autres y parviennent moins bien… Par ailleurs, il est trompeur de laisser croire que la disparition de l’échec scolaire se fera à coût constant : en effet, au fur et à mesure, dans tous les domaines, que l’on se rapproche de la performance maximale, l’énergie exigée est de plus en plus importante, les coûts de plus en plus élevés. Rien n’est plus difficile que de gagner le dixième de seconde qui permettra de battre le record du monde du 100 mètres. Et, en matière scolaire, la lutte contre le grand échec scolaire nécessite des mesures importantes portant aussi bien sur les conditions de vie, l’aide aux familles, la scolarisation, la pédagogie et la didactique… que sur l’accompagnement des enfants par un tissu social mobilisé pour renouer les solidarités intergénérationnelles. Ce coût, néanmoins, pourrait bien s’avérer, à la longue, beaucoup moins élevé que les coûts sociaux de cet échec scolaire.


Dernier ouvrage de P. Meirieu :

Philippe Meirieu et Pierre Frackowiak, L’éducation peut-elle être encore au cœur d’un projet de société ?, éd. De l'Aube, Paris 2008, 108 pages



Articles de Philippe Meirieu dans le Café pédagogique

Sur la réforme du lycée
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Jacques Nimier : Echec scolaire ?

Quand on parle d’échec scolaire on peut, me semble-t-il, se poser 3 questions :

Echec de qui ?

Echec pourquoi ?

Echec comment ?


Echec de qui ?

Des parents ? Ils avaient peut être un projet pour leur enfant et ils s’aperçoivent que ce projet devient impossible en raison de ses résultats scolaires. Ils auraient aimé qu’il prenne la succession du père ou de la mère, ou qu’il fasse mieux ou encore qu’il ressemble au cousin ou à la cousine… et c’est impossible visiblement ; c’est l’échec de leur désir. Désir présent, parfois, dès avant la naissance de l’enfant. Quant au désir de l’enfant… il est peut être bien incertain, bien contradictoire ; autrement dit il y a peut être un « conflit de désirs ». Ce qu’on appelle échec scolaire n’est-il que le signe de ce conflit ?


De l’enseignant ? Il aimerait, bien sûr, que tous ses élèves réussissent ; d’abord parce que c’est ce qu’on lui demande : les parents, la société, son chef d’établissement. Mais aussi parce que la réussite d’un élève est la confirmation pour l’enseignant qu’il est un « bon prof » et c’est légitimement agréable. Mais les choses ne sont pas toujours aussi simples ; le président de jury de bac que j’ai été a constaté que, parfois, le désir de la réussite des élèves n’est pas aussi évident qu’on pourrait le penser. Du reste, comment souhaiter la réussite d’un élève qui durant toute l’année vous en a fait baver !   L’enseignant a peut être en lui, à côté du désir de réussite, un désir d’échec de cet élève : « c’est bien fait ! », « il n’a que ce qu’il méritait !» . L’échec est à lire comme la présence d’un conflit interne à l’enseignant. Bien sûr cela paraît « gros » ! …et pourtant parfois on peut y penser quand on voit certains élèves réussir avec certains profs et pas avec d’autres !


De l’élève ? Bien sûr c’est à lui qu’on pense en premier ! Ce pauvre élève dont tout le monde, parents, profs, société souhaitent le succès et qui se met en échec ! Car c’est évidemment lui qui se met en échec puisque tous veulent son succès ! Lui qui a bien du mal à savoir ce qu’il désire…faire plaisir à ses parents, à son prof  mais aussi se « préserver » de ces désirs si envahissants qu’ils l’étouffent et semblent parfois l’annihiler. Son échec n’est-il pas alors le signe de ce conflit entre des désirs contradictoires ?


Echec pourquoi ?

Un « échec scolaire » n’est pas « une panne de machine » qu’il suffirait de « réparer » pour la remettre en route. Il a une raison d’être. Il sert à quelque chose. C’est la solution (peut être pas la meilleure) qu’a trouvée un élève devant un conflit, une situation qu’il n’arrive pas à gérer.

Situation, conflit… qui ne nous paraissent pas évidents, vus de l’extérieur ; d’autant moins évidents que ce conflit ou cette situation n’existent pas forcément dans la réalité mais dans son imaginaire. Ce garçon de première dont tout le monde souhaite la réussite en maths a bien du mal à répondre à ces désirs dans la mesure où, pour lui, les maths entraînent les gens vers la folie ! (voir : Les maths comme mauvais objet : http://www.pedagopsy.eu/page23.htm ). On peut comprendre que pour lui l’échec est une protection qu’il est, peut-être, bien hasardeux de vouloir changer !


Echec comment ?

Là chacun à sa recette : l’échec, pour certains, est le résultat de processus génétiques, pour d’autres il est la conséquence d’un retard mental, pour d’autres encore il dépend plutôt de            questions de didactiques, de méthodes pédagogiques, de bases qui manquent ….

La réalité, le plus souvent, est multiple; plusieurs facteurs sont présents et interagissent entre eux et il est bien utopique de chercher à en isoler un.

Alors n’y a-t-il rien à faire ? Ce serait dommageable pour tout le monde !  L’échec scolaire est avant tout  « l’échec d’une personne » avec laquelle il est important de parler. Et parler de quoi ? Mais aussi bien de ce que son échec représente pour nous tout en l’aidant à dire comment elle, dans sa singularité, le vit. C’est en l’écoutant, en dialoguant avec elle qu’on lui permettra de dénouer ses difficultés qu’elles soient d’ordre pédagogique, didactique ou autres ; c’est par l’écoute qu’on pourra l’accompagner dans son cheminement et non en lui répétant une fois de plus ce qui, déjà, a été dit en classe et entendu sans succès.

On voit que l’attitude à l’égard de l’échec est à l’opposé de celle qu’on peut avoir dans une classe. Dans ce dernier cas il s’agit pour l’enseignant de parler pour « transmettre des connaissances » , dans l’autre il s’agit d’écouter pour accompagner la réflexion d’un sujet. Ce renversement d’attitude n’est pas évident pour un enseignant. Ce qui peut expliquer bien des échecs des organisations de « soutiens », d’ « accompagnement »…  Passer d’une classe de 35 élèves à un groupe de 5 ou 6 sans changer de méthodologie, le risque est grand que l’enseignant se contente de répéter avec un élève en difficulté ce qu’il a dit et expliqué déjà à toute la classe : cela  restera très probablement sans effet pour cet élève. On en resterait alors à de l’enseignement individuel et non à l’accompagnement personnel de l’élève.  Au contraire si l’enseignant écoute l’élève, dans le cheminement qu’il accomplit avec lui, il sera peut-être question de pédagogie, de didactique, de bases à revoir ou de représentations imaginaires qu’il faudra travailler avec leurs spécificités et par le chemin emprunté par l’élève et à son rythme. Mais mettre en place une aide de cette nature, c’est mettre en place également une sérieuse formation à l’écoute pour les  enseignants?

           Jacques NIMIER

Difficultés, mais pas échec !
 
Il est important de partir de l'axiome d'éducabilité, à savoir, qu'à priori, toute personne est éducable, quelles que soient ses difficultés ou ses déficiences : c'est en même temps un acte de foi en la personne humaine.
L'apprentissage est un phénomène interne qu'on ne peut pas observer directement, il implique un changement de comportement au moment où la personne acquiert une nouvelle connaissance ou une nouvelle façon de faire.
L'évaluation de l'apprentissage résulte alors de la comparaison du comportement attendu par l'enseignant (comportement cible) et du résultat recueilli chez l'élève (performance). Le comportement cible fait bien souvent référence à l'âge ou à  la classe. Si bien qu'un élève en difficulté peut effectivement réaliser des apprentissages tout au long de sa scolarité sans jamais atteindre les niveaux attendus à son âge ou à son niveau de classe et ainsi ne jamais voir ses efforts valorisés !!!
Pour aider l'enfant en difficulté, il est d'abord nécessaire de croire en ses possibilités de réussite et dans nos capacités à le faire réussir. Il faut bien cerner les difficultés, non en termes génériques, mais dans le détail des étapes d'acquisition. Il faut découvrir ses points forts, les potentialités (points d'appui) sur lesquelles il sera possible d'appuyer nos stratégies et mesurer les déficiences pour éviter les échecs.
Il faut décider les objectifs à atteindre, même si les besoins sont considérables, restons modestes (pas plus de deux objectifs à la fois !!). Dans les moyens à choisir, il n'y a pas de pédagogies spécifiques à l'élève en difficulté ou handicapé, mais l'enseignant de ces enfants doit constamment choisir parmi celles qui sont à sa disposition, celles qui relèvent de sa compétence (faire appel à des aides extérieurs si nécessaire) en fonction des besoins et des capacités mobilisables de l'enfant.
« La résolution des problèmes est étroitement liée à la créativité, parce que le fait de résoudre un problème exige d'être d'abord et avant tout créatif, mais aussi de rejeter le mythe de l'expert » (Réjean HUOT). Si l'enseignant peut transmettre le plaisir de penser comme un but à atteindre dans une attitude de partage, si l'enfant a le temps de « se penser » et si l'enfant découvre un projet qui l'intéresse et qui le motive, il ne sera plus en échec scolaire, mais simplement parfois en difficulté.

Mme Cleyet-Marel A
Professeur des écoles spécialisé
Fait à Gignac le 9 septembre 2008