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François Dubet :"Le cancre poétique a disparu de l'univers scolaire"

A l’heure de la finale mondiale de rugby,  François Dubet donnait conférence et la salle était comble. La concurrence était rude mais la déception n’était pas de mise. En deux heures le sociologue a dressé un portrait détonant de l’école telle qu’elle ne peut plus être et telle qu’elle pourrait devenir.

 

L’école de Jules Ferry est morte, vive l’école

Pour François Dubet, nous arrivons au bout d’un cycle, celui de Jules Ferry. La massification du système scolaire s’est faite sans changer l’école. Lorsque l’école primaire n’est plus devenue la dernière étape, aucun changement n’a été opéré sur les programmes, la formation, la pédagogie, alors que plus d’élèves étaient accueillis.

Dans le portrait d’une école qui va mal, les inégalités scolaires sont pointées en premier sans qu’elles puissent être corrélées avec les inégalités sociales. Au Québec les inégalités scolaires sont plus faibles que les inégalités sociales. En France, on constate le contraire. Il y a beaucoup d’élèves trop faibles et, contrairement à l’idée reçue, nos élites sont pas si bonnes que cela comparées à d’autres pays. La massification a augmenté le niveau scolaire sauf que depuis 1996,.le niveau ne monte plus, il a tendance a baisser. Le plaisir d’apprendre devient une donnée rare. Les élèves ont peur, sont stressés, les familles aussi. Les enseignants vont mal, la carrière n’attire plus en témoigne le peu d’écho des dernières campagnes de recrutement. La perte de confiance dans l’école n’apparait pas dans les sondages mais se lit dans les pratiques avec par exemple une montée en puissance de l’enseignement privé. Dans certains quartiers, l’école est plus détestée que la police et le conseiller d’orientation est le personnage le plus haï.

Malgré ce sombre constat, François Dubet est optimiste. La campagne électorale se jouera sur l’école. L’histoire scolaire est en train de basculer. Il ya dix ans, le sentiment d’une école française performante était partagé, aujourd’hui le malaise est reconnu. La réaction nostalgique, le rêve d’une école à la Jules Ferry est dans ce contexte tout à fait normal. Une partie de l’opinion scolaire est réactionnaire, s’invente une histoire. « Réapprenons à lire, à compter comme autrefois, foutons des claques aux gamins comme autrefois », pour François Dubet, le propos fait fausse route mais trouve un écho dans une tradition française de conservatisme. Il ya cinquante ans, ne pas avoir de certificat d’études n’affectait pas l’avenir professionnel. Aujourd’hui un enfant qui échoue à l’école vit une tragédie, il est socialement perdu. « Le cancre poétique a disparu de l’univers scolaire ». « Il faut avoir le courage de dire que l’école républicaine a été une école formidable qui a construit la république. Mais arrêtons de nous laisser berner par Brighelli, Finkelkraut qui rêvent, disent des absurdités. »

Cachez ces inégalités que je ne saurai voir

Les inégalités scolaires continuent de progresser alors que des moyens ont été mis pour les amoindrir. Elles s’accroissent tout au long de la scolarité, après chaque étape sélective. « Au bout de 5 étapes sélectives, l’écart passe de 1,3 à 10 entre enfants de milieu populaire et bourgeois » précise François Dubet. La suppression de la carte scolaire a accentué les écarts même si auparavant un tiers des parents trichaient. « Chacun de nous est pour l’égalité sauf pour nos gosses. ». Mais remettre la carte scolaire serait dire aux pauvres qu’ils n’ont plus de chance de s’en sortir Le rapport à l’école a changé. Il est devenu un rapport de consommation. François Dubet cite l’exemple du collège Clisthène qui accueillait au départ des élèves de milieu populaire. Au vu des résultats obtenus au Brevet, la classe bourgeoise fait des pieds et des mains pour faire entrer leurs enfants à Clisthène. Tout le monde sait que les écoles ne sont plus équivalentes. « Il faut prendre en compte cette réalité au lieu de faire le dimanche un discours égalitaire et le lundi de mettre ses enfants dans les meilleures filières. »

L’excellence pour tous est un oxymore. La création du collège unique s’est faite dans l’idée d’un prolongement de l’école élémentaire. Tout le monde ira au collège comme tout le monde auparavant allait à l’école primaire. Le modèle réservé jusque là aux seuls élèves, environ 10%, qui allaient en second cycle est strictement transposé. Et pour palier aux difficultés, des sections spécialisées ont été mises en place. Un processus de tri s’est mis en place. Le collège est le premier cycle du lycée, le lycée, le premier cycle des écoles prépas, le primaire premier cycle du collège, la maternelle le 1er cycle du primaire. Il faudrait arrêter de noter pour stopper le processus de tri. Même s’il n’est pas satisfaisant, il faudrait permettre au moins l’acquisition du socle commun. Attendre de tous les gamins un niveau élevé en expliquant aux élèves les plus faibles qu’ils sont nuls n’est pas satisfaisant. « La justice d’une école ne se mesure pas au nombre d’enfants pauvres qui entrent à Normale Sup mais au devenir des enfants pauvres à la sortie de l’école » nous dit François Dubet.

Le crédo de la réussite

L’Ecole de Jules Ferry a été construite sur le modèle de l’Eglise, une école dans laquelle l’autorité des maitres n’est pas l’autorité de la personne mais de la fonction ; la vertu du maître d »école est implicitement admise. L’instituteur est à l’abri des demandes sociales« Nous avons fait une école sanctuaire. Il n’y a pas de parents, d’argent ». Pour l’école de Jules Ferry, le monde c’est le pêché où l’argent et le sexe sont bannis. Les filles sont d’un côté, les garçons de l’autre. L’élève est sacré et l’enfant est profane avec une opposition entre l’âme et le corps. L’économie reste à la porte. Le modèle possède son aspect sombre : « dans les quatre murs d’une classe, on peut mettre des claques, un bonnet d’âne. »

Ce monde là n’existe plus. il s’est défait sous l’effet de la massification, il n’y a plus de sanctuaire scolaire. « Le maitre il est vous et moi, c’est lui qui fabrique sa propre autorité » nous dit François Dubet. Les parents interviennent de plus en plus. Les maitres ne sont plus les seuls détenteurs de la culture. Les enfants ont accès à d’autres sources de connaissances. Il est impossible désormais de revenir au modèle sanctuaire.

Quand le cadre institutionnel se désagrège, les individus se retrouvent au devant de la scène. La motivation pour le métier a changé, la motivation à aller à l’école aussi, liée souvent à l’obtention d’un diplôme qui permettre de vivre. Les enseignants ont le sentiment à la fois que les inégalités claquent à la figure mais que l’organisation même du système symbolique se défait. « Le métier est épuisant parce qu’on est plus dans le « sortez les cahiers ». Le pilotage se fait de moins en moins dans la norme et de plus en plus par les résultats. Ce pilotage privilégie le marché scolaire et renforce le risque d’entrer dans une logique QCM où les moyens de pilotage deviennent l’outil pédagogique. Les réformes s’amoncellent sans que le cœur du problème soit attaqué. Les politiques scolaires sont devenues illisibles pour les enseignants, les parents.

Inventer l’école pour tous

François Dubet poursuit son portrait sombre de l’école avec un focus sur les élèves en échec scolaire. Les « dys » se multiplient, pour chaque problème un « dys » constate t’il. Il existe un risque réel d’hyperspécialisation pour répondre à des problèmes ciblés. Depuis la réforme Darcos, les élèves en difficulté font du rattrapage tandis que les autres s’amusent. Le prof fait classe à un tiers des élèves. En Rhône-Alpes, ce sont 100 000 jeunes qui ont disparu des statistiques, sortis de l’école sans diplôme et sans laisser de traces. Le modèle de l’égalité des chances méritocratiques est selon François Dubet un modèle à combattre. Certes, la position sociale doit venir de son propre parcours et pas d’un héritage mais c’est un leurre de croire que l’origine sociale s’efface le temps de l’école. Pire encore, le modèle produit des effets pervers. Il responsabilise l’élève dans sa réussite comme de son échec. La violence scolaire vient de là aussi. Avec la méritocratie il n’y a pas de devoirs envers les vaincus. Alors, que deviennent-ils ? La priorité devrait être donnée aux vaincus, aux élèves les plus faibles.

François Dubet appelle à la réforme, une réforme résolue pour construire une école meilleure. Les enseignants apprendraient leur métier avec une formation initiale solide. L’école élémentaire et le collège seraient couplés afin que ce dernier ne soit plus fait uniquement pour de futurs Bac S. L’établissement existerait au-delà de l’échelon administratif avec une réelle communauté éducative. Les enseignants y seraient présents bien au-delà de leurs heures de cours.

L’école d’aujourd’hui vue par François Dubet est définitivement celle du passé. Celle du futur reste à construire. Mais quelque soit le temps, le regard vif du sociologue ouvre des pistes pour un débat tout à fait d’actualité à la veille des présidentielles.

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