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Echec scolaire : la culture contre l'évitement

Serge Boimare pose LA question « Faut-il faire une révolution pédagogique pour réduire l’échec scolaire ? » Et sa réponse est oui. Tout au long de sa carrière d'enseignant et de directeur de CMPP, il a rencontré des enfants, des adolescents normalement intelligents, normalement curieux mais en échec scolaire. « 15% des élèves sortent de l’école sans avoir acquis les savoirs de base, 15% d’intouchables par nos propositions pédagogiques.

Repérer les stratégies d’évitement

Les difficultés d’apprentissage sont la plupart du temps analysées en termes de déficits alors que deux fois sur trois la difficulté d’apprentissage sévère est liée à un fonctionnement intellectuel particulier; une stratégie d’évitement de pensée. Deux questions se posent. Comment faire la différence entre ceux qui sont dans cet évitement de pensée et ceux qui ont des manques à combler ? Quelle pédagogie pour relancer cette capacité à penser alors que souvent ce sont des activités de compensation, de rattrapage qui sont proposées.

Serge Boimare détermine plusieurs points de repère. L’enfant qui emprunte la stratégie de l’évitement déclenche des idées d’autodévalorisation au moment de la construction intellectuelle. Il développe une forme d’inquiétude, de malaise marqué par des sentiments parasites, des émotions excessives. Il cherche à éviter le temps fort de l’apprentissage, le temps de la construction. Un relais est passé au corps : l’enfant va se mettre à bouger, faire tomber le matériel. Il peut aussi manifester des symptômes psychosomatiques : maux de tête, crampes. L’enfant ou l’ado en stratégie d’évitement ont beaucoup de mal à se rattacher à la règle. Il est tourné vers lui ; il réagit aux ressorts les plus archaïques de la motivation. Son langage a du mal à passer le stade argumentaire. Il existe une réelle difficulté à utiliser le langage pour communiquer avec les autres.

Les causes de cet évitement tiennent souvent au manque d’entrainement à l’épreuve de la frustration. Les interactions langagières précoces ont leur importance en apprenant à être dans le hier, le demain et pas seulement dans le ici et maintenant. Il existe quatre contraintes de l’apprentissage : reconnaitre ses manques, être capable d’attendre, respecter des règles, être capable d’entrer dans un temps de solitude. Pour apprendre, il faut accepter ces contraintes

Ces élèves construisent de stratégies particulières pour apprendre. Le conformisme de pensée se retrouve chez les enfants qui aiment faire et refaire ce qu’ils savent faire. Ils vont le moins possible dans la recherche, l’investigation. Le conformisme de pensée amène une inhibition du potentiel intellectuel. D’autres élèves réagissent rapidement, par association de pensées. Ils vont vite mais ont du mal à entrer dans l’apprentissage technique, de la lecture notamment. Une troisième stratégie consiste à développer une forme de rigidité mentale. Elle s’accompagne souvent de problèmes de comportement chez des adolescents notamment qui considèrent l’entrée dans le monde de l’apprentissage comme un affaiblissement voire une féminisation. Ici, c’est la peur de l’entrée dans le monde des idées considérée comme une perte de pouvoir qui prédomine.

Miser sur la culture et le groupe

Pour remettre en route la capacité de penser de ces élèves, l’enseignant doit considérer leurs besoins fondamentaux être intéressés, être nourris ; trouver du sens dans les apprentissages, appartenir au groupe. En premier lieu, il faut travailler la cohésion groupale, qui bénéficie à tous les élèves. La pédagogie différenciée vient après. L’approche collective permet aussi un entraînement à l’expression personnelle, au débat. Il faut aussi travailler dans la durée. On ne permettra jamais à ceux qui ont des difficultés de s’en sortir si on recherche des résultats immédiats.

Pour réussir cette remobilisation des élèves en stratégie d’évitement, Serge Boimare mise sur la culture et le langage. Il propose de consacrer chaque jour une heure à l’apprentissage humaniste avec un apport culturel qui engage un travail d’expression. L’enseignant commence par la lecture à haute voix favorisant un travail de restauration de reprise de l’écoute pour ceux qui ont des difficultés à écouter dans un groupe. Un temps d’entrainement à l’expression et au débat vient ensuite, moment riche pour structurer la pensée. Là aussi, la patience est de mise : il faut sans doute une année pour constater que la pensée se structure avec le langage. Enfin, un passage à l’écrit progressif y compris par le dessin clôture la séquence. L’intérêt pour les apprentissages est renforcé. Tout le monde participe et un patrimoine commun est construit par le groupe.

Pour l’enseignant, être confronté aux difficultés d’apprentissage sévère n’est pas simple. Les enseignants souffrent de cette difficulté qui les pousse à déclencher en réponse une forme de culpabilité ou une forme d’agressivité. La stratégie d’évitement est vécue comme une contestation du savoir La culture est quelque chose de très stimulant pour les élèves en difficulté, pour tous les enfants. Elle protège aussi les enseignants; l’évitement de penser est contagieux. Ce type de travail s’engage en équipe. Le travail d’expérimentation, de réflexion commune produit des effets sur les enseignants et redonne plaisir à travailler. La culture et la co-réflexion sont deux éléments importants pour maintenir notre plaisir à enseigner.

L’heure d’apport culturel ne s’oppose pas au cadre académique. Son contenu peut être trouvé dans les programmes. Ce travail ne se fait pas dans la contestation, la marge. Il est très facile de faire des parents des alliés : les enfants vont avec plaisir à l’école, et ramène des éléments, des questions à la maison.

La révolution proposée par Serge Boimare n’en est pas une si l’on se contente de considérer la solution pédagogique énoncée. Si l’on s’attache plus largement à regarder ce qu’elle implique elle en est une : prendre en compte les difficultés d’apprentissage les plus profondes pour fonder une pédagogie incluant tous les élèves. « L’école ne sait pas s’adapter à ceux qui n’ont pas ces compétences psychiques » nous dit Serge Boimare. Pour qu’elle le fasse, le temps et la mise entre parenthèses des évaluations s’imposent. Miser sur le groupe et laisser les savoirs prendre racine dans le plaisir d’apprendre, utiliser la culture comme clé de déverrouillage, trois propositions pour une révolution en douceur.

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