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Enfant de migrant, enfant tout simplement

L’enfant de migrant est avant tout un enfant. Pour comprendre ses particularités, établir une dialogue avec sa famille, François Giraud, psychologue clinicien à l’hôpital Avicenne de Bobigny propose une approche transculturelle. A partir du travail qu’il réalise depuis plus de vingt ans, il expose comment ôter de notre regard les à priori qui brouillent nos représentations et notre compréhension de ce qui fait souffrir enfants et parents de migrants.

Etre migrant

L’histoire des migrations dans le 93 épouse l’histoire avec un grand H : africains du nord, maliens de Kayes, sénégalais, tamouls se succèdent et se rejoignent dans ce département proche de la capitale. Tous nous renvoient ce sentiment d’étrangeté que la langue, les mots ne suffisent pas à amoindrir, affectés par la façon dont chacun les utilise, selon sa culture. Dans l’approche transculturelle, il s’agit d’abord d’écarter les à priori liés à la caractérisation extrême des cultures, cette façon de résumer à une caractéristique une population venue d’ailleurs. Il existe une universalité des psychismes. Chaque individu va selon sa culture fabriquer cette universalité psychique, dans une écologie intellectuelle, cognitive. L’approche pluridisciplinaire permet de porter attention aux conditions culturelles dans lesquels les enfants se trouvent.

Qu’est ce qu’être un enfant de migrant ? L’interrogation est vaste. L’enfant migrant existe depuis longtemps. Il était breton ou limousin du temps de l’exode rural. La migration est à la fois un mouvement de séparation (émigration) et d’agrégation (immigration). C’est un mouvement d’arrachement et sentiment de perte que l’on peut ressentir douloureusement mais qui peut ne pas être ressenti tout de suite. On peut émigrer seul comme les maliens de Kayes, région où un enfant est désigné dans une famille pour partir gagner de l’argent. On peut aussi émigrer en famille ou rejoindre une communauté. C’est un mouvement d’acculturation, de découverte. En quittant un pays, on vient dans un autre, on devient étranger, doublement étranger, dans son pays d’origine et dans son pays de destination.

Traumatismes et vulnérabilités

Les traumatismes migratoires sont réels. Le sentiment d’étrangeté peut parfois être agréable lié à la nouveauté, à la découverte. Mais tous les migrants ressentent une perte des évidences. Comment fait-on la cuisine par exemple. Pour les réfugiés, les traumatismes sont liés aussi à la perte du statut social, perte d’un métier que l’on ne peut plus exercer, d’un rang, d’une condition. S’ajoutent, la nécessité de prouver que dans son pays on se trouve dans une situation dangereuse, la situation d’attente dans un centre, le récit du drame qui a poussé à migrer. Il existe aussi des traumatismes psychiques liés à des guerres, la torture, la répression.

Les enfants de migrants ont des périodes de vulnérabilité : lors des tous premiers apprentissages, de l’entrée à la maternelle et de l’adolescence. Ce sont des moments de construction de soi et de passages qui rappellent le mouvement de la migration. Dès la petite enfance, les parents s’interrogent : quelle langue je vais parler à mon enfant. La séparation de la vie en compartiments, la vie à l’école, la vie à la maison, la vie dans le quartier est un risque. Des enfants de migrants qui ne parlent pas à l’école peuvent très bien parler à la maison. Le lien entre la famille et l’école s’avère précieux, la compréhension du contexte familial également.

Raisonner les différences

La culture structure le contexte. Tous les hommes sont semblables donc différents. Un enfant de migrant est un enfant comme les autres. Tous les humains ont les mêmes capacités cognitives mais qui se développent dans des contextes différents ce qui génère des besoins différents et potentialités en jachère.  Chaque peuple résout de façon spécifique des problèmes universels. La migration arrache les gens à leur culture et leur en apporte une autre.

L’école laïque est confrontée à des pratiques religieuses . Pour un enfant venant d’une culture marquée par la pratique religieuse, l’approche de laïcité sera difficile. Le raisonnement analogique doit nous aider à comprendre une culture. Un bon musulman signifie un homme accompli dans un pays musulman mais pas dans une vision laïque.

Ce raisonnement est utile aussi pour envisager la question du bilinguisme. Parfois la langue qui va se parler à la maison va être compliquée. Les langues se mélangent et les univers linguistiques sont parfois assez complexes dans les familles. La langue maternelle est la langue du cœur, des sentiments, la langue de l’échange dans la famille. L’apprentissage d’une autre langue favorise l’acquisition d’une gymnastique linguistique. Dans l’échange entre les familles et l’école, la traduction est un mouvement qui va aider à la négociation entre deux univers. Il y aura toujours une distance mais elle sera réduite, du chemin sera parcouru les uns vers les autres.

L’approche transculturelle essaie de trouver des ponts entre les cultures. Toutes les sociétés ont des écoles, des instruments de transmission. Les méthodes et les contextes sont différents. Ecole coranique, école missionnaire, école pour adultes, les représentations sont marquées par le contexte d’origine. Lorsqu’ils arrivent en France, les parents vont souvent à l’école pour apprendre la langue. Les enfants se révèlent parfois plus alertes pour apprendre, amenant par ce fait une expérience d’inversion des générations.

Ouvrir nos regards

Les enfants de migrants ont des difficultés spécifiques mais n’ont pas beaucoup plus de difficultés que les autres enfants issus des mêmes classes sociales. L’école est le cœur du projet migratoire,. Il existe des difficultés mais surmonter ces difficultés c’est progresser. Or, migrer c’est vouloir progresser. Les parents de migrants attachent beaucoup d’importance à la réussite scolaire mais ne comprennent pas toujours son fonctionnement. L’échec scolaire pour les migrants est plus qu’un échec, c’est une désillusion par rapport au projet migratoire.

Travailler avec l’environnement familial de l’enfant est complexe. Il existe mille et une formes de familles entre polygamie et famille recomposée. Il faut trouver le bon interlocuteur sans fragiliser la parentalité. Le rôle des grands frères et des grandes sœurs est important : ils connaissent le système scolaire et peuvent guider les plus jeunes. Il faut toutefois maintenir l’autorité des parents. et confirmer la parentalité. La migration bouleverse les équilibres familiaux, les relations hommes/femmes notamment. L’observation des migrants nous interroge aussi sur nos propres modèles. Dans un village africain, il y a des papas et des mamans, ce sont les adultes, l’enfant est élevé par l’ensemble de la communauté. Face à la solitude éducative que ressentent un certain nombre de parents, le modèle n’est il pas à considérer ? De même, la polygamie ne renvoie t’elle pas à des façons de fonctionner moins affirmées dans les familles où au père et à la mère s’ajoutent des relations extra conjugales ? Enfin, le phénomène de religiosité n’est il pas une rigidification ponctuelle qui sera vite effacée par le changement induit par la migration ?

Car, François Giraud le précise, migrer c’est changer. Etre enfant de migrant, ce sont des potentialités, la capacité de changer comme l’on fait les parents. L’approche transculturelle qu’il propose nous apprend à ouvrir notre regard pour comprendre le contexte de l’autre, ouvrir un dialogue qui ne fait plus de l’enfant de migrant un étranger mais réellement un enfant comme les autres.

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