Adresse Email :
Mot de Passe :
Mot de passe oublié? Pas encore inscrit?
 
Forum2012 > Messages > Primo-arrivants : « tout repose sur l'enseignant ».
Primo-arrivants : « tout repose sur l'enseignant ».

A Vaulx en Velin, « 3ème commune la plus pauvre de France », précise Catherine Guichardaz, professeur des écoles supplémentée au Collège Henri Barbusse dans le cadre du dispositif ECLAIR, la Classe d'accueil de Primo-arrivants non francophones travaille « ensemble pour la terre » sur les planètes et la météo. A partir du site Météo des écoles, les questions sur les saisons, le climat, la nature ont inspiré la mise en place d'un jardin pédagogique, d'un planétarium ou encore d'une station météo. Un travail considérable pour ces enfants venus de partout, de langues différentes, en situation sociale souvent précaire, et pour qui l'école doit accomplir un processus d'intégration quasiment impossible en quelques mois.

Chargée de la gestion de la classe au quotidien, Hakima Bennaïr, enseignante de lettres, s'appuie sur sa riche culture linguistique (anglais, espagnol, arabe, russe) et sa formation de docteur en littérature francophone, complétée d'une certification en français langue seconde, pour accueillir et aider à l'intégration d'élèves non-francophones. Son souci premier : mettre en valeur la langue et la culture de chacun. Une carte du monde avec les pays et les langues des élèves illustre l'étendue de son public : ils ont entre 12 et 16 ans et disposent de 3 à 9 mois pour s'adapter à une scolarité « classique ». Signe révélateur : son autre classe, une 5ème « ordinaire » dont les élèves sont majoritairement issus de l'immigration, refuse de se mêler aux CLA. Fragilité d'une intégration que l'institution peine tant à conforter...

« Beaucoup viennent d'Europe de l'Est, précise-t-elle. Leurs cultures sont marquées par une oblitération de l'histoire récente : l'ère soviétique est frappée d'oubli collectif. Les disparités anciennes se révèlent à vif après cette longue période d'étouffement forcé, et les rivalités ethniques, religieuses, idéologiques, ressurgissent avec une violence inouïe. Le retour à la langue d'origine, après l'abandon du russe officiel, s'accompagne aussi d'une grande violence. Les dispositifs d'accueil ne prennent pas en compte la complexité des situations de ces élèves, et tout repose sur l'enseignant : le rapport à l'école, à la culture, à la famille, les questions sociales, médicales, psychologiques... La charge est épuisante. Il faudrait une aide plus générale autour de ces familles et une vraie reconnaissance du travail spécifique mené dans les CLA. »

Hakima Bennaïr évoque le rapport de Jacques Berque de 1982 sur l'Immigration à l'école de la République : « les constats étaient faits, regrette-t-elle. Le public a changé, l'immigration a évolué, mais quand les constats seront-ils suivis d'effets ? » Ces jeunes gens, rappelle-t-elle, sont notre jeunesse : il ne s'agit pas de les intégrer seulement, il faut « se les approprier et les aimer, pour faire avec eux notre société de demain ». D'origine algérienne, née en France, l'enseignante s'est interrogée tout au long de son parcours universitaire sur son passé familial. Elle en retire une approche positive de l'histoire collective, de l'immigration « et même, en un sens, de la colonisation » précise-t-elle, convaincue que le partage des cultures demande de dépasser les amertumes et le rejet aveugle du passé. Ne pas occulter l'histoire commune, pas plus que l'éloignement géographique et culturel des origines, ce sont les conditions de vrais projets de vie et d'intégration.

Ce qui manque aux CLA pour y réussir, selon Hakima ? Une réelle politique d'intégration, qui reconnaisse la dignité égale de ces élèves et le travail réalisé avec eux, qui leur accorde davantage de moyens matériels parce qu'ils manquent de tout, qui fédère et rassemble les enseignants spécialisés dans cet enseignement spécifique ; la création de classes, plutôt qu'un simple dispositif annexe, dans lesquelles les élèves puissent prendre le temps, au moins une année scolaire, parfois deux, pour se poser et construire les rudiments de leur acculturation avec un peu de sérénité ; une politique territoriale, enfin, qui permette de tisser des liens avec les associations locales et d'entourer les familles.

Un peu de temps, de sécurité, un entourage aidant, des conditions qui semblent élémentaires pour accompagner ces jeunes gens, dont les familles sont parfois laminées et qui ont déjà traversé de très sévères épreuves.

Jeanne-Claire Fumet

Commentaires

Aucun commentaire sur ce message.