Formation à l’entrepreneuriat : Un divorce à la française ?
"Notre premier devoir, c’est donc de stimuler l’esprit d’entreprise, l’initiative, dans tous les domaines. C’est d’abord le rôle de l’école. (…) Il est donc prévu, de la sixième à la terminale, un programme sur l’entreprenariat". Cinq ans après cette promesse de François Hollande force est de constater que l'éducation à l'entrepreneuriat piétine dans le système éducatif français. Dans la Revue française en sciences sociales n°140, Sylvain Starck , laboratoire interuniversitaire des sciences de l'éducation, analyse ce relatif échec. Il montre le rôle de différents acteurs dans sa timide entrée dans l'enseignement et les tentatives pour dépolitiser ce qui est apparu dès le début comme une question très politique.
Une éducation soutenue internationalement
Le développement de l'éducation à l'entrepreneuriat (EE) est fortement encouragé par les instances internationales au nom de la croissance économique. Cet enseignement est déjà présent dans de nombreux pays.
S Starck rappelle que "le plan d’action « Entrepreneuriat 2020 » porté par la Commission européenne identifie un premier levier qui vise à « promouvoir l’éducation et la formation à l’entrepreneuriat afin de soutenir la croissance et la création d’entreprises ». Il s’agit de développer l’esprit d’initiative et d’entreprise, l’une des huit compétences clés du socle européen pour l’éducation et la formation tout au long de la vie qui témoigne de la capacité des individus à « transformer des idées créatives en acte entrepreneurial »".
Sous cet angle , remarque S Starck, " le propos, en énonçant des « évidences », entérine le fait que l’école participe à la production de richesse à condition de participer au développement entrepreneurial, négligeant ainsi les autres formes de valeurs mises en jeu dans l’espace éducatif. Il laisse dans l’ombre la construction des conditions institutionnelles favorables à une économie entrepreneuriale, travail de construction auquel participe l’école... Une EE ne peut ainsi éviter de prendre en charge des questions politiques essentielles – et ce, à tous les niveaux d’action – au risque de s’apparenter à un processus d’acculturation sans réelle distance critique". On le verra , cette question de la politisation va s'imposer comme le noeud de la question.
Mais qui échoue en France
Ce que montre S Starck c'est qu'en France , si l'EE a trouvé sa place dans le supérieur, il n'en est rien dans le secondaire. " Dans le secondaire, l’EE se trouve prise dans des formes plus obliques, les euphémismes « esprit d’entreprendre » ou « capacité à entreprendre » marquant l’usage officiel... Dans le nouveau socle de connaissances, de compétences et de culture, l’EE se trouve essentiellement prise en charge dans le domaine 3, associé à la formation de la personne et du citoyen. Sous la rubrique « Responsabilité, sens de l’engagement et de l’initiative », il est indiqué que « l’élève sait prendre des initiatives, entreprendre et mettre en œuvre des projets... En France, celle-ci ne fait donc toujours pas l’objet d’un programme d’enseignement spécifique et obligatoire, en dépit de la prise de position publique du Président de la République".
Même dans le Parcours Avenir les textes présentent l'EE de façon très large par exemple "l’acquisition de connaissances et des compétences à entreprendre, au sens notamment de découvrir, choisir, créer, agir et mettre en œuvre". L'EE se confond avec l'engagement, un mot qui vient pourtant d'autres horizons...
Résistance enseignante
Comment expliquer cet écart ? S Starck fixe plusieurs niveaux de résistance. D'abord , " les écarts entre une volonté portée au plus haut niveau de l’état, dans la lignée des incitations supranationales, et la politique effective en matière d’EE, révèlent des jeux d’acteurs, des compromis, des résistances, des glissements de sens opérés au niveau des décideurs centraux". Mais il souligne aussi que " le milieu enseignant veille à son indépendance vis-à-vis des exigences du monde professionnel et des pressions que celui-ci peut exercer sur les finalités et les contenus d’enseignement".
Pour lui, " il est possible de lire le développement d’une formation à l’esprit d’entreprise laissée à l’initiative des enseignants ou d’équipes pédagogiques, voire d’établissements, comme une manière de progressivement sensibiliser le monde enseignant par les pairs, et plus largement le corps social. à terme, il s’agit de susciter l’adhésion selon une logique horizontale, la logique verticale de type « top-down » étant jugée, pour l’heure, politiquement trop risquée".
S Starck décrit très bien cette situation à partir de l'exemple des Hauts de France et notamment du Nord Pas de Calais qui a fait beaucoup d'efforts pour faire netrer l'EE dans les établissements depuis 2006. Dans cette région l'EE est nettement plus pilotée qu'ailleurs.
Des stratégies de contournement
Mais pour entrer dans les établissements l'EE avance masqué derrière des intermédiaires associatifs et en veillant à une mutation lexicale. S Starck interroge un des pilotes académiques de l'EE. "La « stratégie » qu’il a contribué à élaborer face aux différentes instances syndicales, aux chefs d’établissements, aux corps d’inspection, est de proscrire le recours au mot « entreprise », pour systématiquement parler d’esprit d’entreprendre : « S’entreprendre pour soi et ensuite pour les autres avec son intégration possible et future dans le monde économique », rendant cette issue accessoire et conjoncturelle", écrit S Stark. "Ceci permet alors de faire « sauter des verrous », et notamment d’avoir une écoute bienveillante de milieux syndicaux « durs ». Cette euphémisation du lexique – en écho à la stratégie nationale – se poursuit lorsque le second pilote précise que l’EE revient, dans le fond, à sensibiliser, à « donner envie », laissant l’interlocuteur compléter implicitement le propos. Le flou entretenu autorise un adressage « positif » à une grande diversité de partenaires".
" Sur le terrain local, il n’existe donc pas un discours unique qui encadre l’EE, mais une multiplicité de discours développés de manière stratégique", continue t-il. "Les instances de pilotage qui regroupent, selon des configurations variées, acteurs des établissements, représentants du Rectorat, du Conseil général et du monde de l’entreprise, engagent un travail incessant de reconfiguration du lexique, selon des modalités d’essai-erreur". Les mini entreprises et l'association Entreprendre pour apprendre apparaissent comme les principaux leviers pour faire entrer l'esprit d'entreprendre dans les établissements.
S Stark tire deux conclusions de son étude. L apremière c'est que l'on ne peut pas parler en France d'une EE. " Seule une vision inattentive aux détails peut imaginer une éducation à l’entrepreneuriat.. Il est bien plus juste de parler d’une pluralité d’EE, lorsque l’analyse se montre attentive aux configurations singulières mises en œuvre sur les terrains".
La seconde c'est que malgré tous les efforts pour dépolitiser l'EE, la question politique demeure centrale. C'est sur ce terrain là que se lisent les nouvelles offensives gouvernementales :l'apprentissage confié au pilotage du Medef et demain peut-être l'enseignement professionnel.
François Jarraud
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Par fjarraud , le mercredi 21 février 2018.