APMEP : En finir avec le tri des élèves par les maths
Alors que se met en place un nouveau ministre de l'éducation nationale, quelles sont les attentes des enseignants ? Les syndicats ne sont pas les seuls à les porter. Les associations professionnelles sont aussi représentatives des espoirs et des objectifs des enseignants. Nous entreprenons de les interroger en commençant par les plus importantes. Regroupés dans l'APMEP, les professeurs de mathématiques ont une place particulière dans le système éducatif : ce sont eux qui décident pour beaucoup de l'avenir des élèves. L'APMEP remet en question cette place singulière des maths et justifie l'urgence de nouveaux programmes et de nouveaux modes d'évaluation. Bernard Egger, président de l'APMEP, explique le projet et les attentes de son association.
Une nouvelle administration se met en place. Quelles sont les attentes de l'APMEP ?
Notre première attente c'est que ce qui a été mis en place par V. Peillon, en particulier le travail du Conseil supérieur des programmes (CSP) continue. Pour nous il faut repenser les programmes et l'évaluation des élèves. Le CSP va dans le bon sens. On souhaite que B. Hamon permette à cette instance de continuer dans la même direction. Notre seconde attente c'est le maintien de la réforme des rythmes scolaires. On sait qu'elle pose problème aux municipalités. Mais on espère qu'il n'y aura pas de renoncement sur ce point.
Pourquoi ?
Parce que les rythmes tels qu'ils sont pensés dans cette réforme, avec un vrai accompagnement permettent de ne pas laisser l'enfant seul face à un travail personnel chez lui. Il y a une prise en compte de l'enfant dans un cadre moins scolaire qui nous semble intéressant. Evidemment ce que je décris est un idéal. Mais la réforme va dans le bons sens. L'ancien système a des défauts par exemple pour la remédiation. Dans une école très concentrée en jours, la remédiation est souvent mise dans un moment de détente, par exemple entre midi et 14 h. On punit donc des élèves en difficulté en les faisant travailler sur des moments de détente. Avec plus de jours de classe on peut mieux répondre aux besoins réels d'apprentissage.
Il faut aussi revoir l'évaluation des élèves ?
Au niveau école et collège, on est pour la suppression des notes. Salman Khan dit que les contrôles évaluent quelque chose en fin d'apprentissage à un moment où l'enseignant a peu de moyens de corriger. Il faut une évaluation différente, un diagnostic plus régulier qui permette au professeur de corriger l'élève au fur et à mesure. Mais cela ne peut pas être fait dans le cadre des programmes actuels. Ils sont faits pour être faisables que par les meilleurs élèves. Pas par méchanceté mais parce qu'on est dans l'idée que la France doit avoir une élite. Du coup ces programmes sont trop difficiles pour la moyenne des élèves. C'est ce qui explique l'hétérogénéité que l'on retrouve tout au long du système éducatif, même au lycée après qu'on ait écarté une partie des élèves, même en prépa. Il faut repenser cela, c'est à dire l'ensemble évaluation , programmes et pratiques pédagogiques.
En fait vous dites que les maths, qui aujourd'hui président au tri des élèves, souhaitent changer de rôle ?
Les professeurs de maths ne sont pas pour que leur discipline trie. Cette position a été instituée dans les années 1970. On pensait alors que, à la différence des humanités, les maths sont moins sous l'emprise du capital culturel. Or PISA nous montre que c'est le contraire. Maintenant on s'interroge. Le système a-t-il vraiment besoin d'une discipline qui sélectionne les élèves ou de former la majorité des jeunes à un niveau de connaissances qui devra être plus élevé au 21ème siècle ?
La place des maths dans le système met les enseignants dans une situation difficile du fait de ce tri à assumer mais aussi dans des situations faciles pour certains qui se retrouvent avec des élèves faciles à enseigner. Changer cette situation cela n'est pas risqué ?
On s'intéresse d'abord au niveau de formation dont la société a besoin. Pour nous 95% des élèves devrait avoir un minimum de connaissances en maths. Il faut que l'école du socle permette à 95% des élèves de savoir lire, écrire , compter mais aussi de savoir raisonner, manipuler des concepts, se servir d'Internet. Cela demande une réorganisation de l'école jusqu'en 3ème. En même temps il faut arriver à penser cela avec la nécessité de fabriquer une élite intellectuelle de haut niveau.
Quels sont les prochains rendez vous importants sur l'agenda de l'APMEP ?
Les 24 et 25 mai nous tenons notre séminaire annuel. C'est un moment où nous définissons la politique de l'association. Cette année ce sera un moment de réflexion sur l'enseignement des maths avce le regard d'un didacticien, d'une psychopédagogue et une table ronde avec des experts d'horizons différents. Il y aura Anne Armand, une inspectrice générale auteure d'un rapport sur le décrochage, Antoine Baudin, du CEDEC Seconde Chance, un représentant de Terra Nova et Pierre Demailly qui tient des positions très particulières sur l'enseignement des maths. Tout le monde dit que l'école ne va pas bien. C'est à nous de dire à la société qu'on est prêt à réfléchir à ce qui peut être fait. Pour Mme Armand les maths sont actuellement dans la situation où étaient les lettres classiques il y a 40 ans. Quand je vois ce qu'elles sont devenues je me dis qu'il est utile qu'on réfléchisse à l'avenir de l'enseignement des maths.
Propos recueillis par François Jarraud
Les maths et le plaisir dans La Croix
Par fjarraud , le mercredi 16 avril 2014.