Dans cette tribune, Yannick Trigance pointe les nombreuses questions en suspens que suscite la réforme : « L’absence de moyens supplémentaires pour la formation pose donc questions : comment offrir une formation digne de ce nom qui puisse répondre aux grands défis de l’éducation nationale sans régler la problématique des recrutements et de rémunération des tuteurs stagiaires, des coordinateurs de formation dont les indemnités et les décharges du temps de travail en classe restent très largement insuffisantes pour assurer un suivi régulier et efficace des stagiaires ? »
Le 28 mars dernier, la ministre de l’éducation nationale Elisabeth Borne a présenté la réforme de la formation des enseignants qui, dans un premier temps, respecte une demande commune de l’ensemble des organisations syndicales, à savoir des conditions de recrutement identiques pour les enseignants de premier et de second degré, mesure décidée par Lionel Jospin en 1989.
Par ailleurs le déplacement des concours de recrutements de la fin du master 2 (soit Bac+5) à la fin de la licence (soit Bac +3) ainsi que la mise en place de deux années de formation rémunérées et professionnalisantes devraient également permettre de lever l’obstacle d’une masterisation qui à ce jour constitue une barrière financière et sociale pour les étudiants issus des familles les plus modestes, permettant ainsi d’élargir l’éventail social du recrutement des enseignants.
Dans le même temps, et ça n’est pas la chose la plus simple à mettre en œuvre, cette nouvelle organisation implique de la part du gouvernement de garantir un contenu solide et étayé de l’année des « élèves –fonctionnaires » (M1) puis de « fonctionnaires stagiaires » (M2) afin de maintenir un haut niveau de connaissances disciplinaires tout en veillant à une bonne articulation avec les compétences professionnelles.
En promettant que 60% du temps d’enseignement dans les masters du second degré seront consacrés au « renforcement des connaissances », la ministre de l’éducation nationale a tenté de rassurer les organisations syndicales ainsi que les candidats potentiels à l’agrégation dont le concours n’est pas concerné par la réforme et dont le niveau de connaissances reste particulièrement élevé.
Quant à l’exemption des épreuves écrites au concours de recrutement de professeur du 1er degré pour les étudiants qui prépareraient la « licence professorat des écoles » (LPE) nouvellement créée, convenons qu’elle pose la question de l’équité entre tous les candidats au sens où ceux qui se présenteront avec une autre licence devront passer les épreuves écrites.
De surcroît, on peut s’interroger sur la pertinence de l’obligation d’effectuer obligatoirement quatre années de service quand on connaît les contraintes du métier et notamment celles liées aux mutations géographiques.
Enfin, le contexte économique et budgétaire ne prête guère à l’optimisme et à la confiance aveugle dans les annonces de la ministre au moment où François Bayrou organise une conférence de presse intitulée « La vérité permet d’agir » au cours de laquelle il annonce notamment 40 milliards d’économies à réaliser sur le budget 2026, économies qui porteront essentiellement sur les services publics avec une charge de la dette de 62 milliards, « autant que l’éducation nationale » selon les propos du premier ministre… chacun appréciera la comparaison.
L’absence de moyens supplémentaires pour la formation pose donc questions : comment offrir une formation digne de ce nom qui puisse répondre aux grands défis de l’éducation nationale sans régler la problématique des recrutements et de rémunération des tuteurs stagiaires, des coordinateurs de formation dont les indemnités et les décharges du temps de travail en classe restent très largement insuffisantes pour assurer un suivi régulier et efficace des stagiaires ?
Quid de la réorganisation et du devenir de la formation continue – aujourd’hui bien mal en point – pour les enseignants qui entreront dans le métier et pour ceux qui sont en cours de carrière ?
Enfin, on rappellera que cette question du recrutement reste profondément liée à celle du niveau global de rémunération de nos enseignants – parmi les moins bien rémunérés des pays de l’OCDE – et de leurs conditions de travail avec des effectifs de classe bien au-dessus de la moyenne des pays voisins et un nombre d’heures de cours devant élèves supérieur aux moyennes européennes …
Le chemin est encore long …
Yannick Trigance
