24 heures, à peine, c’est le temps qu’ont eu les équipes éducatives pour réagir à l’annonce du gel de la part collective du pass Culture. Jeudi 30 janvier la rumeur avait commencé à bruisser, relayée par les structures culturelles inquiètes, mais dans les établissements scolaires, personne n’était au courant et dans un premier temps, personne n’y a cru. Aucun message officiel n’était venu confirmer la rumeur, et autant de projets, préparés parfois depuis des mois, n’allaient pas être balayés ainsi au mépris des enseignant.es, des partenaires culturels, des élèves ! Ce n’était pas possible… Mais vendredi 31 janvier, il a fallu se résoudre à l’évidence, c’était possible… Dans l’urgence, entre colère et effondrement, équipes de direction et référent.es culture se précipitaient sur la plate-forme Adage, vite saturée, pour tenter de valider les quelques projets qui pouvaient encore l’être. Aurélie*, professeure de lettres, et référente culture dans un collège REP de l’académie de Nantes, évoque pour le Café pédagogique cette « Folle journée » et ses conséquences…
L’annonce du gel de la part collective du pass Culture a surpris et pris tout le monde de vitesse. Comment en avez-vous appris la nouvelle ?
La rumeur est arrivée dans notre collège en toute fin de journée jeudi. Un collègue me demande si je suis au courant d’un éventuel blocage de fonds dans les jours à venir… Je partage avec une collègue la fonction de référente culture de l’établissement. Nous nous étonnons de cette question mais sommes peu inquiètes : il reste plus de 4000 euros sur les crédits de l’établissement, nous sommes loin de nos plafonds, aucun mail sur notre boite académique, aucune alerte sur la plateforme. Nous sommes ensuite rassurées par notre chef d’établissement : il n’a rien entendu qui irait dans ce sens. Il est 17h30. En rentrant chez moi, je vois l’information circuler sur les réseaux sociaux mais elle est tellement énorme et soudaine que l’on pense encore à une fake news. C’est à 20h, en recevant un mail d’alerte du cinéma partenaire du dispositif « Collège au cinéma », me demandant de tout faire valider dans les heures qui suivent que je comprends que le dispositif est réellement menacé. En tant que référente culture je n’ai jamais reçu le moindre mail de l’institution m’alertant de quoi que ce soit. Toujours rien à ce jour expliquant clairement la situation.
Quelle a été votre réaction en tant que référente culture face à cette annonce ?
Nous avons cherché à joindre dès le jeudi soir l’ensemble des enseignant.es de l’équipe par mail, par texto lorsque cela était possible. Notre fonction nous amène à discuter avec un grand nombre de collègues de leurs projets : nous savions que des actions étaient en train de se monter, que des collègues avaient des idées de projets pour les semaines à venir, avaient pris contact avec des partenaires culturels. Nous avions alors l’illusion de pouvoir sauver au moins quelques projets.
De combien de temps avez-vous pu ensuite disposer pour tenter de valider et sauver quelques projets ? Y êtes-vous parvenu.es ?
Il faut savoir que la procédure est un peu compliquée : le référent culturel doit monter une fiche projet sur Adage, de son côté le partenaire culturel crée une « action », qui doit être validée avant apparition sur le site. Ensuite, le référent culturel doit rattacher cette action sur le site. Pour terminer, le chef d’établissement valide le projet afin de l’entériner. Au moins 4 acteur.trices différent.es sont donc nécessaires. C’était donc une totale illusion d’imaginer pouvoir le faire en une journée. Mais j’y croyais tout de même un peu.
Nous avons tous et toutes compris que tout tombait à l’eau vendredi matin : la plateforme était totalement saturée. 4 actions étaient en attente de validation par ma direction qui a fait ce qu’elle a pu vendredi : le principal et le principal-adjoint, à force de recharger sans cesse le site, sont parvenus à cliquer sur une seule « action » : une partie de « Collège au cinéma » a pu être sauvée mais pas l’autre … : une partie de nos élèves va pouvoir se rendre à la troisième séance du dispositif mais pas les autres ???
Concrètement aujourd’hui dans quelle situation ce gel met-il votre établissement ?
Nous, les enseignant.es, la direction : le chef d’établissement, le principal adjoint, le gestionnaire de l’établissement, sommes totalement effondré.es. Nous travaillons dans un établissement d’éducation prioritaire, établissement sensible fréquenté par des élèves qui, clairement, n’ont pas un accès évident à la culture. Une de nos missions, essentielle, est de les aider à ouvrir ces portes.
Le hasard a fait que le jour même de cette annonce, j’avais fait le point avec mes élèves sur le film vu la veille (film du second trimestre du dispositif « Collège au cinéma ») un film ambitieux, complexe. Plusieurs élèves avaient pris la parole pour dire à quel point le film les avait questionnées, remuées, bouleversées. Un vrai choc de cinéma. Pour une poignée d’élèves, mais tout de même… C’est forcément très fort, ce sont ce genre de moments qui donnent pleinement du sens à notre métier. Au dernier trimestre, nos élèves devaient voir un film d’Hitchcock, j’aurais adoré voir ce que cela aurait donné.
Pour le dernier trimestre nous avions passé un accord avec une compagnie de théâtre qui propose une pièce très forte sur le droit à disposer de son corps. Dans tous les établissements, c’est vital d’en parler … mais c’est délicat. Les arts, nous le savons, sont essentiels car ils sont un levier incroyable pour aider les enseignant.es à communiquer avec leurs élèves.
Nous avions beaucoup d’autres actions à venir, des actions qui avaient demandé du travail, de la réflexion, des échanges avec les partenaires culturels et les collègues : participation à plusieurs festivals de cinéma, sorties culturelles diverses, … Je ne sais pas du tout ce qui va tomber à l’eau. Nous comptions sur le budget ADAGE, tout rentrait dedans, le budget de l’établissement ne nous permettra évidemment pas de mener à bien tous ces projets. Encore moins si soudainement. Cette façon de faire est écœurante : non, les budgets n’ont pas été dépassés : il est matériellement impossible de dépasser les budgets qui sont plafonnés sur la plateforme. Cet argent promis n’existe tout bonnement pas. C’est un grand manque de respect pour les enseignant.es et leur travail mais avant tout pour nos élèves et pour les partenaires culturels, de plus en plus violemment fragilisés.
* Le prénom a été modifié
Propos recueillis par Claire Berest
« Alerte sur le gel du pass Culture », article à retrouver sur le site du Café pédagogique.