Par Rémi Boyer de l’association Aide aux Profs
Quel a été le parcours de carrière de Pierre ?
« Après une maîtrise de Sciences Economiques en 1976 à Angers, j’ai d’abord entamé un doctorat de Sciences Politiques à l’université de Rennes tout en assurant des cours dans l’enseignement agricole. J’ai ensuite eu un poste pour enseigner les techniques commerciales pendant 3 ans, sous le statut de Maître Auxiliaire de l’enseignement privé sous contrat. De 1979 à 1982, je suis devenu technico-commercial dans une société de services informatiques, qui réalisait du traitement de comptabilité à façon. J’aidais alors les cabinets d’expertise comptable à utiliser un service informatique. Maintenant, ce domaine a beaucoup évolué, nous en étions au tout début des micro-ordinateurs. En 1982, j’ai quitté l’informatique pour devenir vendeur, mais ça n’a pas marché, car je n’en avais pas le tempérament. C’est plutôt le marketing qui m’intéressait. Je suis donc retourné dans l’enseignement comme Maître Auxiliaire dans le Public cette fois. J’ai enseigné les mathématiques et la physique à des CAP et des BEP pendant 1 an puis en collège pendant 3 ans. Je suis ensuite devenu professeur d’économie, et de techniques de gestion commerciale. Peu à peu, j’ai été intégré dans le corps des Adjoints d’Enseignement, puis en 1989 dans le corps des professeurs certifiés, alors que je pratiquais mon enseignement auprès de classes de Terminale et de BTS en Economie et Droit. Actuellement, et depuis 5 ans, j’enseigne toujours à des Terminales commerciales, mais à temps partiel. »
En parallèle de sa seconde carrière dans l’enseignement, Pierre a fait du journalisme de 1987 à 1998 : « je n’avais pas de carte de presse, car j’étais correspondant local pour Ouest-France à Saint-Malo. Un jour, j’ai lu une annonce dans l’édition locale de Ouest-France et je me suis dit : tiens, c’est ma chance ! J’avais en effet envie de faire autre chose que d’enseigner. J’ai été reçu par le responsable de la rédaction, qui m’a confié des reportages de présentation d’entreprises et de leurs produits, puisque j’avais une formation d’économiste. Il a beaucoup apprécié mon tempérament motivé. Pendant deux ans, j’ai travaillé pour l’édition locale de ce quotidien régional puis pour le magazine « Bretagne Economique » de la Chambre Régionale de Commerce et d’Industrie. Ensuite, j’ai réalisé aussi des piges pour le trimestriel « Nous, Vous, Ils » du Conseil Général d’Ille-et-Vilaine pendant 5 ans, et pour des parutions ponctuelles ici et là. Au début de cette aventure parallèle à mon métier d’enseignant, j’étais payé à la pige, puis l’URSSAF a estimé un jour qu’un pigiste avait un lien de subordination avec le rédacteur en chef, donc de profession libérale, je suis passé en salarié, mais en contrat de droits d’auteur. »
Comme le prévoit le statut du fonctionnaire, il est possible en effet de cumuler, sous certaines conditions, sa rémunération avec d’autres, à condition de ne pas dépasser 100% de son salaire principal.
« En 1998, j’ai arrêté les piges pour me lancer dans l’audiovisuel. Je me suis mis à réaliser des films qui sont actuellement diffusés dans les lycées en France. En 1998, j’ai déposé la marque « ExprimageS » et une association Loi 1901 a été créée. Je ne fais pas partie du Bureau de l’association, mais je suis membre et je fais des films pour le compte de l’association, qui les propose ensuite aux établissements. L’association réalise des actes de commerce, à savoir la vente de DVD. Elle me rémunère en droits d’auteur. »
En complément, depuis 2005, Pierre Hachet a souhaité ajouter une nouvelle corde à son arc de compétences : « j’ai créé une Web TV, car je suis passionné d’audiovisuel et le web s’est énormément développé. J’ai alors imaginé créer cette Web TV vers un domaine qui me passionnait : la construction européenne, puisque, né en 1952, j’ai grandi avec, j’avais 5 ans lors du Traité de Rome, 40 ans lors de la signature du Traité de Maastricht… ». Pour mener ces secondes carrières tout en restant enseignant, Pierre a pris un deux-tiers de temps depuis 2003, soit 13 h de cours au lieu de 18 h.
Comment avez-vous réussi à concilier toutes ces activités professionnelles ?
« Grâce à une grande organisation et au soutien de ma famille, et en travaillant beaucoup. Lorsque j’étais journaliste, je devais trouver les sujets et je rapportais les feuillets avec les négatifs de mes photos, je faisais tout de A à Z. Pour Ouest-France, j’apportais mon article tous les dimanches soirs pour parution le mardi suivant. Pour le magazine Bretagne Economique, le délai était plus important. Grosso modo, mon temps de travail était d’une bonne demi-journée par semaine pour le journalisme. Au départ, bien sûr, j’y ai passé beaucoup plus de temps, car il fallait monter mon réseau de contacts, trouver des infos, des communiqués de presse, et il a fallu beaucoup de compréhension de la part de mon entourage familial pour me permettre de poursuivre cette activité, puisque j’ai été moins présent pour les miens. Mais le temps que j’y ai consacré n’était pas pire que quelqu’un qui est cadre dans une entreprise. »
Quelles démarches aviez-vous entreprises, tout en demeurant enseignant de l’éducation nationale, pour créer Exprimages ?
Pierre indique : « j’ai conçu l’activité. Il fallait assurer les choses juridiquement, puisque tout n’est pas possible pour un enseignant. ». Pierre a d’abord réalisé un petit test commercial, puis déposé la marque auprès de l’INPI et acheté les noms de domaine, avant de créer avec des amis l’Association Nationale pour la Diffusion des Œuvres pour la Formation et la Découverte du Monde en 1998. Début 1999 naît Exprimages pour réaliser des produits pédagogiques, les vendre, organiser des soirées de projection, tandis que le projet « Europe en images » http://www.europeenimages.net/ démarre lui aussi.
L’association édite le catalogue papier et fait travailler des membres d’une association d’insertion de handicapés légers pour la mise sous plis et le collage des étiquettes avant envoi vers les établissements scolaires.
Actuellement, Pierre organise une opération « Présentez votre ville ou votre région », ouverte à tous les jeunes des collèges, des lycées et de l’enseignement supérieur du public comme du privé, en France comme à l’étranger. Il propose aux jeunes, dans le cadre d’ateliers ou de clubs, de choisir un thème lié à leur région (personnage, aspect géographique ou historique, monument, tableau, œuvre musicale, etc.) et d’en faire un film, qu’il propose d’héberger gratuitement sur la Web TV pendant 2 ans. Cette opération a déjà commencé et est parrainée par l’Union européenne (Direction générale « Education et Culture », Comité des régions au niveau européen), sans aucune subvention.
Depuis avril 2005, vous développez une WebTV, sur l’Union européenne et la vie des Européens : est-ce synonyme pour vous d’une troisième carrière ?
« J’aimerais bien ! » (rires). « Ce projet ne me rapporte rien financièrement, ça me coûte même de l’argent. C’est là tout le problème d’un site web : son modèle économique, puisqu’il y a des charges, des coûts à assumer dès sa conception. Actuellement il n’y a pas de recettes même si des espaces sont prévus pour en générer, car je n’ai pas assez de temps pour m’y consacrer ». Pierre cumule en effet déjà beaucoup d’activités.
Les deux-tiers des 250 visiteurs quotidiens sont issus de l’enseignement : élèves, étudiants, documentalistes, professeurs.
« En faire une troisième carrière est bien entendu mon souhait le plus cher, car le problème est que j’ai commencé à travailler relativement tard, et comme beaucoup de gens, je dois travailler 41 années pour bénéficier de ma retraite à taux plein, vers l’âge de 65 ans. » Pierre insiste : « je n’ai pas l’intention d’être professeur au-delà de 60 ans, cela devient trop difficile, et j’ai besoin quand même d’une activité payée. Ce projet me permet donc de préparer l’avenir, d’anticiper. Si un jour le chiffre d’affaires génère suffisamment de bénéfices, je quitterais le métier de professeur, c’est sûr. »
Quelles compétences pensez-vous avoir développées et posséder comme enseignant ?
« Dans mon métier de professeur, je pense avoir développé :
– des compétences pédagogiques : capacités de dire et d’expliquer les choses clairement,
– des compétences en communication,
– des compétences en organisation, alors que les études théoriques ne m’y ont pas préparé,
– des compétences en relations publiques, puisque lorsque j’ai créé le site et l’association, il a fallu nouer de nombreux contacts. »
Quelles autres compétences vos activités parallèles vous ont-elles procuré ?
« Mes autres compétences sont de :
– savoir réaliser un film. J’ai d’abord toujours été passionné de photographie, sans avoir jamais suivi de formation. J’ai fait beaucoup d’essais, regardé de nombreux reportages, et j’ai acquis aujourd’hui les compétences nécessaires pour réaliser des films, à mon niveau.
– Maîtriser les techniques de preneur de son, car c’était mon point faible au départ,
– Rédiger sous une forme journalistique, orienté vers l’information. C’est en effet le principal souci à avoir,
– Détenir des qualités artistiques. Cela m’a permis de concevoir le graphisme de la Web TV ».
Si vous deviez évoluer professionnellement vers un autre domaine d’activité, quelles sont vos savoirs, savoir-faire et savoir-être transférables ?
« J’en ai beaucoup :
– la capacité à mener un projet, c’est très important. J’ai monté le projet de Web TV de A à Z,
– la capacité de participer à une démarche créative,
– la capacité de prendre de la distance par rapport à ce qui m’est proposé. »
Quel regard votre hiérarchie a-t-elle porté sur votre double activité tout au long de votre carrière ?
« Un regard bienveillant, tout-à-fait. Le site était au départ conçu sous forme d’abonnements, et maintenant il est en accès libre. Tous les chefs d’établissements que j’ai contactés en leur présentant mon projet ont été ouverts et compréhensifs, certains m’ont donné des conseils. Le site http://www.europeenimages.net/ est avant tout orienté vers l’information, c’est un apport complémentaire pour les enseignants et leurs élèves. Ils peuvent utiliser le site dans leurs cours ou pour l’information de leurs élèves, dans le cadre d’un environnement numérique de travail (ENT) par exemple. Dans ma pratique professionnelle, le métier de professeur est toujours prioritaire. »
Quel a été le regard de vos collègues enseignants ?
« Je n’en ai pas parlé tout de suite, je commence simplement à le partager depuis quelques mois avec mes collègues de travail. Certains sont intéressés pour réaliser à partir des films un travail avec leurs élèves, mais pour d’autres, c’est simplement l’indifférence qui domine pour l’instant. Il est très difficile de sensibiliser les gens à la construction européenne et à tout ce qui touche à l’Europe. »
Quels conseils pouvez-vous prodiguer à une personne qui souhaite enseigner ?
« Il faut vraiment avoir envie de faire ce métier là, c’est vraiment une question de motivation à la base. Il ne faut pas choisir d’enseigner pour obtenir un confort de vie extérieur à l’enseignement. Enseigner, c’est être dans sa classe avec des jeunes : ce n’est pas toujours une position confortable. Il faut être capable de supporter la pression d’un groupe, c’est très difficile dans certaines situations. Cependant, c’est un métier où l’on a aussi des retours formidables. J’ai la chance d’avoir des élèves extrêmement gentils à Saint-Malo, et pas de problèmes de violence, d’agressions. Cependant, je ne pense pas avoir été fait pour exercer ce métier.»
Que conseillez-vous aux professeurs tentés par une mobilité professionnelle en-dehors de la classe ?
« D’abord, je leur conseille de réaliser un bilan de compétences, et de se poser cette question : ai-je vraiment envie de quitter l’enseignement ? Après, on n’a plus d’élèves devant soi. Entre l’enseignant et ses élèves existe tout un tissu de relations, c’est une véritable cassure quand on s’en va. Cette rupture n’est pas toujours facile à vivre, il faut être motivé pour partir, en avoir vraiment assez. Professeur, c’est avant tout un métier de relations, complètement à l’opposé d’un métier de Bureau. On doit sans cesse s’impliquer dans la relation à l’autre, et c’est épuisant. »
Que pensez-vous de la création d’une association comme Aide aux profs (Aidoprofs) et de l’idée d’en faire le premier mouvement associatif de défense et de promotion des secondes carrières des enseignants ?
« C’est très bien, car ça fait longtemps que j’ai envie de faire autre chose et je n’ai jamais trouvé d’aide. On n’aide pas les profs à quitter leur métier, même s’il y a une loi qui propose un pécule de départ à ceux qui démissionnent. Si cette possibilité là avait existé quand j’ai créé Exprimages, je l’aurais saisie, car c’est une bonne béquille. »
Pierre Hachet ajoute, rejoignant notre opinion sur la question : « c’est la mentalité de l’Education nationale : changer de métier, pour l’administration, est inconcevable. Il y a 20 ans je suis allé au rectorat pour demander ce qui était prévu pour se reconvertir, et l’on m’a baladé de bureau en bureau…en fait l’administration n’est pas là pour vous donner de l’argent pour réaliser une formation dans l’objectif de partir, c’est clair. Quand on est entré dans l’Education nationale, pour eux, on y reste. »
Cependant, ajoute Pierre, « si l’on a un état d’esprit différent, on peut trouver cette force de partir, d’aller faire autre chose. C’est avant tout un problème de culture professionnelle. Aujourd’hui, l’Etat doit assumer son rôle puisque des lois, décrets et circulaires ont été publiés. Mais on bute contre la montagne… ».
Pierre a rencontré de tout au cours de sa carrière : « des professeurs passionnés, mais aussi des professeurs dégoûtés. » Pour lui, un soutien psychologique est important aujourd’hui pour exercer ce métier. Comme le soulignait Gérard Granier lors de son témoignage du 15 octobre sur le Café, les élèves sont plus difficiles aujourd’hui qu’il y a 30 ou 40 ans, et beaucoup de jeunes enseignants ne songent plus, a contrario de leurs aînés, à exercer ce métier toute leur vie. Pierre conclue : « une association pour aider les professeurs dans leur mobilité professionnelle ne remplacera jamais l’Etat dans sa mission, elle ne pourra qu’être complémentaire de son action. »
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